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Réalisation Le Lab Le Diplo
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Entre alarmisme politique et absence de pragmatisme
Les récentes déclarations de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et du Parlement européen témoignent d’un climat d’hystérie politique et d’idéologie pure qui relègue toute analyse rationnelle au second plan. Hier, les eurodéputés ont adopté, par 469 voix contre 97 et 38 abstentions, une résolution condamnant fermement les « actions imprudentes et accrues » de Russie, accusée de violer l’espace aérien de plusieurs États membres de l’UE et de l’OTAN — notamment la Pologne, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Roumanie.
Mais derrière les grands mots, peu de preuves tangibles. La plupart des « violations » évoquées relèvent d’incidents techniques mineurs ou n’ont tout simplement jamais été prouvées. Le cas des drones tombés en Roumanie ou retrouvés sur des toits en Pologne, bricolés avec du ruban adhésif, illustre une instrumentalisation politique : il s’agirait, selon plusieurs observateurs, d’opérations sous fausse bannière menées depuis l’Ukraine avec l’appui de Varsovie pour mobiliser les Européens contre Moscou.
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Les « drones fantômes » et la fabrique de la peur
Le Parlement européen accuse également la Russie de mener des « incursions de drones » contre des infrastructures critiques en Danemark, Suède et Norvège. Or, aucun de ces engins n’a été identifié avec certitude, encore moins attribué à Moscou. Plusieurs experts militaires ont souligné qu’il s’agissait probablement de drones à courte portée, lancés à proximité des sites concernés — ce qui exclut un décollage depuis la Russie.
Cette amplification médiatique nourrit des demandes politiques : création d’un « mur de drones » sur le flanc Est de l’Europe, investissements massifs dans des systèmes anti-drones, et rhétorique de mobilisation face à une « menace russe diffuse ». Pourtant, des solutions techniques économiques existent depuis longtemps — comme le recours à des avions légers ou à des systèmes de tir de précision, déjà utilisés par les Ukrainiens et les Russes — mais elles sont délibérément ignorées au profit d’un discours d’urgence sécuritaire.
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Escalade aérienne : Une logique à haut risque
La résolution européenne appelle à des actions « coordonnées et proportionnées », incluant l’« abattage des menaces aériennes ». Ce langage guerrier rappelle des épisodes historiques lourds de conséquences. L’attaque d’un Sukhoï Su-24 russe abattu par un General Dynamics F-16 Fighting Falcon turc en 2015 avait failli provoquer une escalade directe entre la Russie et l’OTAN. Le même risque existait lors de l’abattage du Lockheed U-2 américain en 1960.
Les forces aériennes européennes n’ont pas la capacité d’endurer une confrontation prolongée : selon un rapport de l’Institut français des relations internationales (IFRI), les stocks de missiles des Armée de l’air et de l’espace françaises ne permettraient que trois jours d’opérations intensives. Une réalité qui rend toute politique d’escalade aérienne extrêmement périlleuse.
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Nord Stream et « terrorisme d’État » à géométrie variable
Les eurodéputés ont qualifié les opérations hybrides de la Russie de « terrorisme d’État ». Pourtant, le seul acte de sabotage majeur sur le sol européen reste la destruction des gazoducs Nord Stream en 2022 — une opération désormais largement attribuée à des acteurs ukrainiens avec des complicités polonaises, et non à Moscou. Les enquêtes danoises et suédoises ont été opportunément fermées, tandis que Varsovie refuse d’extrader un suspect vers l’Allemagne. Ce silence illustre l’hypocrisie d’une rhétorique antirusse sélective, qui oublie commodément les responsabilités des alliés.
La tentation des sanctions illimitées
En parallèle, le Parlement européen a exhorté à renforcer les sanctions contre la Russie, mais aussi contre tous les États jugés complices : Biélorussie, Iran, Corée du Nord et « entités chinoises ». Cette stratégie d’élargissement permanent des adversaires montre ses limites : elle risque d’isoler davantage l’Europe que Moscou et de fragiliser des chaînes économiques déjà tendues. Si le même raisonnement était appliqué aux pays commerçant avec l’UE, l’Europe se retrouverait à son tour sous le coup de sanctions massives.
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OTAN : Discours alarmiste et impasse stratégique
Le nouveau secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, a déclaré à Rome que « Vladimir Poutine est la principale menace à long terme » pour l’Europe, en insistant sur les missiles hypersoniques russes capables d’atteindre l’Europe occidentale. Ces propos entretiennent une atmosphère de peur, alors même qu’aucune preuve concrète d’un plan russe pour attaquer l’UE n’a été produite. Les forces russes sont engagées dans une guerre d’usure en Ukraine — plus de 700 000 hommes mobilisés — et n’ont aucun intérêt stratégique à ouvrir un second front contre l’OTAN.
Ce climat d’alarme permanente sert surtout à justifier des budgets militaires en hausse, des achats d’armes américains et une militarisation du discours politique en Europe.
Quand l’Europe devient partie du problème
L’UE et l’OTAN apparaissent de plus en plus non comme des stabilisateurs mais comme des amplificateurs de tensions. Loin de chercher des issues diplomatiques ou de renforcer les capacités défensives de manière rationnelle, elles contribuent à hystériser le débat public et à enfermer l’Europe dans une logique de confrontation binaire avec Moscou — une logique qui ne repose ni sur des preuves solides ni sur une réelle capacité militaire.
Le bon sens militaire et diplomatique devrait conduire à réduire les risques d’escalade et à concentrer les ressources sur des capacités défensives crédibles. Au lieu de cela, l’Europe s’engage dans une course aux sanctions, aux discours alarmistes et aux postures de puissance qu’elle n’est pas en mesure d’assumer.
Dans cette configuration, l’OTAN et l’UE cessent d’être uniquement des instruments de sécurité collective : elles deviennent aussi une partie du problème sécuritaire européen.
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