C’est en tout cas ce que clame à l’occasion de sa rentrée 2025/26 (effective depuis septembre) la direction de l’Université de Saint-Etienne / Roanne, pointant une nouvelle hausse significative de ses effectifs étudiants, de nouvelles formations et associations avec d’autres établissements d’enseignement supérieur. Le « malgré tout » ? A l’image des collectivités locales, cette incertitude pesante quant à son financement public tandis que la logique de revenus captés auprès du privé arrive à bout. Celle des économies internes aussi.  

La rénovation du campus Tréfilerie, côté nord, est achevée. ©J.-S. C. pour If Saint-Etienne

Nous avions laissé sa direction avec des nouvelles budgétaires peu réjouissantes. Cependant moins graves que les craintes exprimées quelques mois plus tôt. C’était en juin dernier à l’occasion d’un point presse de mi-mandat. Dix mois plus tôt, à la rentrée 2024, Stéphane Riou, alors vice-président « chargé des moyens » avait annoncé la fatalité de cette « première » peu festive pour l’université Jean-Monnet : un déficit budgétaire avec un trou pronostiqué sur l’exercice 2025 de 3 M€ (sur 187 M€ de budget) puis, plus tard dans l’année de 5,5 M€ attendus.

En cause ? A l’image des collectivités locales, une brusque hausse de ses charges relative à l’augmentation du point d’indice des agents décidé mais non assumé financièrement par l’Etat, alliée à l’accentuation du surcoût énergétique de plus d’1,5 M€, au sein de ses dizaines de milliers de mètres carrés plus ou moins vieux – et donc plus ou moins passoires -, repartis à Saint-Etienne (et l’IUT de Roanne). S’est ensuite ajoutée la crainte d’un rognage de taille sur le financement de l’alternance : avec 1 400 étudiants alternants (+ 7 % cette année, ce qui fait d’ailleurs de l’université le 1er acteur ligérien en la matière), son développement continu depuis des plusieurs années lui apporte 11 M€ de revenus annuels. Le « rognage » a été finalement beaucoup moins mordant que prévu. Tant mieux.

Faire face financièrement

Reste que comme les entreprises, comme les Régions, Départements, intercommunalités, communes et les autres établissements d’enseignements publics, l’université navigue budgétairement à vue, au milieu du smog toujours plus épais de l’instabilité gouvernementale. Avec, pour ne rien arranger, un handicap irrationnel persistant, qui plus est pour une université généraliste, transdisciplinaire s’adressant à tous les publics, que son président Florent Pigeon continue à dénoncer : selon la direction de l’université Jean Monnet, ses dotations d’Etat sont historiquement moindres vis-à-vis d’établissements de calibre comparable – Angers par exemple – et ce n’est pas une paille. La différence de traitement serait encore de l’ordre de 25 M€ ! Et cela après avoir enfin obtenu une légère compensation en 2022, d’un comblement à hauteur de 10 % de la différence de traitement.

Nos directeurs de laboratoire ont signé et continuent à signer des contrats avec le privé mais cela a ses limites et les entreprises ont les leurs. Comme pour les nombreuses économies de fonctionnement déjà effectuées.

Florent Pigeon, président de l’université Jean-Monnet

« Il ne s’agit pas de montrer du doigt ceux qui sont mieux lotis que nous. Mais de rappeler une problématique, de transparence et surtout d’équité territoriale, d’absence de critères rationnels qui l’expliquent, remarque Florent Pigeon. Comment fait-on face financièrement ? L’alternance fonctionne bien, on l’a dit. Mais aussi en poursuivant la logique de rapprochement gagnant gagnant avec le secteur privé sur des projets de recherche commun : nos directeurs de laboratoire ont signé et continuent à signer comme jamais des contrats mais cela a ses limites et les entreprises ont les leurs. Comme pour les nombreuses économies de fonctionnement déjà effectuées année après année, on en arrive au bout. Malgré tout, l’Université Jean Monnet se porte bien, continue à grandir, à porter un service public de qualité fournissant des formations correspondant aux besoins socio-économiques, à décerner des diplômes de qualité, reconnus. Mais aussi à publier sa recherche, à se rendre plus visible et à s’internationaliser. »

