FIGAROVOX/TRIBUNE – La démission de Sébastien Lecornu a plongé le pays dans une situation de crise politique inédite. Pour l’expert en communication Michaël Sadoun, en dénaturant la volonté des électeurs et faussant la composition du Parlement, le «front républicain» a largement contribué à cette situation.

Michaël Sadoun est chroniqueur, consultant et enseignant en communication.

Qui a bien pu mettre un tel bazar dans le pays ? Depuis la dernière dissolution, les commentateurs s’échinent à trouver le grain de sable qui a enrayé l’implacable mécanique institutionnelle qui depuis 1958 tient d’un seul morceau notre nation agitée.


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Les uns, de Jean-Luc Mélenchon à l’économiste libéral Charles Gave, rendent responsable la Ve République elle-même : l’hyper-présidentialisme et la pratique solitaire du pouvoir empêcheraient toute concertation, toute discussion parlementaire, tout compromis politique et social nécessaire à la bonne avancée du pays. Il n’est pas possible de diriger un si gros navire sans un équipage multiple.

Je n’y crois pas une seconde. La Ve République a assuré à la France sa plus grande continuité institutionnelle depuis la fin de la monarchie absolue. C’est au contraire la trahison de l’esprit de la Ve République et le retour aux pratiques de la IVe – entre magouilles parlementaires et interminables castings ministériels – qui ont installé le désordre. Le renforcement du Parlement depuis plus d’un an, loin d’importer sous nos latitudes l’esprit germanique du compromis, a créé une foire d’empoigne que personne ne parvient à trancher. Le désaccord est si fort que les forces politiques ne sont même pas encore d’accord sur le résultat des législatives de 2024 !

La cause réelle du blocage politique actuel n’est ni notre Constitution, ni la dissolution, mais bien le « front républicain », qui fausse depuis quelques années un certain nombre d’élections.

Michaël Sadoun

Sébastien Lecornu, dans une certaine bienveillance, avait annoncé renoncer au 49.3 pour gommer l’autoritarisme de notre Constitution qui permet au gouvernement de passer en force contre l’Assemblée. On ne peut pas dire que cette gentillesse lui ait porté chance.

D’autres, plus nombreux encore, rendent responsable la dissolution ratée d’Emmanuel Macron. Pour sa défense, au moment où la campagne des européennes présageait d’une humiliation du camp présidentiel incarné par l’inénarrable Valérie Hayer, quasiment tout le spectre politique appelait le Président à la dissolution.

Ensuite, une dissolution, même ratée, n’entraîne pas forcément le chaos institutionnel. Celle de 1997, actée par Jacques Chirac sous l’influence de Dominique de Villepin aboutit à une cohabitation, mais avec tout de même une majorité solide menée par Lionel Jospin.


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La cause réelle du blocage politique actuel n’est ni notre Constitution, ni la dissolution, mais bien le « front républicain », qui fausse depuis quelques années un certain nombre d’élections. La dénaturation de la volonté des Français par cette alliance incongrue, qui mélange des Républicains aux soutiens du Hamas, des centristes « bien-pensants » aux partisans de la VIe République, des conservateurs aux néo féministes d’EELV, tout cela ne peut qu’aboutir à la catastrophe politique. Car notre vie politique ne peut pas se résumer au projet d’empêcher le RN de gouverner.

Depuis 2017, les Français expriment un désir fort de voir à la tête du pays une droite « dure » – les sondages d’opinion et même les élections en témoignent. Mais ce désir est frustré par la machine politique, judiciaire et médiatique : Fillon s’est fait écraser en pleine lancée par une drôle d’affaire médiatico-judiciaire. Marine Le Pen, devenue figure centrale de la droite, s’est heurtée plusieurs fois au barrage qui fait d’elle et de ses idées ni plus ni moins que l’héritière des pires heures de l’histoire.

Comment le pays peut-il garder sa cohésion alors que la volonté populaire est sans cesse entravée par des considérations relevant plus de la morale de cour de récréation que de l’analyse politique adulte ? Nos gouvernants ont fini par créer une situation dans laquelle l’opinion populaire est en décalage total avec ses représentants sur tous les sujets : immigration, économie, sécurité, éducation, etc.

Il ne s’agit pas d’apprécier le RN ou d’être d’accord avec lui, mais de reconnaître comme acteur normal de notre vie politique un parti qui représente maintenant un tiers des votants.

Michaël Sadoun

Comment comprendre autrement les appels incessants – et à mon avis illégitimes – à la démission d’Emmanuel Macron, pourtant réélu il y a seulement 3 ans ? Son élection en 2017 était déjà en soi une incongruité démocratique ; celle de 2022 était une victoire en forme de chantage au fascisme, qui n’avait soulevé aucun enthousiasme dans le pays.

Le sésame automatique qui résume la démocratie française à l’ambition de se retrouver au second tour contre le Rassemblement national détruit nos institutions, en plus de proscrire de nombreuses thématiques essentielles du débat politique.


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Il ne s’agit pas d’apprécier le RN ou d’être d’accord avec lui, mais de reconnaître comme acteur normal de notre vie politique un parti qui représente maintenant un tiers des votants. Julien Aubert, ex-député LR, le disait hier sur France 24 : « On a le droit de ne pas vouloir Bardella à Matignon, mais on n’a pas le droit de pervertir la démocratie pour aboutir au résultat qui nous convient ». Le barrage républicain organisé par Gabriel Attal a été un sabotage de la démocratie qui nous a menés à la fragmentation parlementaire et au désordre institutionnel. Nul ne sait maintenant comment la France doit se sortir de l’impasse. Mais une chose est sûre, les prochaines élections devront se dérouler sur un autre ton, et poser un débat public serein au lieu de faire tourner l’élection autour de la seule question, partisane et enfantine, de la respectabilité du RN.

Plus longtemps on contiendra la colère des Français, plus violente et anarchique sera son expression lorsqu’elle trouvera une voie.