A la cour d’appel de Nîmes,

Une « œuvre de destruction massive d’une femme livrée en pâture par son mari ». C’est ainsi que Dominique Sié, l’avocat général chargé de requérir lors du procès en appel des viols de Mazan a qualifié le calvaire vécu par Gisèle Pelicot. Ces dix années pendant lesquelles son mari la gavait de sédatifs puis « invitait » des hommes à venir la violer, chez elle, dans sa chambre, dans son lit. Et selon le magistrat, Husamettin D., le seul des 50 condamnés à être rejugé en appel, a « contribué en conscience à cette entreprise d’avilissement ».

L’homme de 44 ans, cheveux noir plaqué en arrière, barbe de trois jours et lunettes à monture dorée, est resté impassible, appuyé sur sa béquille, lorsque le magistrat a requis contre lui douze ans de réclusion. Trois ans de plus que la peine à laquelle il a été condamné à Avignon, en décembre dernier. Une peine, explique-t-il, qui prend tout son sens au regard de ses dénégations sans cesse répétées. Et ce, en dépit des images accablantes des vidéos montrant, sous toutes les coutures, les viols dont a été victime Gisèle Pelicot, cette nuit du 28 au 29 juin 2019 et la participation active d’Husamettin D. Une peine, poursuit-il, qui s’explique également par la « rigidité » de son positionnement. « Ça soulève des inquiétudes quant à la prise de conscience », insiste le représentant du ministère public.

« Deux heures dans cette configuration, c’est 1h59 de trop »

Un à un, le magistrat met à mal les arguments de l’accusé. L’intention, d’abord. Husamettin D. n’a eu de cesse de répéter qu’il s’est rendu à Mazan dans l’optique d’un « plan à trois », qu’il ignorait que Dominique Pelicot droguait son épouse à son insu. C’est possible, reconnaît l’avocat général, « mais vous n’êtes pas poursuivi pour de la préméditation. L’intention se juge au moment de l’action », insiste-t-il. En clair, lors du passage à l’acte avait-il conscience que Gisèle Pelicot n’était pas en mesure de consentir ? Lui-même l’a reconnu, en passant le pas de la porte, il a un instant cru qu’elle était « morte ». « Deux heures dans cette configuration, c’est 1h59 de trop », assène-t-il. Dénonçant un fonctionnement social « archaïque » qui fait de « l’homme, le mâle, le centre de l’univers », le magistrat a appelé à une prise de conscience collective. « On ne peut pas, en 2025, considérer que si elle n’a rien dit, c’est qu’elle était d’accord », insiste-t-il.

L’accusé, les yeux rivés vers le sol, l’écoute attentivement. A quoi pense-t-il ? Comprend-il que la possibilité d’un acquittement semble s’éloigner ? Ses avocats ne la demanderont d’ailleurs pas explicitement dans leurs plaidoiries. Pendant près de deux heures, l’un comme l’autre s’attachent tant à démontrer l’extrême perversité de Dominique Pelicot – « menteur XXL » qui a « manipulé à haute intensité » Husamettin D. – qu’ils en oublient presque de parler de leur client. Cet homme de 44 ans à la vie cabossée, arrivé en France à l’âge de 6 ans, mis à la rue par son père à 17 ans, devenu père sur le tard d’un enfant lourdement handicapé pour lequel il a arrêté de travailler pour s’occuper.

« Il est conditionné dans sa tête »

Husamettin D. « ne pouvait pas lutter contre Dominique Pelicot. Pas plus que Mme Pelicot ne pouvait lutter contre lui », ose Me Sylvie Menvielle. Gisèle Pelicot lève les yeux au ciel, dépitée. Preuve de cette manipulation, selon son confrère, Me Jean-Marc Darrigade, le bandeau noir, accessoire classique du libertinage, que Dominique Pelicot « pervers psychopathe hors norme » a placé sur les yeux de sa compagne. « Il arrive pour un plan sexe, il est conditionné dans sa tête », insiste-t-il. Mais l’un comme l’autre butent sur une montagne : les vidéos. Me Menvielle a beau répéter qu’il ne s’agit que d’extraits, elle ne parvient à faire oublier ces images glaçantes.

Le verdict est attendu dans l’après-midi.