400 M€ générés par la présence de l’université

Rendre plus visible son impact économique sur le territoire, c’était aussi l’objet d’une étude – déjà classique dans de grandes universités françaises, une première pour elle – réalisée par les chercheurs de l’école d’Economie de Saint-Etienne mais à partir d’une méthodologie, de critères qui « ne nous sont pas propres » mais rodés sur la place publique par ailleurs. Les données analysées sont celles de l’année universitaire 2022/23. Il en résulte que l’Université Jean-Monnet qui emploie à elle seule près de 1 800 personnes (816 enseignants chercheurs), serait à l’origine de 6 300 emplois (directs, indirects et induits). « Par son fonctionnement, ses investissements, la consommation de ses personnels, de ses étudiants, ce sont plus de 400 M€ par an qui sont dépensés sur le territoire (108 M€ pour la seule présence étudiante dont l’apport est probablement vital pour la fréquentation d’un centre-ville tant en difficulté, Ndlr).»  

La présence étudiante à Saint-Etienne n’est, elle, en tout cas absolument pas menacée. Sur environ 30 000 étudiants, effectifs en progression constante, à Saint-Etienne, 21 500 sont inscrits dans les facultés et établissements au fonctionnement « autonome » (comme les IUT) universitaires. La progression est de 4 %, sans même compter l’intégration récente des 600 étudiants de l’école d’architecture, l’Ensase. Et sans cette dernière encore + 5 % de primo entrants ; + 14 % d’inscrits en Master (sans compter les « Meef »). La progression globale était déjà de 2 % à la rentrée précédente. Un rythme sur ces deux dernières rentrées que ne peut pas expliquer la démographie et supérieur à celui des effectifs totalisés par les universités françaises selon cette note d’information annuelle du SIES : 1 622 800 en septembre 2024 (+1,2 %) et 1 623 700 pour 2025 /26 (chiffre, là, estimé, + 0,1 % donc). Pour rappel, l’université Jean-Monnet, comptait 13 200 étudiants en 2007 et 18 000 en 2014.

La mue immobilière ouvre des portes

La hausse semble structurelle et il est vrai que la mue immobilière depuis 20 ans, de long cours donc, campus par campus, morceau par morceau, ne doit pas y être étrangère. Travaux majeurs successifs dont Tréfilerie vient d’ailleurs de sortir avec un certain retard par rapport aux annonces de 2021, au bout de 4 ans de chantier. Avant de prochainement, si l’argent public ne transforme pas son retard en pure absence, de replonger avec la réfection plus que nécessaire du Bâtiment D. Mais à part ça, comment expliquer le succès au moins quantitatif du recrutement ligérien ? « Nous n’avons que des hypothèses à donner à ce sujet, avertit Stéphane Riou. Nous pourrions mettre en avant la hausse de notre attractivité, le bouche à oreilles en notre faveur, l’amélioration considérable année après année de notre parc immobilier. Mais il faut aussi ajouter, très probablement, la difficulté financière croissante pour les parents d’envoyer ses enfants à Lyon avec un coût de la vie plus fort, surtout au niveau du marché immobilier, de moins en moins accessible quand… vous arrivez à y trouver un logement. »

Ce réflexe de beaucoup de familles à estimer que leurs enfants feraient, par exemple, de meilleures études de droit en allant à Lyon plutôt que Saint-Etienne semble disparaître.

