Retrouvez un vendredi sur deux notre rubrique bimensuelle en partenariat avec l’Ordre : « Les Pages du Barreau ». Cette semaine, elle se consacre au Droit public :
Le territoire ligérien fait face à une recrudescence des dépôts sauvages, tant sur les espaces publics que privés, nécessitant une réponse des autorités publiques, en particulier du maire qui joue un rôle déterminant dans cette lutte.
Par Me Margot Gastrein, avocate au Barreau de Saint-Étienne.
Me Margot Gastrein, avocate au Barreau de Saint-Étienne.
Sur le plan national, le législateur s’est emparé de cette problématique afin de doter les pouvoirs publics de moyens coercitifs permettant d’y faire face, notamment par la promulgation de la Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire dite loi Agec.
Le maire est l’acteur principal de lutte contre les dépôts sauvages et dispose de pouvoirs de police pour intervenir en la matière. La compétence du préfet, secondaire, se limite aux cas ci-après :
- Elle est exclusive lorsque les déchets proviennent d’une installation classée pour la protection de l’environnement ;
- Elle est partagée et collaborative lorsque les déchets sont constatés sur le territoire de plusieurs communes ;
- Elle est substituée à celle du maire en cas de carence dans l’exercice de son pouvoir de police.
Ainsi, dès que le maire est averti d’un dépôt sauvage, il doit agir et dispose pour ce faire de plusieurs leviers. L’intervention du maire, en tant qu’autorité de police, se séquence en deux phases distinctes :
- Une phase préventive ou administrative pour faire cesser le trouble causé par le dépôt sauvage
- Une phase répressive pour réprimander l’auteur du dépôt sauvage
Les pouvoirs de police administrative du maire
La première phase, dite préventive, ouvre un panel d’outils à disposition du maire pour agir et remédier au dépôt sauvage. Il détient :
Le pouvoir de police administrative spéciale en matière de déchets
En priorité, le maire doit mobiliser ses pouvoirs de police spéciale. La procédure prévue par l’article L. 541-3 du Code de l’environnement est soumise à plusieurs conditions :
- Le dépôt sauvage doit être constitué de déchets au sens du Code de l’environnement (article L. 541-1-1 du Code de l’environnement : « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire » ) – cette notion bien que définie par le législateur a suscité de vifs débats doctrinaux – le Conseil d’État ayant admis qu’un dépôt sauvage est un déchet dès lors qu’il est en état d’abandon (CE, 26 juin 2023, n° 457040) ;
- Ces déchets doivent être abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux principes environnementaux ;
- Le responsable juridique à l’origine des déchets doit être identifié.
Cette procédure spéciale impose le respect des étapes ci-après qui conditionnent la légalité des mesures de police prises par le maire sur ce fondement :
ÉTAPE 1 : Le dépôt sauvage doit faire l’objet d’un procès-verbal de constat (par un agent assermenté ou par un commissaire de justice) étant précisé qu’il y a lieu de distinguer selon le lieu où se situe le dépôt :
- S’il est identifié sur le domaine public, pas de difficulté particulière : le maire peut agir
- À l’inverse, s’il se trouve sur une parcelle privée, l’accord du propriétaire est nécessaire (sous peine de voie de fait) pour accéder à la propriété et procéder aux opérations de constat.
ÉTAPE 2 : Une fois le constat dressé, le maire doit notifier un courrier préalable au producteur ou détenteur des déchets l’informant :
- Des faits reprochés ;
- Des sanctions encourues tant sur le plan administratif que sur le plan pénal à défaut de remise en état du site ;
- De la possibilité de présenter ses observations écrites ou orales dans un délai de 15 jours, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix.
