Par
Clémence Pays
Publié le
11 oct. 2025 à 17h45
Les voix sont parfois encore tremblantes et l’émotion reste vive lorsque Marie-Thérèse et Christelle retracent leur parcours. Pour elles deux, leur histoire a commencé en Côte d’Ivoire. Malgré des trajectoires différentes, leur destin se sont entrecroisés au gré des obstacles, créant de malheureux points communs entre ces deux femmes, et tant d’autres. Des violences psychologiques, physiques et sexuelles ou encore de la précarité, elles ont réussi à en faire une force : celle du collectif et de la solidarité.
Christelle et Marie-Thérèse font partie d’Elles diront d’elles. Cette association basée à Rennes permet aux femmes – étrangères ou d’origine étrangère ayant subi des violences dans leur pays de naissance, en France ou durant leur parcours migratoire – de se réunir, d’échanger et se soutenir.
Pour Marie-Thérèse, « partager les expériences de chacune et aider les primo arrivantes, cela aide à marcher ». C’est notamment grâce à cela que cette Rennaise âgée d’une cinquantaine d’années a réussi à se relever après avoir connu l’indicible.
« On part dans la joie d’une aventure meilleure »
« Comme toute personne immigrée, je suis arrivée en France par le mariage et la vie est restée compliquée, avec des aléas. J’ai cherché à m’insérer et me battre », raconte Marie-Thérèse.
C’est alors qu’elle est veuve et maman d’une fille qu’elle est mise en relation, par le biais d’une amie, avec un homme français « qui voyageait ». Après avoir passé la plus grande partie de sa vie en Côte d’Ivoire et quelque temps au Maroc, Marie-Thérèse décide de changer de vie et de suivre cet homme qui deviendra son mari. « J’avais environ 40 ans. Et je n’étais jamais venue en France. »
On ne sait pas ce qu’il va nous arriver quand on suit cet homme. On part dans la joie d’une aventure meilleure. On quitte un pays pauvre pour quelque chose de mieux.
Marie-Thérèse
Ce qui motive surtout Marie-Thérèse, c’est de pouvoir subvenir aux besoins de sa fille, alors étudiante en médecine. « On laisse derrière nous une famille. J’ai confié ma fille à ma sœur, mais c’était pour payer sa scolarité. »
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De l’exploitation et des abus
Marie-Thérèse arrive donc en Alsace et s’installe avec son mari. Mais celui qui devait l’aider à trouver une vie meilleure change de visage. « Mon mari a confisqué mon passeport », raconte Marie-Thérèse, qui ne peut alors plus poursuivre ses démarches pour être régularisée.
On entre dans un champ de bataille inexpliqué.
Marie-Thérèse
Finalement, Marie-Thérèse et son conjoint se séparent. « Quand on divorce, notre titre de séjour est retiré. On est livré à soi-même. » Démarre alors « un engrenage de difficultés professionnelles, administratives et de liberté », poursuit la Rennaise.
Seule, loin de son entourage, Marie-Thérèse a « les mains liées » et tente de s’en sortir comme elle peut. Malheureusement, les mauvaises rencontres s’enchaînent. « Tu rencontres de l’exploitation, de l’abus… Ce tourbillon n’est pas sans conséquences physiques et mentales. »
À la rue, sans travail et sans papiers, Marie-Thérèse est victime de violences et « d’abus physiques ». Avec pudeur, elle ne s’étale pas sur la question.
Il y a beaucoup de dangers auxquels nous sommes confrontés en tant que femmes immigrées. On nous donne peu d’espoir. On n’a plus de dignité.
Marie-Thérèse
L’administration, un « long parcours »
Heureusement, la vie a mis sur le chemin de Marie-Thérèse « des familles » qui lui ont offert « un moment de répit ». La suite de son parcours l’a conduite à Rennes, où elle découvre l’Asfad, une association locale qui vient en aide aux femmes en difficulté et victimes de violences conjugales. Elle trouve également du soutien auprès de la Maison des femmes.
J’ai appris que j’avais le droit.
Marie-Thérèse
Pour Christelle, l’aide est arrivée in extremis, un soir, dans une ambulance. « Venir en Europe s’est imposé à moi, explique-t-elle. J’ai perdu mes parents et ma sœur était en France, j’ai voulu la rejoindre. »
Christelle quitte alors son emploi au sein du groupe Carrefour en Côte d’Ivoire et, visa en poche, arrive à Paris en 2017.
