Des boîtes de maïs et des produits cosmétiques remplies d’explosifs ? Ce qui ressemble un scénario de film d’espionnage est aujourd’hui au cœur d’une véritable enquête de sécurité nationale en Pologne. Selon le quotidien polonais Gazeta Wyborcza – dans un article publié début octobre et confirmé par plusieurs médias lituaniens – les services de renseignement polonais et l’Agence de sécurité intérieure (ABW) enquêtent sur une vaste opération de sabotage orchestrée par le renseignement militaire russe (GRU). L’affaire, restée confidentielle plusieurs mois, aurait éclaté à l’été 2024, en pleine période de l’Euro de football, alors que les pays d’Europe de l’Est étaient en état d’alerte renforcée.
Les enquêteurs polonais affirment avoir retrouvé des explosifs dissimulés dans des boîtes de conserve, étiquetées comme du maïs, ainsi que du matériel lié à la fabrication de drones. Ces éléments auraient été découverts en Pologne et en Lituanie. D’après les sources citées par Gazeta Wyborcza, le GRU aurait préparé des attaques coordonnées à l’aide de drones équipés de charges explosives. »Une de [nos hypothèses] suppose que le GRU se préparait à un acte terroriste avec des drones et des boîtes de conserve, qui, à la place de maïs, contenaient une puissante matière explosive », affirme l’un des informateurs du journal.
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Selon Gazeta Wyborcza, le GRU aurait recruté de simples exécutants, attirés par l’appât du gain plutôt que par une conviction politique. Parmi eux, Vladislas D., un Ukrainien de 27 ans installé à Katowice, présenté comme l’un des maillons clés du réseau. Recruté via la messagerie cryptée Telegram par un mystérieux interlocuteur se faisant appeler « Warrior », il aurait accepté de servir de coursier pour quelques centaines d’euros payés en cryptomonnaie. Selon les enquêteurs, son rôle consistait à transporter du matériel entre la Lituanie et la Pologne, en suivant des instructions précises, documentées par photo après chaque livraison.
Une enquête « vaste » impliquant « six suspects »
Dans le détail, Gazeta Wyborcza raconte qu’il se serait rendu à deux reprises dans un cimetière de Kaunas, en Lituanie, où il aurait déterré un sac contenant les fameuses conserves de maïs puis, plus tard, des pièces de drones destinées à l’Allemagne. Un expert militaire a ajouté au journal polonais que les quantités d’explosifs supposées avoir été impliquées auraient pu causer de graves dommages à une voiture et des blessures mortelles aux personnes à proximité.
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De leur côté, les autorités polonaises confirment l’existence d’une enquête « vaste » impliquant six suspects déjà identifiés. Si le mobile exact reste à préciser, les services de renseignement évoquent une opération de guerre hybride orchestrée par Moscou, destinée à fragiliser la Pologne — l’un des alliés les plus résolus de Kiev depuis le début de l’invasion russe. Varsovie est en effet en première ligne du soutien à l’Ukraine : plus de 3,3 milliards d’euros d’aide militaire et humanitaire ont déjà été versés, et près d’un million de réfugiés. Un engagement sans faille qui fait de la Pologne une cible toute désignée pour le Kremlin, souligne Euronews.
Semer la peur
Pour le coordinateur des services spéciaux polonais, Tomasz Siemoniak, ces découvertes ne seraient qu’un épisode d’un plan plus vaste, visant également la Lituanie et l’Allemagne. Ces derniers mois, une série d’incidents a d’ailleurs ravivé les inquiétudes européennes : des violations de l’espace aérien ont été signalées dans plusieurs pays, la Russie étant largement soupçonnée d’en être à l’origine. En Allemagne, l’aéroport de Munich a dû suspendre ses activités, début octobre, après la détection de plusieurs drones non identifiés, provoquant l’annulation de dix-sept vols. D’autres épisodes similaires ont été observés en Estonie et en Roumanie, renforçant l’idée d’une pression coordonnée à l’Est. Ces incidents successifs ont relancé le débat sur la mise en place d’un « mur anti-drones » destiné à protéger la frontière orientale de l’Europe.
De son côté, le think tank américain Institute for the Study of War (ISW), cité par le média public lituanien LRT et relayé par Courrier International, estime que la Russie pourrait bien mener des opérations de sabotage en Pologne tout en cherchant à en attribuer la responsabilité à l’Ukraine, dans le but de semer la peur et la discorde au sein de l’Otan. À mesure que l’enquête progresse, les « conserves de maïs russes » apparaissent comme le dernier avatar d’une stratégie de déstabilisation désormais permanente — où même les objets les plus ordinaires peuvent se transformer en armes.