Par
Laurène Fertin
Publié le
19 oct. 2025 à 9h32
Il y a l’annonce de la maladie, comme une déflagration. Et puis la rupture, comme une seconde détonation. Les rendez-vous médicaux, les examens, les séances de chimiothérapie, les allers-retours à l’hôpital que l’on doit désormais affronter seule. Selon une étude publiée dans la revue médicale américaine Cancer, les femmes ont six fois plus de chances d’être quittées par leur conjoint que les hommes, après l’annonce de leur cancer. De la même manière, la moitié des femmes seront quittées dans les mois qui suivent. Et le cancer du sein ne fait pas exception à la règle. Dans le cadre d’Octobre rose, deux femmes se sont livrées à la rédaction d’actu Rennes. Une parole rare pour ce sujet douloureux et encore « tabou ».
Un amour pourtant parfait
« Il m’a envoyé un message pour me dire que c’était terminé », raconte Alice, membre de l’association Jeune et rose d’Ille-et-Vilaine. La jeune femme de 29 ans a été diagnostiquée cet été, au mois de juillet, d’un cancer du sein hormonodépendant (lorsque les cellules cancéreuses sont provoquées par les hormones). Installée dans son jardin, près de Rennes, Alice fuit les rayons du soleil qui laissent, sur sa peau, de vives traces rouges, depuis le lancement de ses traitements de chimiothérapie.
Je savais que mon cancer du sein allait mettre à mal notre relation. Mais m’envoyer un message pour me quitter… Je suis triste, et très déçue. Vivre une rupture, c’est très dur. Je lui en veux de la manière dont il s’y est pris.
Alice
« En fait », poursuit-elle, « je crois qu’il ne s’est plus senti à la hauteur de la maladie, c’était trop pour lui. » Pourtant, à entendre parler Alice de cette relation naissante, les deux tourtereaux filaient l’amour parfait depuis janvier.
Lui, papa de trois enfants, elle, maman d’un petit garçon : c’était une famille recomposée – même si chacun vivait de son côté. « Il avait 39 ans et, à ce moment-là, cherchait l’âme sœur. C’était une évidence. Notre relation était passionnelle, sérieuse. C’était une relation qui avait vocation à durer. »
Indisponible pour son couple
D’ailleurs, dès le début de la prise en charge médicale d’Alice, son conjoint fait preuve d’une grande initiative. « Naturellement, il s’est transformé en aidant : il me déposait en voiture pour mes rendez-vous, par exemple, lorsque j’ai dû réaliser une biopsie pour savoir si j’avais d’autres cellules cancéreuses dans le corps », raconte Alice. « Il me soutenait beaucoup. »
Votre région, votre actu !
Recevez chaque jour les infos qui comptent pour vous.
Mais j’ai senti, au fur et à mesure, qu’il ne se sentait plus à la hauteur, qu’il ne se sentait plus suffisant. Il y avait trop de pression : pas de ma part, mais de la complexité que recouvre, au quotidien, le cancer.
Alice
Les tensions s’accumulent. Le manque de sommeil joue sur les humeurs. Sans parler de la lourdeur des traitements, et de la kyrielle d’informations et de rendez-vous à ne pas oublier. La logistique, l’organisation… « Je n’étais plus aussi légère et joviale qu’avant. Je n’étais plus disponible pour lui, ou moins disponible pour notre couple. C’est une sacrée charge mentale. »
Alors « à force d’incompréhensions », le conjoint d’Alice dit « trop souffrir ». Il a donc souhaité mettre fin à la relation. « Mais par message ? », interroge la jeune femme, « les hommes sont quand même très courageux… »
Quand « le chef d’orchestre est absent »
Cette charge mentale, Clara, une quadragénaire touchée par le cancer du sein il y a trois ans, l’a également ressentie : « Le cancer pose un souci : celui de l’augmentation de l’inégalité des tâches domestiques dans le couple, entre les hommes et les femmes. »
Pour s’en sortir, la maladie demande le déploiement d’une énergie considérable. Et mon quotidien n’était pas allégé. D’ordinaire, j’effectuais déjà 70 % des tâches, lui, 30 %. Ménage, éducation des enfants… Je m’occupais de tout. Lorsque j’ai eu le cancer, notre fille avait trois ans. J’ai continué à me lever la nuit pour m’occuper d’elle, alors que je faisais de la chimiothérapie.
