En France, l’administration devrait incarner la proximité et l’accès équitable aux droits. Or, l’étude nationale menée par le Défenseur des droits révèle un malaise profond : l’expérience administrative, censée faciliter la vie quotidienne, devient pour beaucoup une source de découragement. L’enquête, réalisée auprès de plus de 5 000 personnes entre octobre 2024 et janvier 2025, dévoile un fossé grandissant entre les services publics et les usagers, sur fond de dématérialisation à marche forcée.

Une administration devenue épreuve du quotidien pour lesFrançais

Les chiffres ne laissent pas place au doute : « Six personnes interrogées sur dix (61 %) déclarent rencontrer parfois ou souvent des difficultés à réaliser des démarches administratives, contre 39 % en 2016 », observe le Défenseur des droits. En huit ans, la proportion a bondi de plus de vingt points. Ce glissement massif illustre une fracture silencieuse : celle d’un pays où les procédures se multiplient plus vite que la capacité à les comprendre.

Les problèmes ne concernent plus seulement les publics précaires. Selon l’enquête, 42 % des usagers disent avoir rencontré des difficultés avec un ou plusieurs services publics en 2024 contre 54 % en 2016, selon BFMTV. Derrière cette baisse apparente se cache une autre réalité : des démarches plus complexes, des formulaires plus longs, des interlocuteurs plus rares. Les témoignages recueillis par le Défenseur montrent un État qui, tout en se modernisant, se rend paradoxalement moins accessible.

Le numérique, accélérateur d’exclusion

Pour Claire Hédon, Défenseure des droits, la dématérialisation est au cœur du problème. Interrogée par RMC, elle l’affirme : « C’est certainement lié à la dématérialisation. Un quart abandonne. » Une phrase lapidaire, mais symptomatique : 51 % des Français reconnaissent ne pas parvenir à effectuer seuls leurs démarches en ligne, ou choisissent d’éviter le numérique administratif .

Ce basculement vers le tout-digital, censé simplifier la vie des usagers, exclut ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques — personnes âgées, foyers isolés, ou simples citoyens dépassés par la complexité des plateformes. Résultat : près d’un quart (23 %) des répondants admettent avoir renoncé à un droit faute d’avoir réussi à aller jusqu’au bout de la procédure. Dossiers inachevés, justificatifs perdus, interfaces bloquées : autant d’obstacles qui traduisent une fracture numérique devenue fracture civique.

Pourtant, les Français ne rejettent pas le service public en lui-même : d’après le baromètre Vie-publique, 69 % des usagers se disent globalement satisfaits. Le paradoxe est là : ils apprécient la mission des administrations, mais redoutent le parcours pour y accéder. En somme, ce n’est pas la légitimité de l’État qu’ils contestent, mais sa lisibilité.