La start-up stéphanoise Eenuee travaille à la conception d’un avion électrique 19 places, sorte de petit « bus des airs » visant à assurer des liaisons de quelques centaines de km difficilement assurées par train ou route. En France comme à l’international. Un projet dont les acteurs assurent qu’il peut déboucher, à terme, sur un site industriel très conséquent. Sa mise en œuvre commerciale est espérée pour 2031. En attendant, il avance étape, par étape. Depuis mars, Enuee fait l’objet d’un laboratoire ANR commun avec les Mines de Saint-Etienne. Objectif : mettre au point une matière composite adaptée pour un fuselage optimal.

Le fuselage iconoclaste pour un avion de transport de passagers d’Eenue amène plus d’une particularité à résoudre. ©Eenuee

Parallèlement à l’étape eau, il y a l’étape « matière », celle qui doit composer l’avion d’Enuee. Parmi une kyrielle, en réalité, de ces temps de passage nécessaires afin de voir un jour voler au quotidien dans un ciel pas trop haut, 4 000 m d’altitude maximum, cet appareil électrique 19 places au fuselage original. Peut-être même avant que la commercialisation du transport voyageur – au prix « d’un billet TGV » – ne soit lancée pour ce qui est de certaines versions particulières. L’objectif est désormais fixé à 2031. Avec, pourquoi pas derrière, l’enjeu d’un site industriel majeur pour le Sud Loire qui produirait massivement cet avion, comptant plusieurs centaines de salariés, tel que l’espère en tout cas les acteurs du projet. On n’en est certes pas encore là…

La gestation d’une telle ambition, celle d’une start-up qui ne gagne pas encore d’argent mais en dépense afin de mettre au point une technologie de rupture industrialisable capable d’impacter significativement la mobilité en France comme à l’étranger, n’a rien d’un long fleuve tranquille. Elle a ses hauts, ses bas, ses avancées, ses piétinements, en particulier dans un cas aussi ambitieux que celui-ci, lancé en 2019. La dernière levée de fonds d’Enuee, annoncée début 2024 n’a par exemple pas obtenu le résultat espéré… En revanche, quelques jours avant l’ouverture du Salon du Bourget en juin dernier, la start-up stéphanoise annonçait avoir signé un partenariat stratégique avec Duqueine Group (basé dans l’in, plus de 1 000 collaborateurs dans le Monde et 6 sites) « acteur de référence des matériaux composites », ayant pour clients prestigieux des Airbus, Safran et autres Dassault. Bref, du sérieux dans l’air.

Avec Eenue, réduire de 90% les émissions de CO2

D’ailleurs, l’Armée française s’intéresserait aussi au projet, avec l’idée d’une version miniature (un modèle d’essai d’Enuee au 1/7e a déjà volé et sait se poser / décoller sur / depuis l’eau) en drone militaire, qui pourrait plus facilement donc plus rapidement se concrétiser que la version grandeur nature, si les choses vont plus loin. C’est que glisse à la presse locale ce jeudi 16 octobre Benjamin Persiani, « CEO » d’Enuee, dans les locaux principaux de l’école des Mines à Saint-Etienne. Il n’est cependant pas venu pour cela et n’en dira d’ailleurs pas davantage à ce sujet. Le sujet du jour, c’est l’inauguration d’un laboratoire commun – Eenuee, Mines Saint-Etienne et ANR – ici même, cours Fauriel. Le LabCom DISC-AER (Décarbonation par l’Industrialisation de Solutions Composites thermoplastiques pour l’Aviation Électrique Régionale) est en réalité opérationnel depuis mars. Sa médiatisation huit mois plus tard, n’est qu’une question de calendrier à accorder, précisent les deux partenaires présents.

