C’est le moral dopé que les douaniers de la brigade de Bordeaux Bassens partent effectuer un contrôle, ce jeudi, sur le péage de Virsac en Gironde, sur l’autoroute A10. En juillet dernier, ils ont mis la main sur 212 kg cocaïne au péage de Saint-Selve, sur l’A62. « D’habitude, on est sur des saisies de 2 kg voire 20 kg ou 30 kg, commente le chef, en charge d’une équipe de 36 agents. C’était du jamais vu à la brigade ! »

En 2025, son activité liée aux stupéfiants a explosé, en particulier sur la cocaïne qui génère pour la première fois, en 2024, un chiffre d’affaires en France supérieur à celui du trafic de cannabis. La tendance à l’échelle de la région est exponentielle, avec notamment de belles prises dans le Pays basque (1,4 tonne de cocaïne saisie à Hendaye, en septembre.)

« Les douanes en ont déjà saisi près de deux tonnes depuis le début de l’année, contre 360 kg l’an dernier, et 37 kg l’année d’avant », pointait le procureur de la République de Bordeaux Renaud Gaudeul, le 6 octobre dernier, lors d’une audience solennelle, s’agissant des saisies de cocaïne du ressort de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS).

« Il faut faire parler » pour détecter le mensonge

« Bonjour, vous venez d’où ? vous allez où ? », lance un agent à une automobiliste. Elle revient d’Andorre et on lui demande, une herse à la main, d’avancer un peu son véhicule pour fouiller son coffre. Ils sont trois agents pour réagir en cas d’opposition au contrôle, ce qui est très rare. « On parle et on doit détecter le mensonge, décrypte le chef de la brigade. Dès lors que ce n’est pas sincère, cela va nous intéresser. Notre travail est basé sur l’intuition et pour ça, il faut les faire parler. » La jeune femme, souriante et volubile, raconte qu’elle et son amie ont acheté du tabac, de l’alcool et du parfum, et elle se félicite du temps ensoleillé pour ces congés. Elle est en règle et repart au bout de quelques minutes seulement.

Le péage de Virsac est l’un des spots les plus « rentables » en matière de saisies. En ce début d’après-midi, les douaniers s’y déploient méthodiquement sous le soleil pour arrêter véhicules légers et poids lourds. « Vendredi dernier, à Virsac, on a saisi 401 kg cannabis sur un poids lourd danois », raconte le chef de la brigade. Des découvertes qui récompensent les efforts d’observation et de patience de l’équipe. « Elle a besoin de ça, relève-t-il, c’est important pour l’ambiance et la dynamique du service. »

Ce jour-là, ils sont assistés par la brigade cynophile, avec un chien spécialisé dans la détection de tabac et d’argent liquide, et un autre sur les stupéfiants. On les mobilise surtout pour fouiller les soutes des bus du tourisme qui sont contrôlés. « Allez ! Tu cherches », lance le maître-chien à l’animal qui flaire à plusieurs reprises les bagages et se glisse aisément jusqu’au fond de la soute. S’ils marquent, les fouilles sont approfondies.

D’intrigants frigos vides

« Le document de transport, je le trouve un peu basique, on pourrait facilement le faire à la maison, c’est pour cela que je le contrôle », explique un agent, qui vient d’arrêter un poids lourd espagnol. Après vérification, le camion, qui transporte des brochures, sera simplement rappelé à l’ordre. « On ne laisse pas partir un véhicule si on a un doute, explique le chef de la brigade des douanes de Bordeaux Bassens. On a le temps, on n’est pas police secours. »

Lors de leur grosse saisie cet été, c’est le fait que le véhicule n’ait pas de plaque qui a éveillé leur intérêt. Ils ont ensuite utilisé l’endoscope après avoir percé le plancher et découvert les pains de cocaïne. Mais les saisies de stupéfiants, qui représentent environ deux tiers des saisies de cette brigade, peuvent aussi intervenir simplement sur un véhicule stationné sur une aire, et qu’ils décident de contrôler.

Les douaniers sont aussi attentifs aux pratiques du moment. Dans les grosses affaires de la brigade d’Hendaye, ils savent que des camions remontant du Maroc avec des frigos vides qui ont été impliqués. « C’est intrigant économiquement de faire déplacer un camion à vide, donc cela nous interroge », commente le chef de la brigade. Si le frigo affiche 13 °C et pas 5 °C, cela va aussi les faire tiquer.

De la même façon, ce qui sort de l’ordinaire en matière de flux va les alerter. Ce poids lourd marocain arrêté à Virsac ce jeudi transporte des câbles pour des voitures, en cohérence avec les flux habituellement observés, et ses papiers sont en règle : donc le contrôle n’ira pas plus loin.

Des poids lourds finlandais, marocain ou espagnol sont contrôlés ce jour-là, mais les plaques « ne riment plus à rien », selon une douanière. « Les plaques étrangères c’est parfois trop gros, les organisations s’adaptent, confirme son supérieur. Elles vont fractionner les routes et organiser des stockages en Espagne mais aussi en France. »

Des cycles plus ou moins chanceux

Les flux existent actuellement dans tous les sens et pas seulement dans le sens sud-nord, comme on pourrait le croire. Les douaniers doivent ainsi constamment s’adapter. L’hypothèse de déchargements de drogues en Espagne et au Portugal par voie maritime et qui remonteraient par poids lourds en France et dans le nord de l’Europe est assez admise.

Elle s’appuie notamment sur la pureté des produits saisis (jusqu’à 42 à 43 % de THC contre 10 à 15 % normalement) qui laisse penser que les marchandises proviennent directement d’Amérique du Sud. Elles peuvent être coupées quatre à cinq fois par la suite, avant leur revente.

Le procureur de la République de Bordeaux rappelle qu’en Colombie, la production de cocaïne a été multipliée par 6,5 au cours des dix dernières années, avec une production l’an passé de 2.600 tonnes, contre 400 en 2014. « Il n’y a pas de mystère : cette marchandise doit être écoulée par tous moyens et force est de constater que malgré les réussites incontestables de nos services d’enquête, ils y parviennent », pointe-t-il, annonçant un renforcement de la structure du parquet de Bordeaux dans cette lutte contre la criminalité organisée.

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Les douaniers ont aussi conscience de dépendre d’un facteur chance, et ne se font pas d’illusion. « C’est par cycles et en ce moment on trouve beaucoup mais cela peut redevenir plus calme », reconnaît le chef de la brigade de Bordeaux Bassens.