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« On a de la chance en France d’avoir Paul Seixas et Paul Magnier »

Cette saison 2025, est-ce que pour vous, c’est un grand cru ?

Oui, je vais une nouvelle fois être à contre-courant, mais je trouve qu’on a vécu une très belle année, marquée par de vrais exploits. Surtout, je sens que le cyclisme retrouve ce qui a toujours fait sa force : les rivalités. À l’époque d’Anquetil, Poulidor, Robic, c’est ça qui faisait vibrer le public. Aujourd’hui, on a Pogacar, mais il lui manque un vrai adversaire au long cours. Vingegaard est un grand coureur, mais il n’y a pas de duel installé entre eux. Le cyclisme se nourrit de rivalités entre stars, pas seulement entre « grands champions ». Sur les Grands Tours, il n’y a qu’une star : Pogacar. Sur les classiques, on a Van der Poel, Pogacar et Evenepoel en 3e homme. Et j’ai le sentiment qu’on va rapidement basculer vers une vraie confrontation entre deux générations : Pogacar et Paul Seixas. Quand des coureurs ont du talent, du panache, du sourire et un vrai rapport avec le public, ça change tout. Et on a de la chance en France, parce qu’avec Seixas et Paul Magnier – qui est en train de devenir l’un des sprinteurs majeurs au monde – on tient peut-être deux moteurs de popularité capables de régénérer l’intérêt du grand public.

 

Donc, ce que vous retenez de 2025, c’est l’arrivée de Seixas et la confirmation de Magnier ?

Exactement. Et si on élargit, n’oublions pas Léo Bisiaux, Lenny Martinez, qui vient de gagner la Japan Cup… La France entre dans une belle période. Mais au-dessus de tout ça, il y a Pogacar. Comme en 2024, il écrase tout : le Tour, trois Monuments, le titre mondial… On ne compte plus.

 

Justement, que penser de cette domination absolue de Pogacar ?

Elle est logique. Il progresse chaque année. Il a connu une période moins bonne, notamment face à Vingegaard sur les Tour 2022 et 2023, avec des erreurs de stratégie et de management de son équipe. Mais aujourd’hui, tout est en place autour de lui. UAE plane au-dessus du lot, et il y a un « complexe Pogacar », comme à l’époque de Merckx. Beaucoup de coureurs se disent avant même de courir : « De toute façon, on sera battus ». Et ça change tout.

 

 


« On entend les mêmes discours qu’à l’époque d’Hinault… »

Alors, qui peut le faire tomber ?

Le plus grand danger pour Pogacar, c’est lui-même. Le risque de lassitude, de baisse de motivation. On a vu ce que ça a donné avec Peter Sagan. Quand on se lasse, on s’entraîne moins bien, on relâche l’hygiène de vie, et on rentre dans le rang. Pogacar peut continuer à dominer tant qu’il garde cette faim et cette rigueur. S’il veut battre tous les records, Paris-Roubaix, Milan-San Remo, La Vuelta, un cinquième Tour… il devra rester obsédé. Le jour où il ne l’est plus, il basculera.

 

Revenons à Paul Seixas. Quels conseils lui donneriez-vous pour la suite ?

On en parle beaucoup, et c’est normal. Ce qu’il fait depuis deux ans, c’est énorme. Le vrai risque, ce n’est pas de « le cramer » physiquement, le talent, ça ne brûle pas. C’est de le bousculer psychologiquement avec des attentes démesurées. On entend les mêmes discours qu’à l’époque d’Hinault : « Faut-il le mettre tout de suite sur le Tour ? » J’ai vécu ces débats. Et je le répète : on ne va pas sur le Tour pour apprendre, on y va pour gagner. Un coureur comme Seixas ne peut pas se contenter de venir faire 6e ou 8e. Quand il viendra, ce sera pour jouer la victoire. Aujourd’hui, il n’a pas encore la maturité physiologique et mentale. Elle vient vers 21-22 ans. 2026 doit être une année de construction, basée sur les classiques, les courses d’une semaine, apprendre les pavés, les bordures, les trajectoires… apprendre à frotter. C’est ça, devenir un coureur complet. Ensuite, il pourra viser un Grand Tour. Mais pas avant d’être armé pour gagner, pas pour « participer ».

