Longtemps, son doux nom demeurait inconnu. L’histoire de François Pompon (1855–1933) est une leçon d’humilité. Pendant 20 ans, ce tailleur de pierre hors pair a mis son talent au service des autres : Alexandre Falguière, Camille Claudel, et surtout Auguste Rodin, dont il dirigea l’atelier de 1893 à 1896. Pompon polissait les marbres, a taillé La Vague en onyx, exécutait les commandes. Un artisan méticuleux, discret, presque invisible. Jusqu’au jour où il décide de se consacrer aux animaux que ce Bourguignon de naissance se plaisait à observer au jardin des Plantes et dans les basses-cours normandes. En 1922, au Salon d’Automne, son Ours blanc monumental de 2,45 mètres suscite l’émerveillement. La presse parle d’un « phénomène polaire ».
Avis de tempête dans l’histoire de l’art ! Ce triomphe, certes tardif, va ériger Pompon sur le piédestal qu’il mérite : chef de file d’un courant novateur, appelé le groupe des Douze, le sculpteur prône pureté, synthèse et abstraction formelle dans la sculpture animalière. En sublimant les volumes essentiels des bêtes vivantes, Pompon ouvre une voie nouvelle dans ce genre, longtemps cantonné au naturalisme : tel est le point de départ de l’accrochage de la galerie Univers du Bronze, laquelle est parvenue à réunir 40 pièces originales, toutes d’époques – plâtres, marbres, bronzes, terres cuites, céramiques.
De la panthère noire à l’ours blanc
« Je fais l’animal avec presque tous les falbalas, et puis, petit à petit, j’élimine de façon à ne plus conserver que ce qui est indispensable. »
On est d’abord captivé par une grande Panthère noire en pierre calcaire de Lens, taillée vers 1931. Cette pièce unique, à la rondeur plus affirmée que les autres félins du sculpteur, s’habille d’une histoire émouvante : c’est cette sculpture qui apparaît sur le portrait de Pompon publié dans Paris-Soir le 8 mai 1933, le jour même de l’annonce de son décès. Autre trésor félin qui aimante immédiatement le regard : une Panthère noire en bronze, à patine vert-de-gris évoquant l’Antiquité. Fondue en 1925 pour Marguerite de Bayser-Gratry – collectionneuse de bronzes antiques et sculptrice elle-même –, ce tirage exceptionnel constitue la seconde épreuve d’un modèle dont on ne recense que cinq ou six exemplaires.

François Pompon, Panthère noire, c. 1925
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Bronze et patine vert antique • 14,2 × 36,8 × 5,1 cm • © Univers du Bronze
Immanquablement, le mythique Ours blanc de Pompon participe à cette ronde fabuleuse. On dévorera ainsi des yeux une version en pierre de Lens particulièrement rare. Taillée dans le même matériau que l’exemplaire monumental conservé au musée d’Orsay, cette sculpture fait partie des dix pierres Ours blanc sculptées de la main de Pompon, reconnaissables à leur signature incisée sous la patte arrière droite.
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« C’est le mouvement qui crée la forme »
Autre belle vision de taille, un Grand Pigeon boulant en marbre de Carrare teinté ocre. Cette pièce inédite, issue de la collection de l’architecte américain Ernest Robert Graham, témoigne de la période où Pompon, encouragé par son ami Antoine Bourdelle, s’est aventuré vers les grands formats après le succès de l’Ours blanc.
L’exposition révèle aussi des œuvres plus intimes et personnelles, tel ce Sanglier en plâtre dédicacé « à mon ami Claudot ». De quoi rappeler que derrière le maître reconnu se cachait un homme fidèle en amitié, généreux de son art.

François Pompon, « Sanglier » dédicacé « à mon ami Claudot », c. 1927
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Plâtre • 24,5 × 34,5 × 13 cm • © Univers du Bronze
« Je fais l’animal avec presque tous les falbalas, et puis, petit à petit, j’élimine de façon à ne plus conserver que ce qui est indispensable », confiait le sculpteur à propos de son art. Une foi dans le mouvement que Pompon a continué de creuser, selon un processus de création immuable : observer l’animal de près, noter chaque détail, puis s’en éloigner d’une dizaine de mètres pour saisir son essence et sa ligne. Pompon marche sur une ligne de crête où la sculpture devient suggestion pure.
Une monographie pour tout comprendre du sculpteur
Le résultat se contemple tout autant en parcourant les 416 pages (et 800 illustrations !) d’une nouvelle monographie de François Pompon tout juste parue aux éditions Norma : des surfaces polies, des volumes ronds, une beauté sereine qui frappe au premier coup d’œil. Fruit de plusieurs années de recherches menées par Liliane Colas (experte de Pompon sur le marché de l’art) et Côme Remy, cet ouvrage bilingue vient ciseler la connaissance que l’on a du sculpteur, notamment grâce au répertoire des œuvres éditées et fondues de son vivant, agrémenté d’extraits jusqu’alors non publiés de ses livres de comptes. Une preuve que pour un artiste, éclore tardivement n’est pas toujours un handicap : cela permet aussi de largement dépasser son époque.
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François Pompon. Le mouvement et la forme
Du 20 octobre 2025 au 21 novembre 2025
Univers Du Bronze • 27 Rue de Penthièvre • 75008 Paris
www.universdubronze.com
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Pompon, l’œuvre complète
Par Liliane Colas et Côme Remy
Éditions Norma • 416 p. • 65 €