Par

Laurène Fertin

Publié le

10 oct. 2025 à 15h50

« Il était impossible de trouver autre chose dans leur regard que de la violence. » Marie Mesmeur, députée LFI de la 1ʳᵉ circonscription d’Ille-et-Vilaine, a été emprisonnée dans les geôles israéliennes durant cinq jours, après que le navire Sirius, sur lequel elle voguait avec d’autres humanitaires de la Global Sumud Flotilla, a été arraisonné au large de Gaza, « à seulement 63 km des côtes palestiniennes ». Cinq jours au cours desquels elle dit avoir subi « violences » et « sévices » de la part d’Israël. Débarquée en Grèce, puis arrivée sur le tarmac de l’aéroport de Paris-Orly, lundi 6 octobre, l’élue tenait une conférence de presse à Rennes, jeudi 9 octobre.

Actu : Vous avez été interceptée par l’armée israélienne mercredi 1er octobre 2025. Comment cela s’est-il passé exactement ?

Marie Mesmeur : Nous avons été interpellés à 20h30, heure française. À 15h30, le lendemain, nous sommes enfin arrivés au quai du port de Ashdod [l’un des trois plus grands ports d’Israël, N.D.L.R]. L’armée a d’abord fait descendre la moitié de mon équipe. Moi, je suis sortie du bateau vers 21h- soit 24h sans manger et sans boire. Ensuite, nous avons été mis à genoux devant un hangar durant deux heures.

Alors que nous étions à genoux, Ben-Gvir, [Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale et dirigeant du parti d’extrême droite Force juive, N.D.L.R] était présent, avec des caméras : nous étions insultés, humiliés. Il y a eu un élan de solidarité, on a chanté « free Gaza » et on a été menotté avec des Serflex, mains à l’arrière du dos. Le sang ne passait plus. 

Marie Mesmeur

M.M : J’ai aussi été balancée au sol. Un Français a eu la tête cognée contre le mur et a perdu un bout de dent. Une fois relevés, nous sommes passés devant un hangar, composé de huit stands différents. Nos affaires ont été mises sur le côté. Nos sacs ont été balancés. Nous avons été entièrement fouillés dans une cabine. Tous nos effets personnels se rapportant à Gaza et à la Palestine ont été vidés.

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Vous avez été emprisonnée pendant cinq jours. Quelles ont été vos conditions de détention ?

M.M : Nous étions 14 femmes dans une cellule qui accueille cinq personnes. La nourriture est donnée à des heures totalement aléatoires pour nous perdre et on ne peut pas appeler cela de la nourriture – je tiens à rappeler toutefois que le peuple palestinien, lui, n’a rien et est affamé.

Nous sommes réveillées toutes les trois heures. On nous change de cellule volontairement pour nous désorienter. Lors des transferts, certaines personnes avaient les yeux bandés. Nous avons gardé les mêmes vêtements durant six jours. Nous n’avons pu prendre qu’une seule douche.

Nous avons hurlé pour demander des médicaments. Dans ma cellule, il y avait une femme qui avait un cancer. Une autre faisait de l’arythmie cardiaque. On n’a jamais eu d’eau potable ; l’eau changeait de couleur trois fois par jour. Il y a eu des infections urinaires longues.

Marie Mesmeur

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Êtes-vous passée devant un juge ?

M.M : Je suis passée devant un juge en présence de deux autres femmes, cela a duré cinq minutes. Ce dernier parlait en hébreu. Une femme faisait la traduction à distance sur WhatsApp. Je n’avais pas d’avocat. On nous demande de nous taire lorsque nous posons des questions. Le juge nous a dit que nous étions officiellement en garde à vue pour avoir franchi illégalement le territoire israélien – chose qui est totalement fausse car nous étions encore dans les eaux internationales. J’ai décidé de garder le silence. 

Vous dites avoir subi des violences dans les geôles. De(s) quelle(s) nature(s) étaient-elles ?

M.M : Nous avons vécu des violences physiques. Le dernier soir de notre incarcération, j’ai été battue car j’ai tenté de défendre deux de mes co-détenues qui étaient mises à terre et violentées par huit soldats. Celles-ci souhaitaient prendre des matelas pour dormir, alors qu’encore une fois, nous avions été changées de cellule, pour la troisième fois en cinq jours.

