Médecin de santé publique, Hélène Rossinot aime le côté protéiforme de sa discipline, s’immerge dans diverses situations, se mobilise en faveur des aidants. Secouant la sphère publique, elle consacre plusieurs livres à cette cause à laquelle elle donne relief et visibilité. Accaparée par sa mission, elle s’oublie elle-même. Poussée par le besoin d’agir, affectant d’aller bien, même si elle se bagarre contre la douleur, elle enferme ses problèmes de santé et avance. Autant elle a du souffle pour rendre compte des difficultés d’autrui, autant elle restreint le champ de l’expression dès qu’elle doit incorporer son cas au récit.
« Jusque-là je n’avais rien dit, je m’aperçois que je vis bien mieux depuis que j’en ai parlé »
Hélène Rossinot a beaucoup hésité avant de publier Revivre malgré la douleur. En librairie depuis le 2 octobre, l’ouvrage est un tableau des interrogations sur la nature d’un mal non identifiable et non détecté. Il relate avec sensibilité, émotion mais aussi pudeur, le fonctionnement d’une machine destructrice qui broie le corps et démolit l’âme. La confession est-elle salutaire ? La première version écrite au début de l’année tire le fil sans entièrement le dérouler. Alors, pour rendre plus palpable ce qu’elle ressent et que d’autres éprouvent, elle entremêle d’autres expériences qui s’intercalent et interpellent. La description se développe à plusieurs niveaux : celui de la narration, celui du souvenir des angoisses, des recherches de la vérité et du mur auquel on se heurte faute de ne pas savoir. Face à la souffrance chacun est enfermé dans son impuissance : le malade qui ne peut rien sinon subir et tenir le choc face à ce qui le torture ; le médecin qui n’a pas de solution thérapeutique. Tout devient instable, l’existence ressemble à une trajectoire forcée dont nul n’aperçoit la fin.
Pour préparer son trajet vers les confidences qui lui ont permis « de coucher sur le papier sa propre douleur », Hélène Rossinot a forcé la porte de l’intime. « Avoir commencé à en parler à des gens très proches de moi, bénéficier de leur soutien, de leur compréhension, de leur envie d’être présentes pour m’entourer, a été le déclic. Ensuite les messages que j’ai reçus après avoir fait état de mon cas plus largement, y compris dans les réseaux sociaux, m’ont convaincue de l’intérêt d’écrire ce livre. »
La décision prise, elle exclut de s’en tenir à un monologue. Son but est d’élargir le champ des témoignages, de faire tomber les murailles qui enferment et isolent. « Je me suis rendu compte que j’avais publié tous mes livres précédents en tant qu’experte, sans jamais me mettre à l’intérieur. J’ai compris que partager les expériences gommait l’aspect donneur de leçon. Je relate les histoires recueillies pour montrer tous les aspects de la douleur. Peu importe la pathologie, on affronte tous les mêmes choses. J’ai accepté de me mettre au milieu mais c’était assez cathartique. Ça m’a fait beaucoup réfléchir sur la manière dont je me traitais et sur cette espèce de contrôle que je m’imposais tout le temps. Ce livre m’a fait du bien. »
Additionner les vécus, décrire ce qui fragilise dans la vie personnelle, sociale, professionnelle, expliquer les difficultés pour obtenir un diagnostic et une prise en charge adaptée, nourrissent les questionnements sur les limites et les inconnues de la médecine. Même si les progrès s’accélèrent, les avancées se heurtent à des résistances. D’ailleurs la relation médecin-malade sera toujours un élément déterminant. Hélène Rossinot le sait et l’admet. « Regardez nos études de médecine. On n’apprend pas à annoncer de mauvaises nouvelles aux patients, on n’apprend pas à communiquer, on n’apprend pas à écouter. On surspécialise les étudiants au lieu de s’occuper d’eux dans leur spécialité et de leur apprendre l’humanité. Moi ça me pose un vrai souci. Il ne s’agit pas de critiquer les médecins, mais il est important qu’ils écoutent et croient leurs patients. »
Hélène Rossinot est atteinte de spondylarthrite ankylosante. Elle expose dans le livre la manière insolite dont elle parvient à mettre un nom sur sa maladie. Laissons à ses lecteurs le plaisir de satisfaire leur curiosité mais l’enchaînement atteste que la découverte peut se nourrir de souvenirs. « Je prends un maximum de données sur un sujet puis je les laisse en arrière-plan. À un moment tout ressort sous forme de solution. »
Le livre n’est pas une forme d’exutoire ni une façon refermer des cicatrices. Rien à voir avec des mémoires circonstanciées mais plutôt une sortie de la nuit, une chronique du réconfort et de l’espoir. « Écrire m’a appris que je n’avais pas besoin d’être forte tout le temps pour être aimée et pour avoir de la valeur. Ça m’a fait du bien et, surtout après avoir grandi avec le regard de gens tout le temps sur moi, d’accepter qui j’étais. Jusque-là je n’avais rien dit, je m’aperçois que je vis bien mieux depuis que j’en ai parlé. Ça facilite mes relations avec mes proches qui comprennent mieux certaines de mes réactions. » Apaisée, délivrée d’une sorte de pesanteur qui l’entravait, Hélène Rossinot aborde des jours encore douloureux mais beaucoup plus heureux.
« Revivre malgré la douleur » (Robert Laffont)