Deux ans d’existence et plus de vingt romans : Crime.lu s’est déjà imposé comme la référence du noir «made in Luxembourg». Alors que la collection organise vendredi sa deuxième Nuit du polar, retour sur son histoire et sa philosophie.
Tout part d’un «vide» qui a rapidement été comblé : «Il existe un peu partout des collections consacrées à la littérature policière, certaines très anciennes», relate Pierre Decock, l’un des quatre cofondateurs de Crime.lu avec Gaston Zangerlé, Monique Feltgen et Didier Debord. «On trouvait étonnant qu’aucune maison d’édition au Luxembourg n’ait encore dédié un espace au genre» populaire par excellence qu’est le polar. C’est chose faite désormais, par le biais de cette collection créée officiellement le 7 juillet 2023 et qui, moins de deux ans et demi plus tard, a déjà sorti plus d’une vingtaine de romans et organise un évènement dédié, la Nuit du polar, dont la deuxième édition se tiendra vendredi à Peppange (lire encadré).
Comme les collections françaises du Masque et de la Série noire, deux inspirations majeures, Crime.lu est né selon une «philosophie» : «L’auteur et l’histoire doivent avoir un lien avec le Luxembourg», explique Monique Feltgen. «Certains récits se déroulent à l’étranger, mais avec un Luxembourgeois comme protagoniste. À l’inverse, d’autres se passent au Luxembourg, mais sont écrits par des non-Luxembourgeois.» À l’exception de cette règle fixe, Crime.lu veut se présenter comme un espace où s’épanouit le polar sous toutes ses formes, avec «de la place pour la fantaisie».
Ainsi, Dummer Tod, de Rosemarie Schmitt, s’apparente au «polar philosophique», Rita Braun, avec Von Fall zu Fall, écrit un «polar humoristique», Le Moine à la boucle d’oreille de Pierre Decock est «très noir» et Monique Feltgen défend son envie de mêler «crime et histoires d’amour» dans des récits «qui se finissent toujours avec un happy end». À l’image de son premier roman, Das Rousegäertchen-Komplott, publié à l’origine en 2006 aux Éditions Saint-Paul, qui l’avaient étiqueté «Krimi», au désarroi de l’autrice qui a depuis embrassé cette catégorisation, puisque le roman a été réédité en 2023 sous la bannière de Crime.lu. «Le polar ouvre à toutes sortes de réflexions et de jeux sur la forme : on ose diversifier les expressions du genre sans jamais perdre de vue le crime», assure-t-elle.
Le «momentum» du polar luxembourgeois
Il est vrai que la littérature policière est «relativement récente» au Luxembourg : Le Crime parfait (1975), d’Albert Mambourg, fait figure de pionnier du genre, «même si on trouvait déjà chez des auteurs comme Batty Weber des éléments d’intrigue et de tension qui seront plus tard repris dans le polar», note Pierre Decock. Depuis, le roman noir s’y est épanoui, au XXIe siècle notamment avec Carla Lucarelli, Claudine Muno, Tullio Forgiarini… Même les personnages stars du genre ont eu droit à leurs enquêtes grand-ducales, avec Sherlock Holmes au Luxembourg (1983), de Charles Hamer, et Maigret et l’affaire du Marie-Astrid (1992), écrit par des élèves du lycée technique agricole d’Ettelbruck et leur enseignante de français.
Avec d’un côté le succès de séries télévisées comme Capitani et Marginal et, de l’autre, Crime.lu, le polar «made in Luxembourg» connaît en ce moment son âge d’or. «On est dans un momentum, juge Pierre Decock, pas seulement au Luxembourg d’ailleurs.» Cet intérêt grandissant, «sociologiquement, ça raconte quelque chose», poursuit-il, citant «le fait divers comme dérivatif d’une vie quotidienne qui n’est pas facile», et qui fonctionne surtout sur la proximité. «Plus c’est proche de chez vous, plus les gens ont envie de savoir.» Une formule qui colle bien aux récits locaux de Crime.lu.
Recevoir un polar écrit en luxembourgeois, on ne demande que ça!
