En remontant la rue de l’Alma, dans le centre de Rennes, quelques commerces subsistent encore, mais plusieurs immeubles restent vides. Ce secteur fait partie du projet de renouvellement urbain EuroRennes. Il vise à renforcer la connexion entre la gare et le quartier du Colombier. En attendant le lancement effectif des travaux, plusieurs bâtiments sont laissés inoccupés. Autant d’opportunités pour certains sans-abri en quête d’un toit.
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Le n°8, un immeuble de trois étages, appartient à l’aménageur public Territoires Rennes. Il a été occupé pendant plusieurs mois avant son évacuation le 1er septembre. « On a retrouvé des détritus, des restes alimentaires, des meubles, de l’électroménager, énumère Sébastien Klemenko, le gérant de la société Abnk débarras, chargée du nettoyage. Les conditions de vie devaient y être compliquées. »
Immeuble occupé durant un an
Contrairement à d’autres lieux investis par des collectifs militants, ce type de squat abrite surtout des individus précaires : des jeunes en rupture familiale, des couples, des travailleurs, parfois usagers de drogues. Un public suivi par l’équipe de la CAARUD, le centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, porté par l’association Aides. « Ce squat existait depuis plus d’un an, explique l’équipe. Au départ, c’était un petit groupe d’une dizaine de personnes très marginalisées, mais plutôt organisé. Ils avaient réussi à remettre l’eau et l’électricité, et ça fonctionnait un peu comme une colocation sans droit ni titre. »
Progressivement, le bouche-à-oreille a fait son effet. De nouvelles personnes sont arrivées, dont parfois des usagers de stupéfiants. « La situation est devenue compliquée avec des embrouilles de thunes, des bagarres, des décompensations liées à la consommation ou des vols. Les conditions de vie se sont dégradées et les occupants historiques ont préféré partir. »
Vivre en squat faute de mieux
À Rennes, une telle longévité pour un squat est rare. Le durcissement de l’arsenal législatif et la sécurisation rapide des bâtiments limitent ces occupations. « Beaucoup sont ouverts à l’arrache, dans des garages ou des bâtiments abandonnés », souligne le CAARUD.
Des lieux généralement sans eau ni électricité, parfois insalubres. « Le squat est rarement un choix, rappelle l’établissement médico-social. Mais une alternative à la tente ou au trottoir. » Y vivre est avant tout « un moyen de se protéger, rajoute Sonia Moreau, responsable régionale de l’association Aides. Dormir dehors, c’est être exposé au froid, mais aussi aux agressions, aux vols d’affaires personnelles ou aux contrôles de police. »
Cette vie en squat, Julio (un pseudo) la connaît depuis bientôt deux ans. Avec sa compagne, ce jeune d’une vingtaine d’années occupe une « maison désaffectée ». Un terme qu’il préfère à « squat », qu’il juge trop péjoratif. « C’est toujours mieux que la rue, mais c’est épuisant. Il faut toujours être prêt à bouger. »
Des centres d’hébergements débordés
La métropole rennaise comptait plus de 3 900 personnes sans domicile entre 2021 et 2022, selon l’Observatoire du mal-logement. Près de la moitié d’entre elles vivaient dans la rue ou des lieux désaffectés — un chiffre sous-estimé selon plusieurs associations. Combien de squats comptent la capitale bretonne ? Le nombre exact est difficile à établir.
Pour les gens de terrain, ces derniers reflètent le manque de places d’hébergement. Chaque soir, le 115 est saturé1. Seul un quart des demandes sont satisfaites. Une réalité vécue par Dani et Cécile. Le 15 septembre ce couple était hébergé depuis dix jours au centre d’accueil d’urgence Adsao. « Avant, on a dû dormir deux semaines sur le béton. » Leur espoir ? Renouveler leur place auprès du 115. « La dernière fois, on est restés six heures sans réponse. »
Même problème, dans les quatre centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de Rennes. Ils peuvent loger les personnes durant 18 mois renouvelables. Pour y accéder, les délais d’attente sont longs. Au centre Adsao, dans le quartier de la Mabilais, il faut compter huit mois pour obtenir une place. « C’est un peu critique, explique Amine Belkhattaf, coordinateur du CHRS. Quand on réussit enfin à joindre les personnes, certains ont déménagé ou abandonné. »
Une expérimentation avec le Rado
Beaucoup de personnes marginalisées ne se tournent même plus vers les centres, souvent jugés trop contraignants : horaires stricts, interdiction des animaux, vie collective imposée, refus de certains profils. L’interdiction des consommations de drogues en dissuade aussi certains.
Pour lever ces freins, l’association Saint-Benoît Labre a lancé le dispositif Rado. Sur deux sites, à Rennes et Cesson-Sévigné, une vingtaine de personnes repérées dans la rue accèdent à un logement individuel, sans limite de temps ni contrepartie financière. Les consommations sont tolérées, les animaux acceptés. « L’idée est de respecter leur rythme et, si possible, de faire émerger un projet », explique Vincent Bélier, responsable du pôle insertion de l’association. Mais les places restent limitées.
Avec l’arrivée de l’hiver, les conditions de vie risquent de se durcir. Faute de solutions durables, beaucoup continueront à chercher refuge là où ils le peuvent. Un quotidien éprouvant, qui laisse des séquelles durables. L’espérance de vie des personnes sans domicile reste inférieure à 50 ans.
1 Contactée à plusieurs reprises, la préfecture d’Ille-et-Vilaine, n’a pas répondu à nos sollicitations à l’heure où nous bouclons.
