Au matin du huitième jour, avant que la cloche ne rouvre l’audience, la cour d’assises avait soudainement été prise d’un frisson à l’heure d’entrapercevoir la présidente convoquer en aparté les deux régiments d’avocats. Dans la coulisse, le murmure se faisait plus éclatant, où l’on jurait alors que le corps retrouvé la veille dans un cimetière de l’agglomération toulousaine était bel et bien celui de Delphine Jubillar. Fausse piste, une de plus parmi toutes celles explorées en vain par les enquêteurs depuis l’hiver 2020.

Abandonné après avoir été construit en 1928 par-dessus de profonds puits d’extraction, l’ancien lavoir à charbon est devenu l’inextricable repaire d’une faune interlope.

Abandonné après avoir été construit en 1928 par-dessus de profonds puits d’extraction, l’ancien lavoir à charbon est devenu l’inextricable repaire d’une faune interlope.

S. C. / SUD OUEST

Tant et tant que Donat-Jean, l’amant de Montauban, dira à la barre s’être lui-même trop longtemps accroché à cette illusion perdue. « J’ai mis deux ans à sortir du déni qui me faisait l’espérer toujours vivante. » D’autres, engagés volontaires au sein d’une petite armée de complotistes en tout genre, s’y vautrent encore, convaincus que la jeune infirmière est partie faire le djihad la fleur au fusil, à moins qu’elle ne coule des jours malheureux chez les témoins de Jéhovah. Morts ou vivants, à leurs yeux bouffis d’orgueil, les absents ont toujours tort. Pour la justice autant que ses proches, Delphine, hélas, est officiellement morte et enterrée dans les environs de Cagnac-les-Mines.

Nature hostile

Qu’importe, davantage que le manque d’aveux ou de preuves, celui de son cadavre hante depuis trois semaines les débats, offrant à la défense quelques rares occasions de s’engouffrer dans la brèche du doute. « On l’a vu pour l’affaire du petit Émile, avec de tels moyens mis à votre disposition, vos chances de la retrouver étaient multipliées par mille », feint de s’étonner Me Emmanuelle Franck à l’adresse des gendarmes. Au lendemain de la disparition, sous les ordres de la commandante de la compagnie d’Albi, c’est une troupe de 170 militaires armés de drones, de sonars ou de chiens qui fut en effet envoyée à l’assaut du moindre recoin suspect. « Sur sept kilomètres de long pour cinq de large autour du domicile », a plaidé la lieutenant-colonel en évoquant le laps de temps dont disposait Cédric Jubillar pour jouer les fossoyeurs lors de cette paisible nuit sous couvre-feu sanitaire.

Le sinistre lavoir à charbon, dangereux repaire d’une faune interlope

Explorée de fond en comble pendant plus d’un an, cette nature est plus hostile qu’il n’y paraît pourtant sur la carte postale. Vestige d’un monde englouti depuis le déclin de l’industrie minière achevé ici en 1997, d’Albi à Carmaux les environs cachent en réalité un inextricable dédale souterrain, entrelacs de puits et de galeries disparus des radars autant que des mémoires.

Comme pour mieux illustrer le défi qu’il n’a pas réussi à relever, c’est une éloquente carte d’état-major en main que le directeur d’enquête est venu défendre sa cause malmenée par les avocats de l’accusé. Et d’y pointer la complexité du plus vieux bassin houiller de France, là où trois siècles durant des nuées de mineurs seront allées puiser leur misérable salaire jusqu’à 180 mètres de fond. « Une zone sans fin, offrant beaucoup d’opportunités à celui qui aurait prémédité d’y dissimuler un corps », insiste le major Bernard Lorvellec. D’ailleurs, bien qu’en partie sécurisées, les entrailles de cette terre abandonnée souvent ressurgissent à ciel ouvert « au gré des mouvements de terrain, des failles et des cavités inconnues de tous ou presque. »

Les spéléos renoncent

À dix petites minutes en auto de la maison du couple, longtemps les enquêteurs ont cru toucher du doigt le mystère Jubillar. Et certains de le penser encore, au pied du sinistre lavoir à charbon de Blaye-les-Mines. Ouvert aux quatre vents de la clandestinité depuis son abandon, le site est devenu repaire interlope de tout ce que la région compte de graffeurs, fans d’urbex (exploration urbaine) et autres « teufeurs » plus ou moins défoncés.