Je me suis interposée et j’ai pris plusieurs coups, dont je porte les traces encore aujourd’hui. Après cette scène, ils nous ont fait rentrer dans notre cellule en nous nassant dans le fond de celle-ci […]. Ils ont braqué des armes chargées sur nous, nous ont mis en joue. Il y avait un chien. Ils ont emporté deux femmes, dont l’une, Reyes Rigo Cervilla, qui est toujours détenue dans les geôles.

Marie Mesmeur

M.M : Il faut rappeler que je suis députée, blanche, européenne, j’ai un capital culturel, social, je peux parler et communiquer. J’ai été d’une certaine manière protégée malgré ces violences. Imaginez, à l’inverse, ce qu’ils sont capables de faire aux Palestiniens et Palestiniennes dans ces prisons.

Vous évoquez également des violences psychologiques ?

M.M : En arrivant dans notre cellule, nous avons été séparés des hommes avec qui nous étions sur le bateau. Nous n’avions le droit à aucun contact. Dans notre cellule également, il y avait une grande banderole où il était écrit, en arabe « new Gaza ». 

Deux télévisions ont par ailleurs été installées et diffusaient en continu les images du 7 octobre [de l’attaque du Hamas sur Israël, le 7 octobre 2023, N.D.L.R], avec une musique incessante.

Vous avez retrouvé des impacts de balles dans vos cellules, mais aussi des messages inscrits par les Palestiniens.

M.M : Il y avait en effet des messages cachés pour certains mais aussi d’autres, écrits au mur. Beaucoup de cellules pour hommes ont été repeintes avant que l’on n’arrive. Les cellules des femmes n’ont sans doute pas eu le temps d’être effacées. Les messages, écrits par les Palestiniens, rapportaient les dates d’arrestation et de déportations dans plusieurs prisons différentes.

Dans les cellules dans lesquelles j’ai été transférée, il y avait également des impacts de balle au plafond mais aussi sur les murs. Il y avait un coin de la cour où se trouvait un amas de sang séché.

Marie Mesmeur

Comment s’est déroulée votre extradition ?

M.M : Le dernier jour, nous avons été enfermés de 6h à 14h dans un bus sans aucune visibilité avec l’extérieur : pas d’heure, pas de nourriture, pas d’eau, pas de possibilité de voir un médecin alors que des personnes ont fait des malaises. Nous étions 26 femmes et nous ne pouvions pas bouger. Nous avons dû faire nos besoins dans ce bus, et sous des caméras.

Nous avons appris une demi-heure avant de rentrer à l’aéroport que nous allions en Grèce. Nous sommes arrivés à Paris-Orly le 7 octobre à 14h, avec un très bel accueil – mais qui n’était pas aussi puissant qu’en Grèce. Car en Grèce, le gouvernement a accompagné l’arrivée des participants alors que nous, notre consulat a été plus bas que terre et n’a pas protégé les ressortissants français.

Il ne s’est pas assuré de leur hébergement, de leur retour. On se demande s’il n’y avait pas une intention de séparer les participants français pour qu’ils arrivent à différentes heures et éviter ainsi une mobilisation et un soutien à Paris. 

Vous estimez, à ce titre, que l’État français n’a pas été la hauteur ?

M.M : Nous avons été livrés à nous-mêmes ; il y a des Français qui ont dû passer par Barcelone pour pouvoir rentrer en France. C’était vraiment inadmissible. Macron n’a pas eu un seul mot. Jean-Noël Barrot [ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, N.D.L.R] a parlé des passagers de la flottille comme des « voyageurs ». Nous savions que nous nous rendions dans un territoire où un génocide avait lieu, où l’on savait que nous allions être interceptés par des criminels de guerre. Et Jean-Noël Barrot ose nous comparer à des voyageurs. 

Qu’allez vous faire prochainement ?

M.M : Il faut continuer à lutter. À Rennes, ce soir à 18h30 [jeudi 9 octobre, N.D.L.R], il y a un rassemblement. Ce qui est certain, c’est que nous retournerons à Gaza. Une flottille, quelle qu’elle soit, brisera le blocus à l’aide humanitaire et permettra d’installer un corridor pérenne pour acheminer de l’aide. Nous avons déposé une proposition de résolution à l’Assemblée nationale qui porte 21 mesures immédiates afin de mettre fin au génocide.

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