Alors que les incursions de drones russes se multiplient dans l’espace aérien européen, le conflit entre Moscou et l’Occident semble s’enliser dans une guerre hybride. Invité de la matinale, Pierre Lévy, ancien ambassadeur de France en Russie, de 2020 à 2024, et auteur d’Au cœur de la Russie en guerre (Tallandier), raconte les dessous des relations franco-russes depuis l’invasion de l’Ukraine.
Selon Pierre Lévy, le Kremlin reste déterminé à poursuivre son offensive : « le président Poutine l’a répété début octobre : les objectifs seront atteints. » Mais pour l’ancien diplomate, cette obstination traduit surtout un mauvais calcul de sa part. « Vladimir Poutine a fait une erreur historique majeure : il pouvait très bien vivre avec la situation telle qu’elle était auparavant. Il avait des moyens d’affaiblir Volodymyr Zelensky, et il a pensé que tout serait réglé comme lors de la prise de la Crimée en 2014. » Pierre Lévy considère que même si le conflit s’interrompt un jour, « la guerre [en Ukraine] se poursuivra et si la guerre s’arrête, la confrontation avec l’Occident, elle, se poursuivra parce qu’il y a des consubstantiels aux régimes de Vladimir Poutine. »
L’invité de David Abiker soulève également le fait que Donald Trump s’attribue le rôle de médiateur et a tendance à « considérer que la guerre actuelle est celle de Joe Biden, et que s’il avait été là il n’y aurait pas eu ce conflit. » De plus, il accuse les Européens d’être des « fauteurs de guerre tandis que lui veut la paix… On voit bien que c’est une sorte d’« égonomie », c’est-à-dire gérer son égo pour éviter un changement de pied de sa part. Mais la Russie maintient son cap. »
Des relations diplomatiques fragilisées
Le soutien affiché de la France à l’Ukraine a rapidement tendu les relations bilatérales. « La France a été déclarée, comme les autres pays européens, d’« État inamical » en 2022 », rappelle l’ancien ambassadeur. « Une quarantaine de mes collaborateurs ont été expulsés, ce qu’on appelle les « persona non grata ». […] C’est la première fois que ça m’arrivait en plus de 40 ans de carrière et c’est un déchirement. » Une situation inédite depuis la fin de la guerre froide. Ces tensions se sont doublées d’un climat de grande pression psychologique.
Pierre Lévy évoque notamment les heures d’incertitude lors de la rébellion du groupe Wagner : « Je ne suis pas un grand courageux, mais c’est une pression mentale très forte. Par exemple, quand il y a eu le coup de force de Prigojine, on voyait la société militaire privée Wagner progresser vers Moscou et nous nous mettions en ordre à l’ambassade de manière à pouvoir répondre à toute situation, s’ils arrivaient le soir à Moscou. »
A lire aussi
Dans la Russie d’aujourd’hui, la population vit entre adhésion et résignation. « À peu près 15 % des Russes sont vraiment contre la guerre, 15 % sont des ultranationalistes qui veulent aller jusqu’au bout, et la grande majorité de la population est soumise à une propagande effrénée, persuadée que c’est l’OTAN qui attaque. » Pierre Lévy décrit un pays où la peur s’est installée, jusqu’aux détails du quotidien : « à un moment je prenais beaucoup les taxis et je me suis aperçu, soudainement, que les taxis ne parlaient plus. Quand un chauffeur ne parle plus, c’est un indice de l’ambiance générale. » Pourtant, il remarque « qu’une part croissante de la population veut une négociation de paix mais sans doute selon les conditions russes. »
Daphnée Cataldo
Retrouvez les articles liés à l’actualité internationale