Les policiers l’appellent la « drogue du pauvre ». Mais pour les scientifiques, la prégabaline, plus connue sous son nom commercial de Lyrica, est prescrite pour traiter l’épilepsie et les troubles anxieux. Et devant le tribunal correctionnel de Marseille, magistrats et avocats s’accordent à dire que le dossier de trafic de ce psychotrope « suinte la misère ». Ce mercredi 8 octobre, quatre prévenus ont comparu détenus devant la juridiction. Deux autres sont absents et non représentés, l’un recherché, l’autre sous contrôle judiciaire. La misère des prévenus, d’abord. Parmi les quatre Algériens qui se présentent mal rasés devant les juges marseillais, certains ont beau être en situation régulière, tous vivent dans une grande précarité.
Et le récit de leur parcours, examiné par le tribunal, semble extrait d’un roman de Zola. Problèmes de santé, d’addiction, pertes d’enfants… Leurs casiers ne portent pas ou peu de mentions. Et si le réseau démantelé par la justice marseillaise est qualifié d' »international » sévissant « en bande organisée », dans le box, aucun des prévenus ne présente les atours d’un caïd ayant gravi les échelons du crime.
11 000 gélules saisies à l’aéroport
Pour la justice marseillaise, l’histoire commence le 18 octobre 2023 avec l’arrestation d’une mule. Ce soir-là, peu avant minuit, Filio Samartzi, ressortissante grecque alors âgée de 27 ans et actuellement sous contrôle judiciaire, est interpellée à l’aéroport de Marignane avec 11 000 gélules de prégabaline et brieka en sa possession. En l’espace de quelques mois, les investigations téléphoniques, les suivis de colis et les surveillances permettent la saisie de 300 818 gélules et l’identification d’un trafic de médicaments international où chaque prévenu occupe un rôle bien défini.
Présentés comme des fournisseurs, Daya Eddine Akaab, 31 ans, et Abdelkrim Benameur, 30 ans, s’approvisionnaient en Grèce et récupéraient la marchandise, à Marseille, par le biais de mules ou de colis postaux. Les psychotropes de contrebande étaient ensuite achetés par Anis Merazga, 29 ans, qui les revendait et Yakoub Saker, 32 ans, qui travaillait pour lui selon les services d’enquête. Si les prévenus reconnaissent l’intégralité des faits, ces deux derniers s’inscrivent en faux quant à la relation commerciale qui les unissait. « Il est plus grand que moi, comment j’aurais pu lui donner des ordres », se défend Anis Merazga, désignant Yakoub Saker comme un consommateur.
Tenant à s’exprimer dans un français confus malgré la présence d’une interprète, cet algérien au casier immaculé et en situation irrégulière ne dit pas autre chose. « On a trouvé 900 gélules chez vous, ça me semble beaucoup pour votre consommation personnelle », relève la présidente Lola Vandermaessen. « Je consomme pas tout seul, ma compagne aussi… justifie le prévenu. J’ai une ordonnance pour trois gélules maximum par jour, mais j’en prenais entre quinze et vingt. » Le tout allié à une prise quotidienne de cannabis, entre autres stupéfiants, pour couper avec la réalité et nourrir une douloureuse dépendance. « Quand j’en prends, j’oublie tout, je commence à devenir courageux », confie-t-il à la barre.
Prison ferme et plus de 600 000 € d’amende
Niant vouloir faire de ce dossier un exemple, le procureur insiste sur les dangers d’une « substance vénéneuse aux effets terribles en cas de manque pouvant aller jusqu’au décès ». Au terme d’un réquisitoire pointant un trafic organisé, le représentant du ministère public a réclamé des peines allant de dix-huit mois à cinq ans de prison ferme. « Ce réseau est d’une ampleur certaine et génère énormément d’argent », appuie encore le magistrat rappelant que la lutte contre le trafic de médicaments est « une priorité » du parquet de Marseille.
Commercialisé en France depuis 2004, le détournement de la « drogue du pauvre », dont l’usage est strictement encadré n’a cessé de se développer, gangrenant les quartiers les plus pauvres des grandes villes. Euphorisants, planants, les effets de la prégabaline varient selon les usagers et présentent un pouvoir addictif puissant. Vendue dans la rue entre deux et trois euros l’unité, elle affiche des tarifs nettement en deçà du cannabis (8 € le gramme environ) ou de la cocaïne (près de 70 € le gramme).
Après s’être retiré pour délibérer, le tribunal a condamné les six prévenus à des peines allant de six à dix-huit mois de prison ferme et 601 636 € d’amende à payer solidairement aux douanes. Les juges ont également ordonné la confiscation de l’argent saisi, soit 7 900 €. « Presque tous les désirs du pauvre sont punis de prison », avait plaidé en défense Me Maximilien Neymon, citant Louis-Ferdinand Céline.