Amoureux des formes pures, Maxime Old sera de plus en plus attentif aux matières émergentes, et toujours plus soucieux des qualités fonctionnelles d’un meuble. La légende dit d’ailleurs que Charlotte Perriand, admirative du travail d’exécution de ses meubles, serait venue le voir pour qu’il travaille sur ses projets. Mais Maxime Old avait le vent en poupe et bien trop à faire avec les siens, qui étaient en train de changer d’échelle, pour s’occuper de ceux des autres.
Réinventer Rouen
À l’aube des années 1960, il va peu à peu délaisser les chantiers privés et se mettre à l’aménagement d’hôtels de luxe à l’étranger comme d’ambassades de France plus ou moins lointaines, du Ghana à la Norvège. Il y aura également l’aérogare de Marseille-Marignane et le paquebot France… des projets de plus en plus prestigieux pour un homme qui restera un éternel discret. C’est à cette époque que Rouen s’inscrit dans sa trajectoire. En 1960, les architectes Henri Jullien et Raymond Barbé lui confient l’aménagement de la halle aux Toiles, une salle des fêtes pour laquelle il dessinera des banquettes et des fauteuils en chêne, des chaises en acajou, des guéridons en métal et verre et des grandes tables d’apparat, faisant apparaître ce qui deviendra l’une de ses signatures : le piètement en X. Pour ce bâtiment historique de la grande ville normande, il concevra aussi l’éclairage, imaginera des extracteurs de fumée interprétés comme des sculptures sous la voute de la grande salle, et habillera certains murs de merisier, certaines lignes de laiton, et certains détails de couleurs.

LA GRANDE GALERIE du premier étage de l’hôtel de ville a été habillée de pierre et de marbre dans une perspective qu’éclairent les rayons du soleil.
© Christophe Coënon
LES BUREAUX DU MAIRE et de ses adjoints sont reconnaissables à leurs portes en palissandre de Rio.
© Christophe Coënon
Quand l’usure et l’oubli gagnent…
Au même moment, un de ses clients, docteur à Rouen et adjoint au maire en charge de la culture et du patrimoine, souffle son nom pour apporter un peu de confort et de modernité à l’hôtel de ville, dont l’intérieur est resté inchangé depuis la fin du XIXe. Le 2 avril 1962, son projet d’aménagement pour la salle du conseil municipal, les salles de commissions attenantes et la grande galerie du premier étage est choisi. Panneaux de palissandre rehaussés de filets de laiton, marqueterie de mélaminé, claustra de fer forgé, boiseries éclairantes, piètements en X et effets de bois précieux se dérouleront sous un monumental plafond composé de panneaux en métal perforé montés sur des portiques. Il réalisera là l’un de ses décors les plus spectaculaires, pour lequel, entre la commande et l’inauguration, trois années de travaux furent nécessaires.

L’ESCALIER PRINCIPAL, qui mène à la grande salle de la halle aux Toiles, est en marbre bordé de laiton, qu’éclairent des notes de couleur.
© Christophe Coënon
Des années, cinquante-quatre précisément, se sont écoulées depuis, durant lesquelles l’estrade de la salle du conseil municipal a vu défiler sept maires, et bien plus d’élus municipaux encore. Aujourd’hui, certains se plaignent du grincement que font les ressorts des chaises, d’autres disent s’émerveiller du décor à chaque assemblée. Un jour, la voix des premiers, accompagnée par l’arrivée de nouvelles normes, portera plus haut que celles des derniers, et l’oeuvre de Maxime Old disparaîtra sous les leds et les faux plafonds, tandis qu’une poignée de galeristes parisiens se disputeront les pièces de mobilier. « Terminus du train, tous les voyageurs sont invités à descendre. » Voilà comment nous nous sommes retrouvés un jour d’été à Rouen. Pour voir au moins une fois ces décors, en ressentir l’échelle, toucher à la qualité des matériaux, observer ces lignes parfaites, balayer les clichés que l’on avait sur la ville et voyager au coeur des années 1960, goûter un instant à cette atmosphère, avant que ce chapitre-là ne se referme.