Une jeune femme de moins de 40 ans pendant une séance de chimiothérapie à la suite de son diagnostic précoce de cancer du sein.Selon l’Institut Curie, près d’un cas de cancer du sein sur douze touche aujourd’hui une femme de moins de 40 ans. © Freepik

C’est une tendance que les chiffres ne permettent plus d’ignorer. D’après une étude nationale publiée en 2025 dans la revue scientifique The Breast (P. Pujol et coll., Inserm, Registres des cancers français), les diagnostics de cancer du sein ont explosé chez les jeunes femmes depuis le début des années 1990. Le taux d’incidence est passé de 16,1 à 26,3 cas pour 100 000 femmes-années chez les trentenaires (une hausse de 63 %) et de 98,7 à 131,2 chez les quadragénaires (+33 %).

À l’échelle mondiale, la tendance est similaire. Selon l’OMS et la base GLOBOCAN, l’incidence du cancer du sein chez les moins de 40 ans augmente dans la majorité des pays occidentaux.

En France, 61 214 nouveaux cas ont été recensés en 2023, selon Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa). Si les femmes de plus de 50 ans demeurent les plus touchées, la croissance rapide chez les jeunes adultes constitue un tournant épidémiologique.

Cancer du sein : un signal épidémiologique qui ne passe plus inaperçu Comment expliquer une telle hausse en l’espace d’une génération ?

Difficile de pointer une seule cause. Les chercheurs parlent d’un ensemble de facteurs qui se cumulent. Les premiers concernent les changements hormonaux et reproductifs. Les femmes ont aujourd’hui leur premier enfant plus tard (autour de 31 ans contre 27 ans dans les années 1980) et allaitent moins souvent, ou moins longtemps. 

Or, la grossesse et l’allaitement exercent un effet protecteur sur le tissu mammaire en réduisant l’exposition prolongée aux hormones. Dans le même temps, la puberté, plus précoce qu’autrefois, prolonge la durée de stimulation œstrogénique au cours de la vie.

À ces évolutions biologiques s’ajoutent les habitudes de vie : sédentarité, surpoids, stress, consommation d’alcool ou de produits ultra-transformés. Autant d’éléments qui perturbent l’équilibre hormonal et favorisent un terrain inflammatoire propice au développement de tumeurs.

« Le mode de vie moderne n’est pas étranger à cette évolution », souligne la Dr Sandrine Moulin, épidémiologiste à Santé publique France. « Ce n’est pas la cause unique, mais une toile de fond. »

L’environnement, un facteur silencieux mais préoccupant

Autre piste désormais prise très au sérieux, celle de l’environnement. Des travaux du CNRS et de l’Anses publiés en 2024 montrent que l’exposition répétée aux perturbateurs endocriniens (comme les bisphénols, phtalates, pesticides ou microplastiques) pourrait jouer un rôle dans cette augmentation.

Ces substances, présentes dans de nombreux produits du quotidien, imitent ou bloquent l’action naturelle des hormones et peuvent influencer le développement mammaire dès la vie fœtale.

Le rapport de l’Anses souligne que leurs effets ne sont pas spectaculaires à court terme, mais cumulatifs. Une exposition faible, répétée au fil des années, pourrait suffire à accroître le risque de cancer du sein. C’est un facteur insidieux, difficile à mesurer, mais désormais impossible à ignorer.

Le dépistage, parent pauvre des jeunes générations

Contrairement aux femmes de 50 à 74 ans, invitées tous les deux ans à une mammographie gratuite dans le cadre du dépistage organisé, les femmes de moins de 40 ans n’ont pas accès à un tel programme.

Leur suivi repose sur l’initiative individuelle ou sur la vigilance médicale lorsqu’un risque particulier est identifié : 

  • antécédent familial, 
  • mutation BRCA1/2, 
  • irradiation thoracique, 
  • ou forte densité mammaire.

Ce vide dans le maillage préventif contribue à un diagnostic souvent plus tardif. 

Cancer du sein : la réalité derrière les faits  Un diagnostic tardif, un cancer plus agressif

Selon l’INCa, les tumeurs chez les jeunes femmes sont découvertes à des stades plus avancés, parfois après des mois d’hésitation ou de mauvais aiguillage. Les symptômes peuvent être atypiques, et les seins plus denses rendent les anomalies moins visibles à la mammographie.

Autre particularité, les cancers du sein chez les moins de 40 ans sont souvent biologiquement plus agressifs. Ils présentent plus fréquemment des formes dites « triple négatives », qui ne répondent ni aux traitements hormonaux ni aux thérapies ciblées classiques. Cela se traduit par des protocoles lourds (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie) et un impact psychologique considérable, voire une dépression réactionnelle.

Dépistage du cancer du sein : adapter la santé publique à une nouvelle réalité

Face à cette mutation du paysage épidémiologique, les autorités sanitaires réfléchissent à des réponses adaptées. Faut-il abaisser l’âge du dépistage organisé ? La Haute Autorité de Santé reste prudente. La mammographie est moins performante sur les seins denses des femmes jeunes, et un dépistage trop large pourrait entraîner de faux positifs et des traitements inutiles.

Mais le débat évolue. Plusieurs experts prônent désormais un dépistage personnalisé, ajusté au profil de risque. Un modèle hybride, déjà expérimenté au Canada et au Royaume-Uni, qui combinerait antécédents familiaux, densité mammaire, exposition hormonale et mode de vie.

En parallèle, les associations militent pour un renforcement massif de la prévention primaire.

Certaines voix appellent aussi à élargir la recherche sur les liens entre environnement et cancer. Car la prévention du futur pourrait bien passer par la réduction de notre exposition collective aux polluants hormonaux, plutôt que par un dépistage toujours plus précoce.

Vers une culture de la vigilance préventive ?

Cette hausse des cancers du sein chez les femmes jeunes révèle en creux les contradictions de notre société moderne. Nous vivons plus longtemps, mais dans un environnement saturé de stimuli chimiques et de pressions quotidiennes. Nous connaissons mieux la maladie, mais la prévention reste perçue comme une contrainte lointaine.

Pourtant, les chiffres montrent que lorsqu’un cancer du sein est détecté à un stade précoce, les chances de guérison dépassent 90 % selon l’INCa. La clé réside donc dans la vigilance et la connaissance de son propre corps, sans tomber dans l’anxiété.

À SAVOIR 

Le cancer du sein n’a rien d’un mal moderne. Le plus ancien cas connu remonte à plus de 2 500 ans : des archéologues ont découvert en 2016, en Égypte, la momie d’une femme présentant des lésions typiques de tumeurs mammaires métastatiques.

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