Par Samuel Furfari, professeur de géopolitique de l’énergie (*)
Les lignes de fracture continuent de se manifester au Parlement européen, alors que l’UE prend enfin conscience de la nocivité de sa dernière version des règles du Green Deal.
La directive en cours de « simplification », sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D), impose en effet des règles mondiales de divulgation en matière de durabilité et de transparence de la chaîne d’approvisionnement à des milliers d’entreprises qui font des affaires en Europe.
La CS3D impose aux entreprises des contraintes excessives en matière de conformité et décourage les investissements dans l’UE, alors que les coûts et les charges administratives augmentent. Alors que l’économie de l’UE est déjà en difficulté, les politiciens prennent conscience de la folie de notre régime réglementaire et de son impact sur notre avenir.
Fissures dans le pacte vert
Pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le CS3D est le symbole de deux échecs : celui du Green Deal à changer le comportement des entreprises ou à les encourager à participer au marché européen, et celui de l’UE à élaborer une politique qui résoudra sa crise des coûts énergétiques élevés et de la compétitivité.
Les politiciens sont enfin confrontés au désastre de cette politique, mais la question demeure : vont-ils prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à ce climatisme bureaucratique insensé ? Ou l’Europe continuera-t-elle à privilégier les principes au détriment du bien-être de ses citoyens ? L’abandon de l’appellation « Green Deal » au profit d’un « Clean Deal » est une proposition inutile et fantaisiste de la part de Mme Von der Leyen.
L’UE doit s’efforcer de faire baisser les prix de l’énergie, de restaurer la compétitivité et l’innovation, ainsi que d’encourager l’investissement et la création d’emplois. Cependant, le CS3D ne fera rien de tout cela. Au lieu de cela, il ajoute une couche de conformité et de paperasserie qui s’ajoute aux lourdes exigences de divulgation déjà en vigueur au sein de l’UE et de ses États membres, ce qui entrave davantage sa capacité à être compétitive à l’échelle mondiale.
Cette fois-ci, les entreprises en ont assez des obstacles bureaucratiques de l’UE. De plus en plus de politiciens, d’économistes, d’entreprises et d’associations industrielles appellent Bruxelles et Strasbourg à réduire de manière significative les nombreuses obligations et mandats de CS3D.
Certaines entreprises, grandes ou petites, se demandent s’il n’est pas plus économique de se retirer complètement et de payer une lourde amende en cas de non-conformité. J’ai reçu un témoignage de première main de la personne chargée de ce calcul dans une grande PME allemande. D’autres entreprises réévaluent l’intérêt de faire des affaires dans l’UE, en annulant les investissements prévus et en stoppant les projets en cours. C’est déjà le cas de manière dramatique dans l’industrie chimique.
Il s’agit d’entreprises qui souhaitent mener leurs activités de manière éthique et durable, mais qui ne peuvent pas justifier le coût de la conformité ou le risque juridique d’une erreur. À qui cela profite-t-il ?
L’opposition au Parlement européen
Certains eurodéputés à Bruxelles se rendent compte que CS3D est intenable, alors que le débat fait rage sur la manière de simplifier la législation européenne sur le climat.
Le « paquet de simplification » dit « omnibus » promet de réduire les exigences en matière de rapports, ce qui est une étape indispensable pour remédier à l’échec du plan de décarbonisation de l’UE. La question de savoir jusqu’où ira la « simplification » reste en suspens.
Sans surprise, la coalition ne semble pas parvenir à un compromis, les négociations s’enlisant dans des querelles idéologiques. Le Parlement ferait bien d’accepter la proposition avec le moins de bureaucratie possible s’il veut préserver la compétitivité de l’UE. Comme l’a judicieusement fait remarquer Jörgen Warborn, du PPE : « Je n’exclus aucune majorité tant que nous réduisons les coûts pour les entreprises et que nous renforçons la compétitivité de l’Europe. » Si elle n’y parvient pas, l’UE risque de connaître un nouveau déclin économique, comme l’a souligné l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, l’année dernière.
La présidente Von der Leyen doit rallier sa coalition derrière un objectif commun. Dans son discours inaugural pour un second mandat, elle a relégué au second plan la priorité du pacte vert au profit de la compétitivité, mais le temps nous dira si elle y parviendra. Et son temps est compté. Elle a déjà fait face à trois votes de défiance, et la mise en œuvre de la déréglementation pourrait bien être ce qui lui permettra de sauver sa position précaire.
Il est temps que Bruxelles et Strasbourg reconnaissent l’échec du Pacte vert et s’attaquent à l’impopularité croissante des nouveaux fardeaux pesant sur la prospérité économique. Il est temps d’arrêter de nier le fait que, hors de l’Union européenne, les gens ne croient plus au Pacte vert, comme en témoigne la récente volte-face du Premier ministre canadien, Marc Carey, et de la cheffe du Parti conservateur britannique, Kemi Badenoch. Cela n’est nulle part plus évident que dans le récent succès de la droite politique en Allemagne, le pays d’origine de Von der Leyen. Les Européens s’inquiètent de la situation économique de leur pays et une simplification réglementaire significative pourrait être le premier signe que les eurodéputés prennent cette question au sérieux.
Une meilleure voie à suivre ?
Les débats sans fin et les délais de conformité changeants ne sont qu’un exercice de procrastination : Bruxelles devra tôt ou tard faire face aux conséquences de son Green Deal.
Il est préférable d’y remédier maintenant, alors que nous disposons d’un plan de déréglementation, plutôt que d’attendre que les entreprises souffrent davantage et que les électeurs exigent un changement. Il est temps de relancer la croissance dans l’UE, mais cela ne se produira pas tant que nous n’aurons pas mis fin à l’ère de la surréglementation.
Comme je l’ai écrit précédemment, si l’UE persiste dans sa politique idéologique en matière de climat, elle risque d’être de plus en plus marginalisée par des pays privilégiant l’essentiel : une énergie fiable et abordable.
(*) Samuel Furfari, Ph.D., est professeur de géopolitique de l’énergie dans diverses universités. Il enseigne actuellement à l’ESCP de Londres et est professeur honoraire à l’École polytechnique de l’Université de Madrid. Il a enseigné la politique énergétique et la géopolitique à l’Université Libre de Bruxelles de 2003 à 2021. Il a été haut fonctionnaire européen à la DG Énergie de la Commission européenne pendant 36 ans. De 2019 à 2022, il a été président de la Société européenne des ingénieurs et des industriels. Il est l’auteur de 18 livres et de nombreux articles.