Guillermo López Lluch, biologiste à l’université Pablo de Olavide (Séville) détaille les résultats d’une nouvelle étude sur les effets du cannabis thérapeutique contre l’insomnie.
Le cannabis, ou chanvre, est connu pour ses effets sur le système nerveux. Aujourd’hui, une étude publiée par le chercheur Arushika Aggarwal et ses collaborateurs, dans la revue scientifique Plos Mental Health, analyse son utilisation dans le traitement de l’insomnie.
Ce travail s’appuie sur des informations provenant du registre médical britannique sur le cannabis. Concrètement, il s’agit de données concernant des personnes qui ont été traitées avec des produits dérivés du Cannabis sativa et qui ont répondu à une série de questionnaires visant à déterminer leur effet sur la qualité du sommeil, sur l’anxiété, sur les habitudes de vie ou sur l’état de santé général.
Bien que l’utilisation de produits dérivés de cette plante, comme le haschisch ou la marijuana, puisse attirer l’attention dans le but de traiter l’insomnie, les résultats de l’étude en eux-mêmes sont peu prometteurs et mettent en évidence certains problèmes liés à l’utilisation de ces composés. Le plus évident de ces problèmes est le développement d’une tolérance par le système nerveux, c’est-à-dire une diminution de la sensibilité des cellules aux molécules actives du cannabis.
Les composés actifs du cannabis
Pour comprendre l’effet sur l’être humain des composés pharmacologiques provenant d’autres organismes, par exemple de bactéries, champignons, plantes ou issus d’animaux, nous devons tenir compte de la relation entre un composé et son récepteur.
Nos cellules expriment des récepteurs pour les composés dérivés du cannabis connus sous le nom de cannabinoïdes. Le récepteur présent dans les cellules du système nerveux est le CB1R. Le CB2R, lui, est associé au système immunitaire.
L’anandamide, notre propre cannabinoïde
Ces récepteurs existent parce que notre organisme produit déjà un composé de la famille des cannabinoïdes appelé « anandamide ». L’anandamide est un neurotransmetteur, c’est-à-dire qu’il transmet des signaux entre les neurones, et il est produit par nos cellules. C’est notre cannabinoïde endogène.
Entre autres fonctions, l’anandamide régule l’humeur, la mémoire et la perception de la douleur, et agit comme un vasodilatateur. Bien que notre corps synthétise naturellement l’anandamide, nous pouvons également l’obtenir à partir de certains nutriments tels que le chocolat, la truffe noire, les oursins et les œufs de certains poissons. C’est peut-être grâce à elle et à d’autres composés présents dans le chocolat que nous trouvons sa consommation si agréable et relaxante.
Le THC et le système nerveux
Les composants actifs du cannabis sont le cannabidiol ou CBD et le delta9-tétrahydrocannabinol ou THC. Des deux composés, le THC est celui qui présente la plus grande activité psychoactive, car il active le récepteur CB1R. Le CBD semble agir comme un inhibiteur, bien qu’il puisse augmenter les niveaux d’anandamide, ce qui produit un effet paradoxal puisqu’il inhibe le récepteur tout en augmentant les niveaux du stimulateur naturel en empêchant sa dégradation. Le CBD nous détendrait donc parce que son effet inhibiteur sur le récepteur serait annulé par l’augmentation de l’anandamide.
La tolérance, à l’origine de la dépendance
Bien que la dépendance aux cannabinoïdes ait fait l’objet de nombreux débats, il est certain qu’ils induisent également une tolérance, c’est-à-dire une diminution de la sensibilité des cellules aux cannabinoïdes qui s’aggrave avec le temps. Cet effet oblige à recourir à une plus grande quantité de composés pour produire le même effet, ce qui est la clé de la dépendance aux drogues.
Les travaux récemment publiés montrent clairement cette augmentation de la tolérance. Tous les questionnaires utilisés auprès de la population étudiée ont révélé un effet plus important des cannabinoïdes après un mois de traitement, qui s’est ensuite atténué pour atteindre des niveaux antérieurs au traitement au bout de 18 mois. En d’autres termes, à la fin de l’étude, la perception des participants était la même qu’avant le traitement, bien qu’ils aient pris les composés pendant cette période et que la dose ait été augmentée.
Bien que les auteurs tentent d’expliquer ce processus par un éventuel effet placebo ou par un nombre limité de participants, 124 au total, on ne peut exclure l’effet dû à la tolérance. De fait, ils affirment eux-mêmes qu’on ne peut l’exclure.
Les bases moléculaires de la tolérance aux médicaments
Toute personne qui dépend d’un médicament de manière chronique peut constater que son corps développe une tolérance. C’est particulièrement le cas lors de traitements par anxiolytiques ou analgésiques. Les cellules ont besoin de stimuli pour pouvoir agir de manière coordonnée avec le reste du corps. Ces stimuli dépendent de l’activation de leurs récepteurs.
Les neurones ont besoin de neurotransmetteurs pour envoyer leurs signaux à d’autres neurones ou aux organes. Les récepteurs de ces neurotransmetteurs peuvent être stimulés par des substances, telles que les composés du cannabis, qui sont similaires à celles que l’on trouve naturellement dans notre cerveau, mais ils peuvent subir des modifications si le signal est intense ou durable.
L’une de ces modifications est l’insensibilité des récepteurs ou leur réduction face à un stimulus continu et intense. C’est ce que l’on appelle la tolérance par diminution des récepteurs. Cette tolérance est bien connue dans le cas des opioïdes et constitue le principe de la dépendance à ces substances. Les cellules réduisent le nombre de récepteurs car le stimulus est anormalement élevé, de sorte que pour produire le même signal et donc le même effet, elles ont besoin d’un stimulus de plus en plus fort.
Ainsi, au fil du temps, le corps s’habitue aux opioïdes, qui perdent alors de leur efficacité, ce qui oblige les patients à en prendre de plus en plus. Ce problème s’est posé, par exemple aux États-Unis, avec la consommation excessive d’oxycodone.
La recherche présentée ici semble mettre en avant l’idée d’un traitement possible contre l’insomnie à base de produits dérivés du cannabis. Cependant, même si les participants ont initialement constaté un effet positif, l’absence d’effet observée à la fin de la période d’étude, malgré l’augmentation des doses de CBD ou de THC, semble indiquer clairement que les neurones perdaient leur sensibilité aux cannabinoïdes et qu’une dépendance risquerait de se développer.
Peut-être que les thérapies basées sur l’augmentation du cannabinoïde endogène, l’anandamide, seraient plus intéressantes pour traiter les troubles du sommeil.