Florent Pigeon, président de l’université Jean-Monnet

Ce n’est pas le principal problème de Saint-Etienne, effectivement… Mais ce handicap devient, vis-à-vis du monde étudiant, un atout. Son président, ajoute qu’il y a eu « probablement, une évolution de la perception de notre université socialement. Ce réflexe de beaucoup de familles à estimer que leurs enfants feraient, par exemple, de meilleures études de droit en allant à Lyon plutôt que Saint-Etienne semble disparaître. » Il y a aussi l’internationalisation de l’université stéphanoise – impliquée dans le programme de mobilité de l’Université européenne Transform4Europe – qui se poursuit. Plus de 12 % de ses étudiants (2 612) sont étrangers avec une progression nette dans leurs rangs, de + 21 %, des Européens contre + 7 % pour les autres pour un total de 125 nationalités représentées. Jean Monnet dénombre 271 partenariats avec des établissements étrangers.

Nouveaux diplômes

A noter d’ailleurs que parmi les nouvelles formations proposées par l’université Jean-Monnet, le Master « Digital Creativity Art & Science » (Digicrea) est un Master Erasmus Mundus « qui n’a pas d’équivalent en Europe ». Rattaché à la faculté des arts, lettres et langues (ALL) de l’UJM, il se destine à « former les créateurs de demain dans l’industrie de la musique, du cinéma ou des jeux vidéo ». Le premier semestre se déroule à Saint-Étienne, le second à Porto et le troisième en Pologne. Autres nouveaux diplômes : le Cycle Préparatoire et Diplômant en Ingénierie et Santé (PDIS), en partenariat avec les Mines, complet d’entrée de jeu, en cette rentrée 2025-2026, avec une première promotion réunissant 60 étudiants.

S’ajoute cette année encore le Master STAPS « Activité physique adaptée et santé – Parcours Évaluation de la Motricité en Sport-Santé, là aussi décrit comme « unique » en France et destiné « aux étudiants souhaitant se spécialiser dans l’encadrement et la gestion de structures sport-santé, en lien avec l’activité physique adaptée ». A la rentrée 2026, l’université proposera la Licence Professorat des écoles (LPE). « Ce projet d’ouverture d’une formation spécifique au métier s’inscrit dans un projet national de réforme de la formation initiale des professeurs destiné à repenser le parcours de formation et de recrutement dès la licence. » Pour le reste, cette année universitaire qui a commencé en septembre sera marquée par la poursuite de la logique de fédération et de coopération transversale de l’enseignement que souhaite continuer à développer l’université Jean-Monnet.

Campus Santé Innovation de l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne. ©Martine Leroy

Vecteurs de décloisonnement

Un objectif évident et nécessaire de décloisonnement, argue Florent Pigeon entre établissements qui ont beaucoup commun, beaucoup d’intérêts croisés et donc beaucoup à partager pour se compléter les uns et les autres, qu’il s’agisse d’enseignants de haut niveau, de recherche commune, de diplômes. Alors que les passerelles entre eux toujours plus solides, en particulier autour de l’accueil, accompagnement, de la vie étudiante stéphanoise, sont de toute façon déjà là, depuis des années. C’est ce qui a amené l’école d’architecture, l’Ensase à carrément rejoindre l’université tout en conservant son autonomie, la seconde permettant ainsi à la première de décerner désormais des doctorats, pour exemple de bienfondé du rapprochement.

Dans le même état d’esprit, mais en allant moins loin puisque seulement, basé sur une association de conventionnement devant se concrétiser début 2026, un rapprochement significatif est en cours avec l’école de design, l’ESADSE – EPPC Cité du Design. Et « non, ça n’a rien à voir avec ses difficultés (sujet fortement sur le devant de la scène en début d’année). Le projet est sur la table depuis plus de 2 ans et la constitution d’ARTS (institut fédère les établissements d’enseignement supérieur de la ville proposant des formations artistiques, Ndlr). » C’est encore cette logique de décloisonnement, là à l’échelle des métiers de la santé et de la prise en charge, le parcours des patients, qui pousse Jean-Monnet à transformer d’ici le début de l’année prochaine sa Faculté de Médecine en Faculté de Santé intégrant toutes les formations médicales et paramédicales.