A l’occasion des Rendez-vous de l’histoire, qui se tiennent à Blois du 8 au 12 octobre 2025, les journalistes de Libération invitent une trentaine d’historiens pour porter un autre regard sur l’actualité. Retrouvez ce numéro spécial en kiosque jeudi 9 octobre et tous les articles de cette édition dans ce dossier.

La guerre s’est installée au cœur de l’Europe avec son cortège de morts, de désolations des populations civiles, des destructions de villes. Longtemps absente depuis 1945, elle a fait son retour progressivement sur le sol européen avec la Yougoslavie (1991-1995), le Kosovo (1998-1999), puis, au XXIe siècle avec les agressions russes contre la Crimée en 2014 et l’Ukraine en 2022.

La guerre s’est aussi intensifiée en Israël et en Palestine avec les assassinats d’Israéliens le 7 octobre 2023 par le Hamas, et les massacres, les déplacements forcés de populations palestiniennes à Gaza qui ne cessent pas ; les destructions entières de villes et de villages.

Les guerres alimentent les haines, en détruisant les acquis de la connaissance scientifique, historique. Dans ces deux moments si cruels, l’histoire a été convoquée pour justifier l’entreprise guerrière : la Russie affirme l’appartenance de la Crimée et de l’Ukraine à son aire culturelle, et surtout à son histoire longue. Et certains dirigeants israéliens font valoir leurs revendications territoriales par référence à l’antériorité religieuse née de l’inscription biblique, ce que contestent les Palestiniens, qui invoquent leur présence ancestrale sur cette terre.

Ces deux guerres, nourries par des discours nationalistes radicaux, viennent assombrir notre société française déjà bien fracturée. Elles exacerbent les tensions entre communautés, principalement juive et musulmane ; elles dévoilent les désirs de recherches d’un bouc émissaire, qui est bien souvent désigné comme «l’étranger» ; elles détruisent les passerelles possibles entre les cultures et des mondes différents ; elles entendent disqualifier, minimiser toutes les avancées réalisées sur la reconnaissance de crimes contre l’humanité, comme la Shoah, ou l’esclavage.

La crise institutionnelle française, profonde, risque d’aggraver encore davantage cette situation. Bien sûr, on peut estimer qu’il ne faut pas céder à une sorte de panique morale, car le sentiment démocratique est désormais bien ancré dans la société française ; et que les idées visant à une remise en cause de la République, restent encore bien minoritaire. Mais rien n’est jamais acquis comme le montre l’élection récente de Donald Trump aux Etats-Unis. Avec la prise de distance rapide des citoyens à l’égard de la classe politique dans son ensemble, un basculement rapide vers le besoin d’un Etat autoritaire s’accompagne de possibles attaques contre les droits sociaux, les droits des femmes et des minorités. Dans ces attaques, la préservation des savoirs scientifiques et des connaissances historiques est fondamentale contre l’obscurantisme qui, hélas, progresse.

Il faut donc le dire, encore et toujours : il faut protéger les acquis de la connaissance sur des sujets comme la colonisation, l’immigration, ou l’esclavage, faire de l’histoire, pour ne pas faire la guerre. Pour éviter que l’histoire soit appelée à justifier la destruction et la négation de l’autre. Et il faut, plus que jamais, lire ou relire, Apologie pour l’histoire et le métier d’historien, de Marc Bloch, qui fera son entrée au Panthéon le 16 juin 2026.