À 22 ans, Ryad Besseghir a quitté le domicile familial pour vivre dans un studio adapté à son handicap à Strasbourg. Une étape vers l’indépendance, qui ne suffit pas à combler le vide laissé par l’absence d’activités et de vie sociale.

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Line Baudriller

Publié le 13 octobre 2025  ·  

Imprimé le 13 octobre 2025 à 14h18  ·  

5 minutes

Installé dans son fauteuil roulant qu’il dirige de sa main droite, Ryad Besseghir se déplace de la chambre à la cuisine de son appartement. En emménageant dans ce studio adapté à son handicap, le jeune homme de 22 ans a gagné en indépendance. Mais entre ces murs, il habite seul, tributaire de l’aide d’auxiliaires de vie, sans travail ni projet d’avenir.

Comme Ryad, en France, plus d’un million de personnes en situation de handicap souffrent de solitude. « Habiter dans cet appartement, n’est qu’une illusion de la normalité », constate sa mère, Dalila Besseghir.

Ryad est né avec une infirmité motrice cérébrale. Son cerveau a manqué d’oxygène pendant la grossesse de sa mère, affectant certaines de ses fonctionnalités. Le raidissement de ses muscles l’empêche de marcher, d’utiliser son bras et sa main gauche et provoque des difficultés d’élocution. « Il ne peut ni se doucher, ni aller aux toilettes, ni préparer un repas seul », précise Dalila.

Prendre son indépendance

En 2023, le jeune homme s’installe dans un Habitat adapté inclusif (HAI) dans le quartier de Koenigshoffen à Strasbourg. Géré par l’association Arasc, l’immeuble dispose de studios adaptés aux personnes en situation de handicap. Ryad y habite quatre jours par semaine et rentre chez ses parents à Illkirch-Graffenstaden pour le week-end.

La Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) l’orientait davantage vers un Foyer d’accueil médicalisé (FAM), au vu de son handicap. Mais pour sa mère, il en était hors de question :

« Ces foyers sont des établissements fermés où tout tourne autour du handicap. Il n’y a aucune ouverture sur l’extérieur, aucune mixité, aucune inclusion dans la société. Ils restent entre eux. »

Le retour à domicile permanent n’était pas non plus une option. Dalila aurait dû quitter son travail de responsable de formation auprès de jeunes en alternance. « De toute façon, au quotidien, on ne se serait pas supportés », plaisante Dalila, en lançant un regard complice à son fils. Pour elle, l’HAI était la meilleure alternative :

« Cet habitat lui donne de la liberté. Il peut décider d’entrer et de sortir quand il veut, il peut faire ses courses et choisir ce qu’il veut manger. Il est accompagné par des auxiliaires de vie, mais il reste plus indépendant que dans un foyer d’accueil médicalisé. C’était important pour Ryad d’avoir son propre studio, mais ça ne suffit pas encore pour avoir une vie équilibrée. »

Ryad vit seul dans son appartement mais bénéficie de l’aide d’auxiliaires de vie pour se doucher ou cuisiner.

Ennui et solitude

Ne disposant pas d’une mobilité suffisante pour travailler en Établissement et service d’accompagnement par le travail (ESAT) comme d’autres personnes en situation de handicap, Ryad n’a pas d’activité pour occuper ses journées. Concentré sur l’articulation de chaque mot, le jeune homme détaille lentement à quoi ressemble son quotidien. Assise à ses côtés, sa mère intervient ponctuellement pour expliciter certaines phrases parfois difficilement compréhensibles :

« Le lundi matin, je vais chez le kiné. L’après-midi, je fais les courses et je prends une douche. Le mardi je n’ai rien de prévu. Je regarde la télé et je réfléchis à ma vie mais moralement c’est compliqué de rester seul sans aucune perspective ou objectif concret. »

Même ennui le mercredi. Dans cet appartement spacieux, pensé pour laisser au fauteuil roulant la place de manœuvrer, c’est surtout le poids de la solitude qui résonne.

Un projet ou une activité, aussi minime soit-elle, pourrait faire basculer cette routine monotone. « Dès qu’il doit s’organiser autrement, une activité imprévue ou un rendez-vous décalé, ça casse la routine. C’est dans ces moments-là qu’il se sent vraiment vivre », décrit Dalila.

Manque de mixité

Totalement conscient de son état, Ryad est un garçon « exigent et ambitieux », décrit sa mère. « J’en veux toujours plus », confirme-t-il. Passionné de théâtre, le jeune garçon a rejoint une troupe composée d’autres personnes en situation de handicap. « Ça me permet de m’exprimer autrement et d’extérioriser, mais ça manque encore de mixité », regrette Ryad qui aimerait côtoyer des gens extérieurs au handicap.

Ce n’est qu’à la mosquée, une fois par semaine, que le jeune retrouve un semblant de vie sociale. Il y retrouve Yacine, un étudiant en médecine et ami de la famille. À la mention de ce nom, un large sourire illumine le visage de Ryad. « Quand il vient me voir, je sais qu’il n’est pas là pour faire du social », explique-t-il.

Dalila, 58 ans, a réduit son temps de travail pour trouver de quoi occuper le quotidien de son fils. Photo : Line Baudriller / Rue89 Strasbourg

Depuis près d’un an, ce grand amateur de cinéma s’est lancé sur les réseaux sociaux. De son pseudo, « rymob6713 », il partage sur TikTok et Instagram des vidéos qui expliquent son quotidien pour sensibiliser à l’isolement des personnes handicapées. Son rêve ultime : faire un film à partir de son histoire.

En attendant, avec l’aide de sa mère, il tente de proposer ses services à la mairie pour tester les aménagements pour personnes handicapées dans l’espace public et faire en sorte qu’ils soient plus adaptés aux besoins réels. « J’aimerais bien aussi faire un partenariat avec des marques de vêtements qui proposent des collections adaptées aux handicaps moteurs comme Jules ou Kiabi », continue Ryad qui ne manque pas d’idées.

Mais comme celles-ci ne se concrétisent pas, le jeune homme a du mal à se projeter :

« Je déteste mon anniversaire : ce jour-là, je fais le bilan de ma vie et je pense à tout ce que je voudrais faire. Mais je suis coincé, derrière ma fenêtre à rêver. » 

Difficile pour une mère d’entendre son fils regretter le jour de sa naissance. Dalila ne peut retenir ses larmes. « Je n’arrêterai pas de me battre pour qu’il trouve une occupation et un sens à sa vie », confie-t-elle, la gorge nouée par l’émotion. C’est le combat de toute une famille.