

En France, près de 8 millions de personnes prennent un antidépresseur chaque année, selon les données de la Caisse nationale d’assurance maladie. Ces traitements, essentiels pour stabiliser l’humeur et prévenir les rechutes dépressives, sont parmi les plus prescrits en médecine générale.
Mais leur succès s’accompagne d’un paradoxe, deux patients ne réagissent jamais exactement de la même façon. Certains retrouvent un équilibre émotionnel sans difficulté, d’autres souffrent d’une cascade d’effets secondaires physiques : prise de poids, troubles du sommeil, fatigue chronique, ou encore palpitations.
Alors, pourquoi les effets diffèrent d’un patient à l’autre ? Antidépresseurs : une étude révèle des écarts “cliniquement significatifs”
Une méta-analyse internationale, relayée par Euronews Santé et Nice-Matin en octobre 2025, a comparé 151 essais cliniques et 17 rapports de la Food and Drug Administration (FDA), soit près de 59 000 patients. Les résultats sont sans appel, les antidépresseurs n’ont pas les mêmes effets physiques.
Les chercheurs ont observé jusqu’à 4 kilos de différence de prise de poids entre l’Agomélatine (relativement neutre) et la Maprotiline (plus propice à la prise de masse). Même constat du côté du cœur : 21 battements par minute d’écart sur le rythme cardiaque entre la Fluvoxamine et la Nortriptyline.
Ces écarts ne sont pas anodins. Ils traduisent des différences pharmacologiques fondamentales entre les familles d’antidépresseurs :
- les ISRS (comme la fluoxétine ou la paroxétine) agissent sur la sérotonine,
- les tricycliques influencent plusieurs neurotransmetteurs,
- les IRSNa (comme la venlafaxine ou la duloxétine) ciblent à la fois la sérotonine et la noradrénaline.
Ces mécanismes distincts expliquent pourquoi certains traitements impactent davantage le métabolisme, le cœur ou le foie.
Un corps, mille réponses : le rôle décisif de la biologie
Mais au-delà de la molécule, c’est le corps du patient qui fait toute la différence. Deux personnes peuvent recevoir la même dose et réagir de manière totalement opposée. La raison ? Le métabolisme individuel.
Chaque être humain transforme et élimine les médicaments différemment, notamment à cause d’enzymes spécifiques du foie, les cytochromes P450. Certaines variantes génétiques ralentissent ce métabolisme, d’autres l’accélèrent.
Ainsi, un “métaboliseur lent” accumulera davantage de médicament dans son organisme, augmentant la somnolence, les nausées ou la prise de poids. À l’inverse, un “métaboliseur rapide” éliminera le produit trop vite, réduisant son efficacité.
Une étude publiée dans The Lancet Psychiatry (2024) estime que jusqu’à 40 % de la variabilité de réponse aux antidépresseurs s’explique par des différences génétiques. Ces découvertes alimentent un nouveau champ de recherche : la pharmacogénétique, ou l’art d’adapter le traitement à l’ADN du patient.
Mode de vie, stress et comorbidités : des amplificateurs silencieux
Les gènes n’expliquent pas tout. Notre quotidien, nos habitudes alimentaires ou encore notre état de santé général pèsent lourdement dans la balance. Une personne en surpoids ou diabétique sera plus sensible aux effets métaboliques de certains antidépresseurs.
Les molécules comme la paroxétine, la duloxétine ou la venlafaxine peuvent notamment augmenter le cholestérol ou la glycémie, selon une analyse publiée sur Egora.fr.
Le stress chronique, la sédentarité, ou même une alimentation trop sucrée accentuent aussi les risques de fatigue, de rétention d’eau ou de déséquilibres hormonaux. À l’inverse, une activité physique régulière ou une bonne hygiène de sommeil peut atténuer certains effets indésirables.
Un suivi personnalisé pour une meilleure tolérance
Cette variabilité interindividuelle plaide pour une approche plus fine, plus humaine. Les psychiatres et médecins généralistes insistent désormais sur le suivi personnalisé : pesée régulière, contrôle de la tension, bilan sanguin, et surtout dialogue constant entre le patient et le praticien.
Certains centres hospitaliers commencent à utiliser des tests pharmacogénétiques avant la prescription, afin de déterminer quelles molécules seront mieux tolérées. Mais ces tests restent encore rares et non remboursés en France.
« Il ne faut jamais banaliser un effet secondaire », rappelle la Haute Autorité de santé (HAS). « Ce sont souvent des signaux d’alerte utiles pour ajuster le traitement. » Changer de molécule ou de dosage peut suffire à rétablir l’équilibre, à condition de ne jamais interrompre brutalement le traitement sans avis médical.
À SAVOIR
Selon la Haute Autorité de Santé (HAS) et la Caisse nationale d’Assurance Maladie (Cnam), la dépression caractérisée, aussi appelée épisode dépressif majeur, est la première cause de prescription d’antidépresseurs en France.


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