Au sortir d’une clairière, haut perché par-dessus les puits d’extraction, ce monstre de béton et d’acier mêlés aura d’ailleurs nécessité l’intervention complexe du Groupe de spéléologues de la gendarmerie nationale (GSGN), l’élite du genre militaire venue depuis Oloron-Sainte-Marie, dans les Pyrénées-Atlantiques. Lequel en est reparti bredouille, contraint de battre en retraite parmi l’extrême dangerosité des lieux. « Même eux ont été confrontés à des endroits dont l’exploration s’est avérée trop risquée », reconnaît le commandant Jérôme Guillen, directeur opérationnel de l’enquête – de janvier 2021 à l’été 2022 – et toujours obsédé par cette funeste mélodie en sous-sol. « Ici ou ailleurs, je reste persuadé que l’on a pu faire glisser le corps dans une crevasse, à la verticale, sur des dizaines de mètres afin que personne ne puisse jamais le retrouver. »

Cagnac-les-Mines, dimanche 12 octobre. Depuis la disparition de Delphine, tout a été laissé en état devant la maison du couple.

Cagnac-les-Mines, dimanche 12 octobre. Depuis la disparition de Delphine, tout a été laissé en état devant la maison du couple.

S. C. / SUD OUEST

« Je continue de fureter à droite à gauche, on ne sait jamais »

Moins galonnés et qualifiés que lui, d’autres pourtant n’ont pas rebroussé le chemin littéralement semé d’embûches menant au lavoir à charbon. Au hasard d’une promenade dominicale, il n’est pas rare ainsi d’y croiser quelques détectives en – mauvaise – herbe, persuadés de retrouver bientôt Delphine. Pour certains même, équipés de cordes d’escalade, de détecteur de métaux – « elle portait ses bijoux » – ou de caméras étanches, quand la plupart se contentent de jeter leur œil de lynx parmi la végétation. « J’étais déjà là pour les battues citoyennes, alors je continue de fureter à droite à gauche, on ne sait jamais », se justifie un quadragénaire que l’on retrouvera le lendemain sur le banc public de la cour d’assises.

En prison, pour son plus grand contentement, Cédric Jubillar est surnommé « le magicien ».

En prison, pour son plus grand contentement, Cédric Jubillar est surnommé « le magicien ».

ED JONES / AFP

Qui sait si la nature ne finira pas en effet par rendre ce corps tant désiré. Tandis que les frères et sœur de la disparue entretiennent le mince espoir de pouvoir l’enterrer un jour dignement, la science médico-légale n’a pas non plus dit son dernier mot. « Il n’y a pas de date limite pour faire parler un corps », promet le docteur Sapanet, ce légiste ayant maintes fois révélé la vérité judiciaire sur sa table d’autopsie. En attendant, s’il est coupable, Cédric Jubillar n’a jamais aussi bien porté l’effroyable surnom dont l’affublent – pour son plus grand contentement – ses codétenus en prison : « le magicien ».

Bientôt le verdict
Avec le témoignage d’un psychiatre et un peu de retard sur l’agenda, l’interrogatoire récapitulatif de l’accusé reprendra au cours de la journée du lundi 13 octobre devant la cour d’assises. Suivra mardi et mercredi matin le tunnel des plaidoiries des nombreuses parties civiles, dans la foulée le réquisitoire du ministère public, et, jeudi, la plaidoirie de la défense. Le verdict devrait tomber le vendredi 17 à 9 heures, au terme d’une longue nuit de délibérations.