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Emilie Dudon-Fournier

Publié le

21 oct. 2025 à 16h57

Il a débuté la semaine dernière. Un mois et demi après le lancement des championnats professionnels, Rodrigo Capo Ortega s’est rendu à Bayonne, Dax et Mont-de-Marsan pour sensibiliser les joueurs professionnels et des centres de formation sur le sujet de la santé mentale. Accompagné par le psychologue référent de la LNR, Jean-Luc Douillard, et par Jean-Paul Piovesan, traducteur, l’ancien capitaine de Castres (aujourd’hui chargé des relations publiques du CO et entraîneur à Montredon, en Régionale 1) vient partager son expérience. De coach mental, tout d’abord, mais aussi d’homme. L’ex 2e ligne de l’Uruguay a en effet connu une profonde dépression et l’alcoolisme après l’arrêt de sa carrière, en 2020. Entretien.

Tournée dans 20 clubs avec Jean-Marc Doussain

Actu : En quoi consistent vos interventions auprès des clubs ?

Rodrigo Capo Ortega : C’est la 2e année que la tournée « prévention santé mentale » a lieu. Elle est issue d’un partenariat entre la LNR et « Néo Héros », l’association de Raphaël Poulain. L’an dernier, c’est Raphaël qui est allé dans les 30 clubs avec Jean-Luc et Jean-Paul. Cette année, c’est moi et Jean-Marc Doussain qui tournons. Nous visiterons 20 clubs. Avec Jean-Marc, nous venons partager notre parcours en tant qu’hommes avant tout. Jean-Luc, lui, aborde plutôt les aspects théoriques autour de la dépression et des addictions.

Comment se sont passées vos premières interventions ?

R.C.O. : Très bien. J’ai été surpris, content et satisfait des interventions que nous avons faites et surtout de voir comment les joueurs ont réagi. Il y a eu un vrai échange avec eux, ils ont osé parler davantage, poser plus de questions. On voit que c’est un sujet qui commence à toucher tout le monde. Ils prennent conscience que la santé mentale est fondamentale. Nous avons demandé un retour aux clubs visités l’an dernier et 30% nous ont demandé de revenir pour en parler encore.

Rodrigo Capo Ortega sera célébré ce week-end par le club de Castres
Rodrigo Capo Ortega a été l’une des figures les plus emblématiques de Castres durant près de 20 ans. (©Icon Sport)

On parle plus des addictions que de la dépression dans le rugby.

R.C.O. : Oui. Et pourtant… Comme je le dis aux mecs lors de mes interventions, « il va falloir que vous appreniez à vous enlever vos déguisements de super-héros et à mettre les déguisements d’humains avant tout. Parce que, n’oubliez pas que c’est ce qu’on est : des humains ». On a le droit d’être triste, d’être nerveux, de s’exprimer. Ce qui ressort souvent, c’est qu’ils se sentent honteux. Ils ont honte de dire ce qui se passe.

Bastareaud ou Dusautoir pour faire passer des messages

Quels seront les prochains clubs visités ?

R.C.O. : En novembre, Jean-Marc se rendra à Grenoble, à Lyon et à Valence-Romans. Durant les interventions, on projette aussi des vidéos d’anciens joueurs comme Mathieu Bastareaud ou Thierry Dusautoir qui font passer de bons messages.

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Lors d’une interview de Fulgence Ouedraogo récemment, il nous confiait que le terme « santé mentale » n’existait pas quand il jouait. C’est quelque chose qui n’était pas pris en compte à votre époque.

R.C.O. : On n’en parlait pas du tout. Je vois que maintenant, certains consultent des professionnels à l’extérieur pour les aider. C’est bien. Quand on va voir un psy, c’est un cadeau qu’on se fait. Pourquoi ? Parce que comme je dis aux joueurs : « Dans la semaine, vous travaillez ici, vous faites de la muscu, vous allez au terrain, vous faites des séances vidéo. Après, quand vous sortez du club, ceux qui ont des familles sont avec leurs épouses et leurs enfants, les autres passent du temps avec des potes. Le week-end, vous avez les matchs. Et quand prenez-vous du temps pour vous ? Pour travailler sur vous ? Jamais. » Souvent, les gens attendent d’aller mal pour aller voir quelqu’un. Au contraire, si on le fait en allant bien, on va se sentir encore mieux.

L’aspect mental doit-il faire partie de la prise en charge du joueur, au même titre que le reste ?

R.C.O. : Oui ! Je vais vous donner un exemple : en passant mon diplôme de coach mental, j’ai appris à utiliser la respiration. C’est un outil formidable ! Et malheureusement, personne ne nous l’enseigne quand on est joueur. Pourtant, ça aide à gérer les émotions, quand on est fatigué. Savoir qu’une micro-sieste est l’équivalent d’un cycle de sommeil peut tout changer. Ce sont des choses essentielles qui ne sont pas sues.

« En passant mon diplôme de coach mental, j’ai appris à utiliser la respiration. C’est un outil formidable ! Et malheureusement, personne ne nous l’enseigne quand on est joueur. Pourtant, ça aide à gérer les émotions, quand on est fatigué. Savoir qu’une micro-sieste est l’équivalent d’un cycle de sommeil peut tout changer. Ce sont des choses essentielles qui ne sont pas sues. »

Rodrigo Capo Ortega
Ancien 2e ligne de Castres et de l’Uruguay

A titre personnel, pourquoi vous investir sur ce thème ?

