Il n’y avait ni déception, ni tristesse dans la voix d’Arthur Rinderknech, ce dimanche, après l’interminable remise des prix durant laquelle il avait été terrassé par les crampes. « Physiquement, je suis au bout, je ne peux pas le nier, admettait-il. J’ai dû m’endormir vers 3h30, donc la nuit a été courte. Battre Daniil (Medvedev, en demi-finales, ce samedi), qui te fait travailler extrêmement dur pour gagner les points, m’a demandé beaucoup d’efforts. J’étais touché mais ce n’est pas pour ça que je perds. Valentin a été extraordinaire. Je suis hyper fier de lui. La petite étoile qui était au-dessus de nos têtes a un peu plus brillé de son côté ce soir. » Il convient de rembobiner le fil de son histoire intime pour comprendre l’état d’esprit du Français malgré l’occasion ratée de remporter un premier titre ATP, en Masters 1000 de surcroît.
Un mariage et ça repart
Le 17 mai dernier, Rinderknech épouse Hortense, sa compagne depuis une quinzaine d’années. Alors 75e mondial, il traverse une sorte de burn-out tennistique depuis le début de saison où les défaites au 1er tour s’empilent (10) pour une victoire par-ci, par-là mais jamais deux d’affilée dans un tableau principal.
« Il est alors au fond du trou, je confirme, racontait ce dimanche matin, pendant la finale de Shanghai, Laurent Ouvrard, le président du Tennis Club des Loges où a grandi le Français, et proche du joueur. Il avait de vrais doutes. Son discours était celui de quelqu’un qui aime le tennis mais réalise que la famille, les potes, c’est bien aussi. » « À la maison, j’ai profité du pinard, de belles bouteilles, des copains, racontait l’intéressé dans ces colonnes à l’US Open. Quand je me suis marié, je me suis bien retourné la tête aussi. » « Puis il a rebondi en rencontrant les bonnes personnes au bon moment, notamment Lucas Pouille qui lui a fait beaucoup de bien », poursuit son ancien président. L’accompagnement d’une préparatrice mentale et le soutien d’une épouse qui est « tout pour moi » et qu’il qualifie de « roc dans les mauvaises comme dans les bonnes périodes » ont alors remis l’homme et le joueur sur les bons rails. Sa défaite très honorable face à Jannick Sinner (6-4, 6-3, 7-5) au 1er tour à Roland-Garros, en mettant le feu au Chatrier en nocturne avec un enthousiasme de junior a rallumé la flamme. Et ce n’est pas un hasard s’il a enchaîné par la suite 8 victoires contre des top 20, pour 3 revers seulement (dont deux face à Alcaraz et un contre De Minaur).
De la fierté avant tout
« Je suis extrêmement fier de ma quinzaine et de mon trophée de finaliste, de tous mes proches qui m’encouragent, de mon équipe, Lucas (Pouille) en tête. Il croit en moi, m’a poussé. J’espère que c’est le début d’une belle aventure, qu’on va faire un bon bout de chemin ensemble », affirmait ce dimanche le désormais 28e mondial.
Dans son cercle élargi, il y a les potes du groupe WhatsApp « Sisi St Ger », qui remonte au temps des matches par équipe avec son club de coeur. Baptiste Grodenic est de ceux avec qui il a partagé quantité de déplacements, en train ou en voiture. « Baba » connaît son ancien coéquipier comme personne : « Depuis un mois ou deux, il sert mieux. Physiquement aussi c’est assez fort. En quart contre Felix (Auger-Aliassime), il lui met 3 et 4 mais ça aurait pu faire 1 et 1, tellement l’autre c’était un pantin. »
Cette nouvelle caisse, éprouvée dans les conditions extrêmes de Shanghai, entre chaleur et humidité, Rinderknech la doit, entre autres, à Tanguy Crestel (son préparateur physique) et Olivier Choupeau (son kiné). De quoi voir l’avenir avec des yeux gourmands.
De nouvelles ambitions
Depuis plusieurs mois déjà, il n’a échappé à personne, parmi les plus fins connaisseurs du Français, que son jeu souvent prisonnier d’une forme de raideur et de retenue, s’est libéré. Une sorte de lâcher-prise, entre montées au filet à contre-temps, amorties soyeuses et variété de frappes du fond. « Il jouait comme ça quand il avait 17-18 ans, se souvient le président Ouvrard. Pouille a dû lui dire : »Sois toi-même » car je reconnais le Arthur d’avant. »
« Là, il faut que je digère cette quinzaine, qu’on échange sur tout ça, projetait Rinderknech ce dimanche soir. Prendre le temps de me ressourcer, aussi. Mon physique est là, il est très bon, mais j’ai évidemment des limites, comme tout le monde. J’ai réussi à répondre présent, mentalement aussi. Et tennistiquement, il y a encore plein de choses à améliorer, ce qui est hyper encourageant. Je suis impatient de continuer l’aventure. » Avec des ambitions nouvelles ? « Évidemment, les gros tournois, c’est ce qui nous pousse. J’ai des qualités, quand je suis bien mentalement, physiquement et tennistiquement, je peux embêter pas mal de joueurs. C’est cool, mais maintenant, il faut digérer, repartir au travail et peaufiner. »
La Coupe Davis pour aiguillon
Arthur Rinderknech a démarré l’aventure bleue en n°1 français pour sa première sélection entamée discrètement à huis clos à Innsbruck en 2021, et n’avait gagné qu’un simple dans cette compétition, contre l’Équatorien Gomez (144e) à Pau en 2022 avant d’incarner un pilier serein dernièrement, à Osijek, en battant Cilic lors du premier jour. « Au four et au moulin », comme il le disait dans cette équipe, en double ou en simple, parfois remplaçant, il a tout connu ces dernières années, avec toujours l’idée de se montrer « irréprochable » dans l’attitude.
« Dans mes objectifs, il y a aussi l’équipe de France, disait-il ce dimanche. Je suis un joueur d’équipe avant tout, la France est hyper importante pour moi. J’ai envie de la replacer là où quelqu’un comme Lucas (Pouille) l’a mise il y a quelques années. C’est un objectif fort. » En espérant que tout se passe bien pour la phase finale en novembre à Bologne avec la Belgique en quart de finale. « C’est bien qu’Arthur véhicule ce message sur son attachement à l’équipe de France par rapport aux jeunes, disait ce dimanche Paul-Henri Mathieu, le capitaine des Bleus. Mais je n’avais aucun doute, c’est un excellent coéquipier au-delà de ses qualités de joueur. À Shanghai cette semaine, il a superbement saisi l’opportunité. La sérénité qu’il dégage lui a permis de passer un cap supplémentaire. Son schéma de jeu est très clair. Il n’est plus dans la précipitation quand il est devant. C’est plus qu’encourageant. »