ÉTAPE 3 : Si le dépôt perdure, le maire doit prendre un arrêté de mise en demeure à l’encontre du producteur ou détenteur de déchets d’effectuer les opérations nécessaires au respect du règlement applicable (enlèvement et remise en état du site), le cas échéant assorti d’une amende administrative
ÉTAPE 4 : Dans l’hypothèse où la mise en demeure est restée sans effet, le maire peut prendre un arrêté de sanction administrative. L’article L. 541-3 du Code de l’environnement liste cinq sanctions qui sont cumulables (consignation, l’exécution d’office de travaux aux frais du producteur ou détenteur de déchets, mise à l’arrêt de l’installation, astreinte journalière et amende administrative).
Les mesures de police prises au visa de cette disposition doivent être motivées et proportionnées au trouble causé par le dépôt sauvage.
Le pouvoir de police administrative générale du maire
Face à son pouvoir de police spéciale, le maire détient également d’autres pouvoirs de police tirés du Code général des collectivités territoriales qui lui permettant d’agir en matière de dépôts sauvages :
Le maire peut intervenir au titre de son pouvoir de police administrative générale lorsqu’il existe un péril grave et imminent d’atteinte à la salubrité publique. Il pourra donc prendre des mesures de lutte contre les déchets sur le fondement des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales. Il détient également un pouvoir de sanction pour les dépôts sauvages de déchets contraires à un arrêté municipal et entravant la circulation (article L. 2212-2-1 Code général des collectivités territoriales).
Il peut agir sur le fondement de l’article L. 2213-25 dudit Code et prescrire, pour motifs environnementaux, au propriétaire l’obligation d’exécuter, à ses frais, les travaux de remise en état du terrain lui appartenant (terrain bâti ou non bâti, défaut d’entretien, proximité immédiate d’habitation, déchets végétaux).
Il doit également veiller au respect du règlement sanitaire départemental lequel réglemente l’élimination des déchets.
Ainsi, le fondement d’intervention du maire dépend de la qualification juridique du dépôt sauvage.
Le pouvoir de police judiciaire du maire
La seconde phase, dite répressive, permet au maire, en qualité d’officier de police judiciaire, de constater et de dresser un procès-verbal d’infraction.
Lorsque le maire constate une infraction par procès-verbal, il lui appartient de choisir la qualification la plus adaptée, entre le délit prévu à l’article L. 541-46 du Code de l’environnement ou les contraventions et délits prévus par le Code pénal.
Il peut également dresser un procès-verbal s’il constate une infraction au règlement sanitaire départemental ou au plan local d’urbanisme, dont les règles peuvent, selon la zone au sein de laquelle sont constatés les déchets, prohiber tout dépôt sauvage (c’est le cas notamment en zone naturelle ou agricole).
Cette problématique brûlante d’actualité contraint les pouvoirs publics, et au premier rang les maires, à la recherche de solutions efficaces et préventives.
Dès que l’infraction est constatée, et le procès-verbal dressé, le maire doit le transmettre sans délai au procureur de la République qui détient l’opportunité des poursuites.
De manière complémentaire, le maire peut saisir le Parquet d’une plainte avec constitution de partie civile pour dépôt sauvage. L’action civile exercée par la commune ne sera recevable que si le maire a été spécialement habilité par son conseil municipal à cette fin (article L. 2122-22 du CGCT).
Si des moyens sont mis à disposition du maire pour agir lorsqu’il est avisé d’un dépôt sauvage, n’y a-t-il pas des outils préventifs qui faciliteraient les opérations de constat et auraient une portée dissuasive ?
La loi Agec précitée incite les maires à installer un dispositif de vidéosurveillance sur leur territoire afin de servir de support à la constatation des infractions relatives à l’abandon de déchets (article L. 251-2 du Code de la sécurité intérieure) et à élargir le nombre des personnes habilitées à constater les infractions de dépôts sauvages.
Cette problématique brûlante d’actualité contraint les pouvoirs publics, et au premier rang les maires, à la recherche de solutions efficaces et préventives. Il serait opportun de réfléchir à un processus de déjudiciarisation permettant l’adoption d’une réponse accélérée et coercitive entre les mains des autorités de police.