R.C.O. : C’est un sujet qui me touche beaucoup car je suis passé par là. Et si je peux donner un peu de ma personne aux autres, les faire sourire et les empêcher de vivre la moitié de ce que j’ai vécu, c’est déjà gagné. Le matin, je sais pourquoi je me lève. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup, me fait du bien et me remplit.

2 ans de dépression et d’alcoolisme

Qu’avez-vous vécu ?

R.C.O. : J’avais annoncé l’arrêt de ma carrière en 2020. J’ai voulu jouer le plus longtemps possible pour que mes enfants puissent être grands et que mon dernier match reste gravé pour nous tous. Malheureusement, je n’ai pas vécu cette dernière à cause du Covid. J’ai disputé mon dernier match à Bordeaux. J’ai marqué un essai de 80 mètres, c’était super mais je ne savais pas que c’était le dernier. Puis le championnat a été suspendu, je me disais que ça allait forcément reprendre. J’étais dans un déni total, je refusais de me dire que je n’allais plus revenir sur le terrain de toute ma vie. Et puis quand le verdict est tombé, je suis entré en dépression. De plus en plus, jusqu’à connaître l’alcoolisme et toucher le fond. J’ai été malade de 2020 à 2022.

De 2002 à 2020, Rodrigo Capo Ortega a disputé plus de 450 matchs sous le maillot du CO.
De 2002 à 2020, Rodrigo Capo Ortega a disputé plus de 450 matchs sous le maillot du CO. (©Icon Sport)

Comment vous en êtes-vous sorti ?

R.C.O. : Heureusement que j’ai eu ma femme et mes proches. Ils m’ont dit qu’il fallait que j’aille à l’hôpital pour me faire soigner. Ça m’a fait beaucoup de bien. Ça m’a permis de trouver plein de réponses, d’apprendre de nouvelles choses, d’apprendre sur moi. J’ai beaucoup appris aussi des gens qui étaient là-bas et qui connaissaient des situations bien pires que la mienne. Aujourd’hui, je me sens bien à nouveau, ça fait 3 ans que tout va bien. C’est ça la vie : on tombe et on se relève un million de fois.

« A l’arrêt de ma carrière, je n’avais plus de cadres. Tout s’est cassé la gueule. Aussi, j’avais peur de ne plus être aimé par ma famille et mes proches de la même manière que quand je jouais au rugby. Ce n’était pas vrai, bien sûr. Mais quand tu es en dépression, tu vois tout en noir. »

Rodrigo Capo Ortega
Ancien 2e ligne de Castres et de l’Uruguay

Qu’avez-vous particulièrement mal vécu à l’arrêt de votre carrière ?

R.C.O. : J’ai enfin compris pourquoi j’ai fait cette dépression. Depuis petit jusqu’à mon arrivée en France, j’ai eu des cadres dans ma vie : ma famille, l’école, le sport, mes amis. Quand j’ai débarqué ici, ces cadres étaient formés par le rugby, ma femme, mes enfants. A la fin de ma carrière, ma femme a voulu s’émanciper et commencer à travailler. Donc en fait, elle est « partie » entre guillemets. Elle n’était plus là, le rugby non plus : je n’avais plus de cadres. Tout s’est cassé la gueule. Aussi, j’avais peur de ne plus être aimé par ma famille et mes proches de la même manière que quand je jouais au rugby. Ce n’était pas vrai, bien sûr. Mais quand tu es en dépression, tu vois tout en noir.

Vous n’aviez pas osé en parler à des coéquipiers ?

R.C.O. : Non.

Parce que vous aviez honte ?

R.C.O. : Je ne sais pas si c’était de la honte… Peut-être, oui. Je ne pourrais pas vous dire. Quand tu es dans une telle dépression et que tu es dépendant de quelque chose, tu n’es plus décisionnaire de ta vie. L’addiction prend le dessus et tu ne décides plus de rien. C’est grâce à ma femme que je m’en suis sorti : elle a été très directive en deux occasions, qui m’ont permis d’aller à la clinique en désintoxication. Parfois, les gens proches me disaient « tu devrais aller voir quelqu’un », « tu me fais de la peine »… Ce dont ils ne se rendaient pas compte, c’est qu’ils me faisaient encore plus de mal. Dans ces moments-là, on n’est plus conscient de rien, on n’a plus de pouvoir décisionnaire sur rien. Alors les proches doivent être très directifs et faire à la place du malade.

« Quand tu es dans une telle dépression et que tu es dépendant de quelque chose, tu n’es plus décisionnaire de ta vie. L’addiction prend le dessus et tu ne décides plus de rien. C’est grâce à ma femme que je m’en suis sorti : elle a été très directive en deux occasions, qui m’ont permis d’aller à la clinique en désintoxication. »

Rodrigo Capo Ortega
Ancien 2e ligne de Castres et de l’Uruguay

Car c’est une vraie maladie, en effet.

R.C.O. : Bien sûr. Et surtout, ce n’est pas quelque chose qu’on fait volontairement. C’est comme quand tu chopes une grippe. Dans mes interventions, j’explique que la dépression, c’est quelqu’un qui entre dans ton corps sans ta permission et qui commence à te ronger petit à petit. Et si tu ne t’en rends pas compte à temps, c’est trop tard. C’est pour ça qu’il est si important de parler. Aujourd’hui, il y a des numéros, des endroits à l’extérieur du club vers qui les joueurs peuvent se tourner. Par exemple, Jean-Luc (Douillard) donne souvent son numéro de téléphone pour qu’ils puissent le joindre. Parfois, parler deux ou trois fois à un psy peut suffire.

Continuez-vous à être suivi par le vôtre ?

R.C.O. : Bien sûr.

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