Pour le quatuor fondateur, qui s’est surnommé «Crime family», cette collection est surtout l’aboutissement d’une passion commune. Et représente une bonne dose de travail pour ces retraités qui, non contents d’écrire leurs propres romans, lisent et sélectionnent les manuscrits des autres (une dizaine d’auteurs en tout) et gèrent tous les aspects de la collection. Gaston Zangerlé, instigateur du projet et qui a rattaché Crime.lu à sa maison d’édition, Baobab, est attaché à la «logistique» (commandes de livres, envois aux librairies et bibliothèques…), Monique Feltgen a «le rôle de la commerciale et de la community manager», Pierre Decock, qui a «longtemps travaillé en BD et dans l’illustration», s’occupe de l’aspect graphique de la collection et de son site web, et Didier Debord partageait avec ses collègues la tâche de relire et corriger les manuscrits. Du moins, jusqu’à son décès au mois de mai, à 69 ans. «La mort de Didier nous a chamboulés, dit Monique Feltgen, mais elle nous a aussi fait réaliser tout ce qu’on a fait en l’espace de deux ans. On est à la retraite, mais avec un emploi à plein temps – et on bosse comme des dingues.»
Changement de rythme
Avec 21 romans déjà publiés, plusieurs sorties déjà programmées et la création d’un sous-label jeunesse (avec deux romans déjà publiés et un troisième «prévu pour décembre 2026»), la collection a démarré sur les chapeaux de roues. Il est maintenant temps de «freiner un peu», glisse Monique Feltgen. «On ne va pas se reposer sur nos lauriers, mais on voudrait se focaliser un peu plus sur le marketing, vendre ce qui est déjà sorti et publier un peu moins. On continuera avec plusieurs livres par an, mais en faisant en sorte que notre rythme de publication ne nuise pas aux livres.» La Nuit du polar ou les Walfer Bicherdeeg, le week-end du 15 novembre, sont des lieux d’exposition idéaux et donneront un peu de souffle dans le quotidien intense de l’équipe derrière Crime.lu.
Il y aura bientôt du nouveau au sein de la collection avec un recueil de nouvelles policières signé Percy Lallemang : leur premier livre publié en anglais. Une troisième langue qui s’ajoute aux deux prédominantes, le français (avec Didier Debord, Pierre Decock et Gaston Zangerlé) et l’allemand (Monique Feltgen, Rosemarie Schmitt, Maximilian Böhm…), mais qui souligne toujours plus l’absence du luxembourgeois dans le catalogue de la collection. «La langue luxembourgeoise est difficile à écrire, sa grammaire controversée», analyse Monique Feltgen, ajoutant que Crime.lu n’a encore jamais reçu un manuscrit en luxembourgeois, alors même que cette langue «suinte de tous les côtés dans certains de nos romans», ajoute Pierre Decock, qui impute «en partie» pour sa part ce manque «à l’éducation à l’écriture (qui) se fait en français et en allemand». Mais martèle néanmoins que «recevoir un polar écrit en luxembourgeois, nous, on ne demande que ça». L’appel est lancé.
Une soirée dédiée au genre
Pour la deuxième fois, Crime.lu organise sa Nuit du polar, qui aura lieu vendredi au Musée rural et artisanal de Peppange. «C’est notre autre bébé», résume Monique Feltgen. Après une première édition qui s’était tenue en mai, au Kinoler de Kahler devant une salle comble de 50 personnes, la formule reste inchangée. La soirée s’articule autour de trois lectures des sorties récentes de la collection et de rencontres avec leurs auteurs : Dummer Tod de Rosemarie Schmitt, Gier Royal de Maximilian Böhm et Bon anniversaire Dimitri de Pierre Decock – lu par Gaston Zangerlé –, des interludes musicaux par Karin Melchert, «chanteuse de métier» mais qui a publié au printemps son premier polar chez Crime.lu, naturellement intitulé Das Lied vorm Tod, et un court métrage de Percy Lallemang réalisé «avec ses étudiants» du lycée Bel-Val.
Ce qui motive la tenue d’une telle soirée, qui «doit toujours rester quelque chose de spécial», souligne Monique Feltgen, c’est «l’évènement littéraire ou bien le beau cadre qui s’y prête», prouvant l’envie de l’équipe de faire voyager sa collection à travers le pays. «On cherche des endroits qui ont une ambiance particulière» : ainsi, après le Kinoler et le Musée rural, la prochaine édition s’installera le 14 février 2026 au Trifolion d’Echternach. «C’est une grosse salle, c’est sûr que c’est impressionnant», avoue Monique Feltgen. Mais «c’est une belle possibilité», d’autant plus que c’est le Trifolion, «par l’intermédiaire d’une de nos autrices», qui a demandé à accueillir l’évènement. Un plus grand lieu pour confirmer le succès de la collection? En attendant, il reste une poignée de dernières places pour vendredi.
La Nuit du polar,
Vendredi à 19 h.
Musée rural et artisanal – Peppange.
Réservation : event@crime.lu
2025-10-22