Clara
« C’est simple », abonde Clara, « dans ces situations-là, et je le sais car je discute avec beaucoup d’amies touchées par le cancer, les hommes sont dans l’impossibilité d’envisager un foyer où le chef d’orchestre est absent […] Personnellement, je l’ai extrêmement mal vécu. »
Le quotidien est donc éreintant, d’autant plus que le compagnon de Clara ne l’a pas accompagnée, à l’époque, aux rendez-vous médicaux. « Il n’y avait pas de prise d’initiatives de sa part même si, il faut être transparente là-dessus, je n’en avais jamais formulé la demande. »
2 500 nouveaux cas par an
Selon le Centre régional de coordination de dépistage des cancers en Bretagne (CRCDC), une femme sur huit est concernée par le cancer du sein au cours de sa vie (chiffres d’octobre 2023). Plus de 2 500 nouveaux cas sont comptabilisés par an. En 2020, le cancer du sein était responsable de 680 décès.
Un déni
Clara évoque même un déni, de la part de son conjoint. À l’annonce de sa maladie, ce dernier pleure, « accuse le coup »… mais ne dit mot. « Rapidement, je me rends compte qu’il fait une sorte de déni. Après, cela reste mon interprétation. Mais je pense qu’il a dû revivre une partie de son enfance, ses deux parents étant décédés d’un cancer. »
On communiquait sur tout, mais pas à propos du cancer. Je le sentais dans l’incapacité de prendre en compte mon ressenti, qu’était la douleur morale de ma maladie, mais également de l’angoisse de la mort qu’elle provoquait chez moi.
Clara
Là aussi, l’ambiance devient « tendue, très tendue » au sein de la famille. Les « grosses crises » s’enchaînent. La question de la séparation se pose, plusieurs fois. Clara commence à avoir des « idées noires, très noires. » « Finalement, nous ne nous sommes pas séparés », expose-t-elle, « parce que j’ai fait un travail sur moi-même. »
De « la difficulté d’exprimer ses émotions »
En effet, après avoir discuté de sa situation avec la psychologue du service de chimiothérapie dans l’hôpital qui la soignait, Clara se rend compte qu’elle n’est pas la seule à affronter ce cataclysme au sein de son couple.
Elle m’a dit que cela arrivait à beaucoup de femmes. Que les hommes en souffraient également, mais qu’ils réagissent d’une façon différente. Elle m’a invitée à reconsidérer les choses… Il fallait, d’une certaine manière, qu’il accède au pardon.
Clara
D’après Clara, cela vient en partie de la difficulté, pour son compagnon, d’exprimer ses émotions : « Je ne dis pas que ça l’excuse de ne pas m’avoir aidé, mais cela permet de comprendre. On est resté ensemble, il y avait de l’amour, indéniablement. »
« Avant, tout était fluide »
Reste malgré tout un quotidien à gérer d’une main de fer entre les douleurs, la fatigue et les doutes. « Avant, tout était fluide : je n’avais pas besoin de commander un taxi pour qu’on me conduise à l’hôpital parce que je suis trop fatiguée, après une chimio, pour prendre le volant ; le ménage, il l’aurait fait de lui-même… Être seule me complique vraiment la tâche », résume Alice.
Et puis, d’un autre côté, moins matériel mais tout aussi sensible, il y a les séquelles que la maladie laisse sur le corps. Après une opération, Alice s’est retrouvée avec un « sein déformé ». Et ses jolis cheveux bruns mi-longs, qui encadrent son visage, ne vont pas tarder à tomber.
Son regard m’aurait aidé à traverser ça. On avait un lien intime particulier, spécial. Je sais que ç’aurait changé les choses.
Alice
« Il faut avancer »
Aujourd’hui, Alice se sent « très seule ». « Je sais que je suis entourée, mais personne ne peut comprendre réellement ce que je vis. »
Je suis en colère. Les gens passent leur temps à me dire que, dans cette configuration, je suis une battante : est-ce-que j’ai vraiment le choix d’être autre chose ? J’en ai marre d’entendre cela.
Alice
La jeune femme le sait, désormais, « il faut avancer ». « Je n’ai pas eu une vie facile jusque-là et en ce moment, je cumule les épreuves. Je n’ai plus le temps de me pencher sur cette rupture, sur lui, je ne veux plus recevoir de messages de sa part. Il faut que je reste concentrée sur mon combat. »
*Les prénoms ont été anonymisés.
Personnalisez votre actualité en ajoutant vos villes et médias en favori avec Mon Actu.