 

Il annonce vouloir faire son premier Grand Tour en 2026. Tu valides ?

Un Grand Tour, oui. Un Tour de France, non, pas si c’est juste « pour voir ». Qu’il aille sur La Vuelta, pourquoi pas. Mais rappelez-vous : à ce moment-là, il n’aura même pas 20 ans. Il faut être patient pour gagner du temps.

 


 


« Dans le cyclisme, personne n’ose l’aborder, c’est un sujet tabou… »

Un mot sur la disparition d’Arkéa-B&B Hotels et la fusion Lotto–Intermarché : inquiétant ?

Inquiétant, non. La nature a horreur du vide. C’est dommage pour Emmanuel Hubert, mais c’est le jeu. La fusion Lotto–Intermarché est logique. Le problème, ce ne sont pas les équipes, c’est peut-être le système UCI, basé sur trois ans. Et je crains que la prochaine équipe française en danger, ce soit celle de Jean-René Bernaudeau en 2026. Le cyclisme français s’est endormi. La plupart des équipes ont plus de 20 ou 30 ans. Decathlon AG2R a fait sa révolution en se séparant de Vincent Lavenu, et aujourd’hui, c’est l’équipe qui cartonne. Attention : ils récoltent aussi le travail de formation lancé par Lavenu. Mais ils ont modernisé le management. Cofidis, non. Cofidis fonctionne comme il y a 20 ans. C’est pour moi l’échec français par excellence : 30 ans d’existence, zéro transformation profonde. Et maintenant, ils descendent en ProTeam, dépassés par Uno-X, créée en 2022. Ce n’est pas un hasard.

 

Cofidis relégué : est-ce que « ça sent mauvais » pour eux ?

Oui. Une équipe qui descend, c’est comme un coureur en fin de carrière : la pente est rarement remontée. Pour survivre, ils doivent faire une révolution. Pas un changement de manager, une refonte complète : management, budget, identité, objectifs. Sinon, ils resteront une équipe moyenne… ou disparaîtront.

 

Pour finir : l’Andorra Cycling Masters et ses 150 000 € versés à Pogacar, Vingegaard, Roglic et Del Toro… le symbole d’un cyclisme à deux vitesses ?

Non, c’est le monde. Il y a toujours eu des riches, des moins riches et des pauvres. Et cet argent-là, s’il n’allait pas à ces coureurs, il n’irait nulle part ailleurs dans le cyclisme. Ce sont des exhibitions, comme au tennis ou ailleurs. C’est bien que le vélo attire ça.  Ces questions existent parce que, oui, certaines équipes aimeraient que certaines choses évoluent. Dans des sports comme le tennis, le football ou le rugby, une grande partie des recettes provient des droits télé.

Dans le cyclisme, personne n’ose l’aborder, c’est un sujet tabou. Et en France, ce n’est même plus seulement tabou : si vous en parlez trop, vous vous exposez à des représailles. C’est la réalité, et je suis désolé de le dire, mais c’est ainsi. Si on veut une vraie évolution, il faut changer de système économique, et la télévision doit en faire partie. La télévision vend un événement, en tire des bénéfices, et c’est normal que le Tour de France gagne de l’argent. Ce qui ne l’est pas, c’est que deux acteurs majeurs n’aient aucun retour : la Fédération et les équipes.

En France, contrairement aux autres sports, la Fédération Française de Cyclisme n’est jamais invitée à la table des négociations avec ASO ou les diffuseurs. Jamais. Il ne faut surtout pas le dire. La Fédération ne dirige rien : pour faire des recettes, elle augmente les licences ou les droits d’organisation. Quant aux équipes, elles amènent de la visibilité, des coureurs, un investissement… mais elles ne touchent rien des recettes TV, alors qu’elles participent directement à la valeur de l’événement. Mais encore une fois : sujet tabou. Aujourd’hui, je peux parler. Alors je parle.