Une personne âgée qui prend du paracétamol alors qu'elle souffre d'une insuffisance rénale.En France, plus d’un senior sur deux prend régulièrement du paracétamol selon l’Inserm. © Freepik

C’est un réflexe ancré. Une douleur, un peu de fièvre, et le geste est automatique : Doliprane®, Dafalgan® ou Efferalgan®. Le paracétamol reste l’antalgique le plus vendu en France. D’après l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), plus d’un Français sur deux en consomme chaque année, parfois plusieurs fois par mois.

Sauf que, derrière cette apparente sécurité, des chercheurs commencent à soulever le voile. Le paracétamol, utilisé de manière prolongée, pourrait abîmer les reins, notamment chez les personnes âgées. Un risque discret, mais réel et probablement sous-estimé.

Pourquoi le paracétamol peut devenir dangereux avec l’âge ? Utilisation du paracétamol chez les seniors : ce que montre l’étude britannique

Une vaste étude menée au Royaume-Uni entre 1998 et 2018 sur plus de 180 000 personnes âgées de 65 ans et plus a comparé les utilisateurs réguliers de paracétamol à ceux qui n’en prenaient pas. Résultat, les consommateurs réguliers présentaient un risque accru d’environ 19 % de développer une maladie rénale chronique. Les chercheurs ont aussi observé une relation dose-effet, plus la prise était fréquente et durable, plus le risque augmentait.

Ces données, publiées dans la revue Arthritis Care & Research et reprises par le Journal International de Médecine (jim.fr), ne prouvent pas une relation de cause à effet, mais elles pointent une association suffisamment nette pour inviter à la prudence. L’étude a également noté un surrisque de troubles digestifs et d’effets indésirables hépatiques, autant de signaux faibles, mais qui, mis bout à bout, rappellent que même un médicament “doux” peut ne pas l’être pour tout le monde.

Pourquoi les reins des seniors sont-ils plus vulnérables ?

Avec l’âge, la capacité des reins à filtrer le sang diminue naturellement. À 70 ans, le débit de filtration glomérulaire (DFG) a souvent chuté de près d’un tiers par rapport à celui d’un adulte jeune. Cette fragilité rend l’organisme plus sensible à la toxicité de certains médicaments même à doses normales.

Or, le paracétamol, s’il est surtout métabolisé par le foie, est ensuite éliminé par les reins sous forme de métabolites. En cas de fonction rénale diminuée, ces métabolites peuvent s’accumuler et exercer un stress oxydatif susceptible d’endommager le tissu rénal. Chez les sujets âgés, le risque rénal existe surtout quand le paracétamol est pris de manière répétée, parfois sans surveillance médicale. Il ne s’agit pas d’interdire le paracétamol, mais d’en rappeler la juste mesure. 

En France, la prudence est déjà de mise

Les autorités sanitaires françaises, elles, n’ont pas attendu cette étude pour recommander la vigilance. L’ANSM rappelle que la dose maximale quotidienne ne doit pas dépasser 3 g sans avis médical, et que la plus faible dose efficace doit toujours être privilégiée. La Haute Autorité de Santé (HAS) précise également que chez les personnes présentant une insuffisance rénale sévère, il faut espacer les prises jusqu’à huit heures. (has-sante.fr)

Dans les Résumés des Caractéristiques du Produit (RCP), l’avertissement est clair : “Le paracétamol doit être administré avec précaution en cas de maladie rénale ou hépatique. En cas d’insuffisance rénale sévère, l’intervalle entre deux prises doit être au minimum de huit heures.” Ces recommandations, souvent méconnues, visent à éviter la chronicisation des petites doses, ces prises répétées qui, à la longue, peuvent devenir insidieusement nocives.

Paracétamol chez les seniors : ni panique, ni banalisation

Les médecins appellent à un équilibre raisonné. Le paracétamol reste l’un des analgésiques les plus sûrs quand il est utilisé correctement. Il demeure la référence en cas de douleur légère ou modérée, de fièvre, et lorsqu’on doit éviter les AINS. Mais comme tout médicament, il nécessite un usage éclairé.

Un patient âgé, hypertendu ou diabétique, sous plusieurs traitements, doit en discuter avec son médecin avant d’en faire un réflexe. Car, un comprimé isolé n’est pas un problème. Ce qui l’est, c’est la prise quasi quotidienne pendant des mois, souvent sans suivi biologique.  Une simple analyse de sang permet pourtant de vérifier la fonction rénale (créatinine, DFG). Ce suivi devrait faire partie des bilans réguliers des seniors consommant des antalgiques au long cours.

Vers un nouveau regard sur la douleur

Au-delà du médicament, cette question interroge notre rapport à la douleur. Dans une société où l’on médicalise la moindre gêne, apprendre à accepter un certain seuil de douleur ou à explorer des alternatives non médicamenteuses (kinésithérapie, relaxation, chaleur, activité physique douce) devient un enjeu de santé publique.

Le silence aussi peut s’apprivoiser. Ne pas réagir à chaque douleur par une gélule, c’est redonner à son corps la possibilité d’exprimer ce qu’il ressent sans immédiatement l’étouffer. Et peut-être, dans ce silence retrouvé, préserver ses reins et sa santé un peu plus longtemps.

À SAVOIR 

Selon un rapport conjoint de l’Inserm et de l’Assurance Maladie publié en 2023, près de 10 % des plus de 65 ans en France présentent déjà une insuffisance rénale chronique, souvent sans le savoir. Ce chiffre grimpe à près d’un quart après 75 ans.

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