Les Britanniques ont eu Margaret Thatcher, disparue en 2013 et dont on fête le centenaire de la naissance ce mois d’octobre ; les Français ont eu Édith Cresson et Élisabeth Borne. Bien sûr, pour nos médias du service public, l’ancienne Première ministre du Royaume-Uni reste synonyme d’“ultralibéralisme”, de sécheresse de cœur, de toutes les insultes que chantait Renaud dans Miss Maggie. Et pourtant…

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​Pourtant, lorsque Margaret Thatcher arrive au pouvoir, en 1979, elle lance avant Ronald Reagan ce qu’on appellera la “révolution conservatrice”, le terme “conservateur” renvoyant au nom de son parti et non pas à la politique qu’elle va mener. Le pays est alors “l’homme malade de l’Europe” : dirigé depuis des décennies par des socialistes de droite comme de gauche, conservateurs ou de travaillistes, le Royaume-Uni s’est enfoncé dans le néokeynésianisme et un État providence sclérosant. Le niveau de vie des Britanniques est alors faible par rapport au nôtre ; le chômage et l’inflation sont élevés, les impôts écrasants, ce qui décourage l’esprit d’entreprise et fait fuir les talents ; les syndicats prennent le pays en otage. Bref, la nation est en déclin.

Anticommunisme virulent, défense de la propriété et des principes économiques libéraux

​Pour arriver au 10, Downing Street, il a fallu que l’ambitieuse, d’origine modeste, s’impose au sein de son propre parti, engoncé dans l’interventionnisme. À la tête de l’opposition en 1975, elle devient Première ministre quatre années plus tard avec des convictions fortes : un anticommunisme virulent, une défense ardente de la propriété et des principes économiques libéraux qui lui ont été inculqués par les intellectuels et les think tanks qui gravitaient autour d’elle. Elle réussit à retourner le caractère infamant du surnom de “dame de fer” dont elle est affublée depuis les années 1970.

​En effet, c’est avec beaucoup d’abnégation qu’elle conduit sa politique de privatisations tous azimuts, de baisse de moitié du taux marginal de l’impôt sur le revenu, de suppression des organismes publics et parapublics inutiles. Elle réussit à vaincre les nombreux obstacles qui lui sont opposés lors de son premier mandat, en parvenant notamment à briser les syndicats qui paralysaient le pays. Rançon du succès, elle sera deux fois réélue lors de ses onze années et demie de mandat, la durée la plus longue pour un Premier ministre depuis le XIXe siècle. Même si les Britanniques ont commis bien des erreurs depuis son départ, ils ont progressivement rattrapé notre niveau avant de le dépasser et ils sont devant en termes de PIB depuis 2014.

A LIRE Royaume-Uni : la cathédrale de Canterbury profanée et saccagée par une exposition d’art moderne d’extrême gaucheNous attendons encore le (ou la) Thatcher français

​Margaret Thatcher reste une source d’inspiration pour les femmes et les hommes politiques dans le monde entier. María Corina Machado, dernière Prix Nobel de la paix, n’est-elle pas appelée “la Thatcher vénézuélienne” ? Le président argentin, Javier Milei, n’a-t-il pas clamé à de nombreuses reprises son admiration pour l’ancienne Première ministre, en dépit de la cuisante défaite des Falklands ?

​Et en définitive, la situation française actuelle est-elle si éloignée de celle que Margaret Thatcher a trouvée lorsqu’elle est arrivée à la tête du gouvernement britannique ? Ne sommes-nous pas dans une société bloquée, percluse de passe-droits et de privilèges, suradministrée, sur-imposée, bloquée par les syndicats, aux services publics pesants mais gravement défaillants, gouvernée par des médiocres, en bref un pays dans lequel les lions sont menés par les ânes, un pays “qui tombe”, pour paraphraser le titre d’un ouvrage paru il y a douze ans déjà ? Nous attendons encore le (ou la) Thatcher français, non pas comme un homme providentiel mais comme celui qui pourra enfin libérer les énergies, comme celui qui permettra enfin à la société civile de prendre le pas sur l’État. Sera-ce pour la prochaine élection présidentielle ? Il y a tant de talents bridés dans notre pays par la cohorte de ceux que le grand économiste Frédéric Bastiat appelait les « enrayeurs ».

​* Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, ancien professeur des universités et chercheur à l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref).