Par

Amandine Mehl

Publié le

10 oct. 2025 à 15h05

Le 8 juillet dernier, Mehdi*, âgé d’une trentaine d’années et employé en tant que mécanicien depuis 2019 par Keolis, opérateur privé de transport public de voyageurs en charge du réseau Stan dans le Grand Nancy, a reçu une vidéo de l’un de ses collaborateurs sur Snapchat.

Sur celle-ci, on y voit l’homme, qui se trouve dans un bâtiment de l’entreprise, se filmant en train de brûler un autocollant « Free Palestine », avant de lancer « C’est comme ça qu’on brûle les Arabes et les juifs ». Si cet acte lui a valu deux jours de mise à pied, à l’issue d’un conseil de discipline, Mehdi juge cette sanction bien trop légère et dénonce des actes racistes dans ce service qui durent depuis plusieurs années.

Des actes de sabotage menés sur les véhicules réparés par Mehdi

« Cela fait six ans que je subis ça, entame le trentenaire. Ils savent que je suis musulman. Au départ, il y avait des phrases comme : « C’est quoi ce travail d’arabe ? », « On en a marre d’eux », « Il faut que Jordan Bardella (RN) passe ».

Puis, sont arrivés « les actes de sabotage ». Outre des dégradations répétées sur sa caisse à outils, le mécanicien évoque « des crasses sur les véhicules » dont il avait la charge. « Le sabotage portait sur la partie mécanique. Lorsque j’arrivais au travail le matin, je constatais des dégradations qui n’étaient pas présentes à mon départ la veille. Notamment au niveau des freins ou de la courroie de distribution ».

Mehdi assure avoir fait remonter l’information à ses supérieurs, en vain. Une situation jugée « gravissime » par Hicham Bouguerra, délégué syndical UST Keolis Grand Nancy.

Quand on sabote le travail d’un collègue, non seulement on nuit à la personne, mais il y a aussi un gros problème de sécurité vis-à-vis des usagers et du personnel roulant. On n’a plus confiance ! Mais le pire, c’est de savoir que les responsables du service sont au courant et qu’ils n’interviennent pas. Ils ont fermé les yeux et laissé pourrir la chose.

Hicham Bouguerra
Délégué syndical UST Keolis Grand Nancy

Votre région, votre actu !

Recevez chaque jour les infos qui comptent pour vous.

S’incrire
Une menace déguisée à la sortie du conseil de discipline

La situation a fini par se dégrader d’autant plus, il y a deux ans et demi, lorsque Mehdi a retrouvé son poste après un arrêt maladie. À son retour, ses casiers avaient été tagués de plusieurs « SA », comme nous avons pu le constater sur une vidéo. Pour l’intéressé, ces initiales ne sont ni plus ni moins qu’un raccourci de « sale arabe ». « J’ai fait remonter à ma direction, mais comme souvent au service technique, tout passe sous la table », rapporte-t-il.

Puis, est arrivée la vidéo. « Il a alerté la direction, mais ses supérieurs s’en fichent. Ils ont même fait une attestation en faveur du mécanicien qui a brûlé l’autocollant pour qu’il puisse se défendre au conseil de discipline », relate M. Bouguerra.

J’ai contacté les syndicats directement, car je savais que si j’allais voir la direction, ils n’allaient rien faire. J’ai appris que la personne passait en conseil de discipline lorsque j’étais en congé paternité. Je me suis dit, c’est bien, il va être sanctionné et plus personne ne fera des choses comme ça. 

Mehdi
Mécanicien chez Keolis

Conseil de discipline qui se serait d’ailleurs soldée par une menace déguisée. « À la sortie, le représentant syndical qui défendait l’employé est allé voir le chef d’équipe de Mehdi et lui a dit « Il y en a un qui a de gros soucis à se faire », assure le délégué syndical.

Une photo d’Adolf Hitler et de Benito Mussolini glissée dans sa caisse à outils

De retour après son congé paternité, le mécanicien a constaté que certains de ses collaborateurs ne le saluaient plus. « Ne lui serrez plus la main, étant donné ce qu’il a fait », aurait en effet lancé un responsable.

Mais l’acte « de trop » est finalement survenu quelques semaines plus tard après le conseil de discipline, le 28 septembre, quand le trentenaire a ouvert sa caisse à outils et y a découvert deux photos. L’une montrant Adolf Hitler et Benito Mussolini avec la mention « Non aux Arabes, fuck l’islam », l’autre affichant le drapeau du Front National, devenu depuis Rassemblement National. Là encore, ses supérieurs ont été informés, en vain selon lui.

Je ne me sens pas bien. Moralement, j’ai pris une claque. Quand j’ai trouvé les deux images, j’avais envie de tout casser. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Mehdi
Mécanicien chez Keolis

« C’est ce qui m’a le plus détruit. Je me sens abandonné par la direction ! C’est grâce aux syndicats que j’ai tenu le coup et que j’ai déposé plainte. S’ils n’avaient pas été là, j’aurais fait une connerie depuis longtemps ! Je suis un être humain, j’encaisse, car j’ai une famille et que je ne veux pas tout gâcher, mais là ça va trop loin », confie Mehdi, très affecté moralement et ne se sentant plus en sécurité au sein de son travail au point d’être en arrêt maladie.

« Des faits inacceptables et contraires aux valeurs de Keolis »

Contactée par Lorraine Actu, Gaëlle Bardoul, directrice de Keolis Grand Nancy, évoque « des difficultés interpersonnelles au sein de l’entreprise, pour plein de motifs », qui ont donné lieu à la création d’une charte des valeurs par son prédécesseur en 2021, axée sur le respect, la tolérance et la neutralité. « On est une grande entreprise avec 850 salariés, il y a des sujets qui existent, il ne faut pas les nier », reconnaît-elle.

Si elle se refuse de faire des commentaires sur l’affaire, une plainte ayant été déposée et une enquête étant en cours, elle assure que la direction a « signifié à l’ensemble du personnel que ces comportements et agissements étaient inacceptables et contraires aux valeurs de Keolis ».

Quid des deux jours de mise à pied ? À ce sujet, Mme Bardoul rappelle qu’elle ne participe pas aux conseils de discipline, mais qu’elle est rendue destinataire des décisions prises par les membres présents. « Sauf cas très exceptionnel où je considère que la sanction n’est pas proportionnée, je suis l’avis du conseil. On tient compte des états de service de la personne concernée, mais je ne peux jamais garantir que tous les éléments en ma possession sont l’intégralité des faits commis. J’essaie d’être la plus juste possible en restant proportionnée entre les salariés ».

« On camoufle des choses, c’est inacceptable »

Profondément choqué par cette affaire, Hicham Bouguerra se réjouit que l’enquête des forces de l’ordre avance. En revanche, il estime que si ces faits se produisent depuis plusieurs années malgré l’existence de la charte, alors celle-ci n’est pas suffisante.

On est dans une situation où il y a des actes racistes depuis plusieurs années dans ce service. Aucune mesure n’a été mise en place. On est un service public, on a ce principe de neutralité, de respect et de bien vivre ensemble. On camoufle des choses, c’est inacceptable. 

Hicham Bouguerra
Délégué syndical UST Keolis Grand Nancy

S’agissant de la sanction infligée au mécanicien, là aussi, l’incompréhension règne. « Quand on sait que deux employés ont pris dix jours de mise à pied pour avoir subtilisé un rouleau de papier et des ramettes de papier… », termine-t-il, consterné.

*Le prénom du concerné a été modifié.

Personnalisez votre actualité en ajoutant vos villes et médias en favori avec Mon Actu.