Le Mensuel : Vous avez créé, à Rennes, ce que vous présentez comme la première bombe de peinture à air comprimé, sans gaz ni solvant. D’où vient cette idée ?
Thomas Bernad : C’est effectivement une première car aujourd’hui, 100 % des aérosols de peinture disponibles fonctionnent avec du gaz. Je ne suis pas tombé dans les bombes de peinture par hasard ! J’ai grandi en Dordogne dans une famille d’entrepreneurs, avec des parents entrepreneurs qui produisaient et vendaient des aérosols de peinture traditionnels à destination du monde professionnel.
Le Mensuel de Rennes
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DécouvrezC’est donc là que vous avez attrapé le virus de l’aérosol ?
J’ai grandi avec cette entreprise. Ensuite, j’ai fait des études d’ingénieur en mécanique (à l’Insa de Rennes, NDLR) et un master d’entrepreneuriat (à la Rennes School of Business, NDLR), en voyant qu’il y avait quelque chose à faire dans un secteur qui n‘a pas beaucoup évolué depuis la Seconde Guerre mondiale. Une bombe de peinture, c’est globalement toujours la même chose : du gaz de pétrole inflammable et des peintures à base de solvants.
C’est qui ?
Originaire de Dordogne et issu d’une famille d’industriels de la peinture, Thomas Bernad (26 ans) s’installe à Rennes pour ses études d’ingénieur à l’Insa, qu’il complète par un master à la Rennes School of Business. C’est en 2023 qu’il crée Aerosolution, l’entreprise qui porte son projet de bombe de peinture innovante.
Donc votre objectif, c’était de concevoir un produit plus vertueux ?
Tout à fait. Le gaz, d‘un point de vue technique, c’est très bien. C’est moins bien d’un point de vue environnemental, sanitaire et de sécurité. Or les besoins sont là. J’ai rencontré des industriels qui veulent décarboner leurs activités ou diminuer les risques d’inflammabilité, des graffeurs qui ont des problèmes de santé ou encore des décorateurs qui n’utilisent pas de bombes parce que l’odeur est trop forte en intérieur.
Quelle technologie avez-vous privilégié pour développer un aérosol alternatif ?
Je me suis orienté vers des peintures à base d’eau et une propulsion par air comprimé. Contrairement au gaz, il est ininflammable, inodore et sans danger, mais il pose plusieurs défis techniques. La propulsion est moins forte avec de l’air qu’avec du gaz, par exemple. J’ai aussi dû trouver un système pour éviter que la peinture sèche et bouche le conduit. Au total, il m’a fallu trois ans et plus de 600 formulations pour arriver à un résultat qui fonctionne.
Comment avez-vous fait pour développer cette innovation ?
Au début, j’ai fait ça en parallèle de mes études et après mon diplôme, en 2023, j’ai créé ma société, Aerosolution (ils sont deux à temps plein aujourd’hui, NDLR). J’ai pu travailler sur mon projet dans le laboratoire de mes parents, en Dordogne. Mais leur entreprise a été vendue en novembre 2024, donc il a fallu que je trouve un autre endroit. C’est finalement la Celtique industrielle (une entreprise de Saint-Brieuc, NDLR) qui m’a accueilli dans un petit laboratoire, où j’ai pu installer mes propres machines.
Vous êtes un peu comme Steve Jobs, qui a commencé à travailler sur ce qui deviendra Apple dans son garage…
C’est un peu ça ! Dès aujourd‘hui, je suis en mesure de produire. Et pas de façon artisanale, mais plusieurs milliers de bombes de peinture, si besoin.
Pourquoi aucun produit à air comprimé n’a été lancé jusqu’ici ?
Parce que la technologie actuelle est éprouvée depuis soixante ans et qu’elle fonctionne bien. Par ailleurs, quand on enlève le gaz et les solvants, de nombreuses problématiques techniques se posent, ce qui a pu freiner ou stopper les développements.
Quels marchés visez-vous ?
En soi, je pourrais cibler de nombreux marchés. Mais parce qu’on ne peut pas tout faire en même temps, on se concentre dans un premier temps sur les sujets plus difficiles, ceux qui demandent une pulvérisation très précise : la décoration et le street art. Ce n’est pas très grave si un trait au sol sur un chantier n’est pas parfaitement atomisé. C’est différent lorsqu’on rénove un meuble ou qu’on fait du graff, il faut que ce soit parfait.
Potentiellement, votre clientèle est assez large.
Absolument, on touche les particuliers comme les professionnels. Puisque le produit est nouveau, nous avons décidé de nous lancer avec notre propre marque, Be morpho, plutôt que de produire en marque blanche pour d’autres.
Vous dîtes que vous êtes en mesure de produire. Votre produit est-il déjà disponible à la vente ?
La formule pour la décoration est prête et elle le sera prochainement pour les grapheurs. Nous avons commencé les ventes cet été dans le cadre d’une campagne de pré-commandes en ligne sur le site Ulule. Cela me permet de comprendre les couleurs que les gens recherchent le plus et d’adapter la production derrière. Les livraisons seront faites en septembre. On passera à la vitesse supérieure ensuite.
En termes de prix, comment vous positionnerez-vous ?
Pour la décoration, on essaye d‘être dans les prix du marché, entre 12 et 15 € la bombe. Pour les graffeurs, il y a un sujet. Leur portefeuille, souvent, n’est pas extensible et ils consomment énormément de peinture. Or multiplier les bombes à 12 ou 15 € revient vite cher. Nous travaillons donc avec eux pour optimiser les choses et nous permettre d’être plus proches de leur positionnement.
Pour qu’une petite entreprise se développe, il faut de l’argent. Prévoyez-vous de réaliser une levée de fonds ?
Jusqu’ici, nous avons été aidés par la Région Bretagne et j’ai contracté plusieurs prêts, sans compter le capital que j’ai investi initialement avec le soutien de ma famille. Tant qu‘on n’a pas de preuve claire que le marché est intéressé, notre politique est de ne pas trop investir. C’est ça qui nous a permis de tenir jusqu’ici. Ça, et manger beaucoup de pâtes aussi !