Le modèle grandeur nature d’Eenuee – 13 m de long, 33 d’envergure, 7 de haut – devrait voler pour la première fois en 2029. C’est l’échelle ¼ qui est actuellement travaillée. ©Eenuee

Le troisième, l’Agence nationale de la recherche (ANR) sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en est le financeur – 360 000 € sur une période de 54 mois – au moins initial. Son « parrainage » doit permettre de lever jusqu’à un total de 2 M€ auprès d’autres financeurs publics pour renforcer et aller au-delà des 4 ans et quelques mois de soutien déjà acquis auprès de l’ANR. Qu’est-ce qui se joue concrètement derrière les murs des Mines, où Enuee délègue donc désormais une partie de sa R&D ? « Le projet repose sur un fuselage intégrant les ailes et le corps de l’avion en une seule structure (Blended Wing Body) et l’allègement de l’aéronef via la suppression de nombreuses pièces. L’avion évoluant sur de courtes distances à basse altitude, des éléments comme le système de pressurisation sont en effet obsolètes. Cette conception innovante permettra de réduire de 40 à 50 % la consommation énergétique, et de 90% les émissions de CO2. »

Des « résines thermoplastiques » à intégrer

Aussi, les recherches du LabCom DISC-AER visent à définir la structure optimale et la forme finale du fuselage, ainsi qu’à développer les procédés industriels adaptés à la mise en œuvre des solutions identifiées : « Les chercheurs de Mines Saint-Etienne travailleront notamment sur l’intégration de résines thermoplastiques qui promettent de réduire les coûts environnementaux et financiers de fabrication et de maintenance, tout comme la consommation énergétique sur la durée de vie de l’avion. Ces polymères faciliteraient aussi les réparations, avec la possibilité de désassembler les pièces en réchauffant localement la structure. Enfin, grâce à la possibilité de dissocier les fibres et la résine par élévation de la température, ces thermoplastiques permettraient le réemploi des composants, fibres et résines. » Les travaux s’appuieront sur l’expertise du centre Sciences des Matériaux et des Structures (SMS) de l’École des Mines de Saint-Etienne. Celui-ci travaille, en effet, depuis plus de 20 ans sur les procédés de fabrication de structures hautes performance et les matériaux composites appliqués à l’aéronautique.

« Une recherche d’excellence à fort impact sociétal »

Projection de ce que pourrait apporter au transport aérien d’ici une bonne décennie cette sorte de futur bus des airs. ©Eenuee

« Nous apporterons à Eenuee notre connaissance des structures composites pour l’aéronautique pour les aider à concevoir leur prototype à taille réelle, en intégrant les spécificités des composites structuraux à matrice thermoplastique sur le plan de la conception autant que de leur mise en œuvre. Au-delà de ces objectifs techniques, DISC-AER se veut aussi un espace de formation et de partage des connaissances, souligne Sylvain Drapier,enseignant chercheurs directeur du LabCOm. Mines Saint-Etienne accompagnera Eenuee dans la formation de son équipe de R&D pour les doter des compétences nécessaires en interne. Quant aux étudiants de Mines Saint-Etienne, ils pourront réaliser des thèses proposées par l’entreprise, qui leur offrira également des stages de Master. » En plus de donner aux Mines un terrain de jeu très sérieux aux thésards et post thésards, basé sur un projet économique concret profitant à sa recherche fondamentale, le LabCOm fait « match » avec la mission d’accompagnement de l’innovation entrepreneuriale confiée aux Mines par son ministère de tutelle.

Ainsi que sa stratégie axée sur la RSE. Ce que précise son directeur Jacques Fayolle : « Le lancement du LabCom DISC-AER illustre parfaitement la volonté de Mines Saint-Etienne de répondre aux défis environnementaux et industriels de demain. Avec ce laboratoire commun, nous contribuons activement à la décarbonation du secteur aérien et au développement d’une aviation régionale durable en soutenant les travaux de la start-up Eenuee. Nous démontrons notre capacité à produire une recherche d’excellence à fort impact sociétal, tout en formant des ingénieurs capables de relever les grandes transitions. Le projet s’inscrit ainsi pleinement dans notre stratégie 2023-2027 qui place la transition écologique au cœur de toutes nos missions de formation, de recherche et d’innovation. »