Sur place, elle fait « des démarches supplémentaires pour [s]’intégrer, avoir accès aux soins. C’est un long parcours, il faut aussi faire des demandes complémentaires pour travailler. »
« Ils disaient que je voulais juste des papiers »
Début 2018, Christelle se rend à un mariage et rencontre celui qui deviendra son conjoint. « Dès le départ, j’ai été honnête sur le fait de ne pas avoir de papiers. Il disait qu’il m’aimait et qu’il voulait m’aider », confie la Rennaise.
La relation se passe bien, malgré un entourage méfiant. « Ses proches disaient que je voulais juste profiter. On s’aimait et c’est ce qui comptait. Je ne lui demandais pas le mariage. »
Tout en menant ses démarches administratives de front, Christelle enchaîne « des petits boulots au black pour [se] défendre » et trouve une collocation. Au bout de huit mois de relation, son ami lui propose d’aménager ensemble et le couple se pacse.
Au début, c’était bien. Il était gentil. Mais quand on se promenait, on croisait ses amis, il y avait beaucoup de mépris et de racisme. Ils disaient que je voulais juste des papiers. Ça a été le début des problèmes.
Christelle
L’élément déclencheur a été un ami du conjoint de Christelle. « Ils buvaient beaucoup ensemble et étaient d’une grande méchanceté », raconte la jeune femme avec émotion.
La solitude face aux violences
Cette dernière se rend compte que son petit ami a un « problème d’alcool ». « Quand il reprenait ses esprits, c’était la lune de miel. Puis, il recommençait à boire… »
Les propos agressifs se sont mués en « violence à répétition ». Un jour, « il m’a menacé avec un couteau dans la maison ». Christelle appelle la police qui se déplace et constate ses blessures.
Je ne voulais pas appeler ma sœur. C’était une honte pour moi. Je vivais ça un peu seule.
Christelle
Après cet épisode, Christelle s’interroge. Mais le calme est revenu au sein du foyer. Jusqu’à un soir en plein mouvement des Gilets jaunes. Alors que Christelle est partie à Rennes « pour trouver du travail », son conjoint l’appel « ivre ». Il lui demande où elle est, la menace. Christelle décide de rentrer à Paris.
À peine rentrée chez elle, Christelle fait face à un torrent de violence. « Il m’a sorti des toilettes, m’a donné des coups au visage. J’ai couru dehors. Il était tard, je n’avais rien sur moi, pas de manteau. C’était le froid total. Je me suis évanouie par terre. »
« J’ai beaucoup bataillé »
« J’ai ouvert les yeux dans l’ambulance », poursuit Christelle la voix tremblante. C’est finalement à partir de ce moment qu’elle trouve une aide pour sortir de cette situation. Hospitalisée pendant près d’une semaine, un policier – qui était déjà venu à son domicile – lui conseille de porter plainte contre son conjoint. « Mais j’avais peur des menaces. J’avais vraiment peur. Mais le policier m’a soutenue. »
Des associations viennent aussi à sa rencontre et contactent le 3919, le numéro d’aide réservé aux femmes victimes de violences. « Ils m’ont trouvé une place à Rennes. »
Les premiers mois elle reste à l’hôtel en attendant qu’une place se libère au centre d’hébergement de l’Asfad. « Il fallait toujours renouveler mes droits auprès du 115. Je me défendais avec la maraude de la Croix rouge. »
Quelques mois plus tard, une place se libère. Christelle obtient également un titre de séjour et travaille dans le ménage pour une maison de retraite. La situation de Christelle se débloque petit à petit. Avec une assistante sociale, elle fait une demande de logement fin 2021, trouve du soutien auprès d’une psychologue et évolue professionnellement.
« Je voulais être dans les soins. » La Rennaise, qui a aussi travaillé à l’hôpital Guillaume-Régnier, suit actuellement une formation pour devenir aide-soignante.
J’ai beaucoup bataillé. Là encore, je lutte pour les papiers et renouveler mon titre de séjour.
Christelle
Continuer le combat pour toutes les autres
En parallèle, Christelle mène un autre combat judiciaire, face à son ex-conjoint, « en tant que victime de violence ».
« Pour mon dossier, je suis aidée par une juriste d’Elles diront d’elles », précise Christelle qui s’est investie elle aussi dans l’association. « Les groupes de parole, c’est important pour entendre les victimes et d’apporter une aide pour les orienter. »
« Cette fraternité nous aide, on se donne des informations, confirme Marie-Thérèse. Nous ne voulons pas que les autres soient confrontées aux mêmes choses que nous. »
Et même si la Rennaise a obtenu sa carte de séjour et vient de se marier avec « un gentil », elle compte « rester dans le militantisme et disponible pour aider les autres ».
« Cela nous donne de la force, de rester dans la bataille pour les autres », conclut Marie-Thérèse.
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