Par
Amandine Vachez
Publié le
24 avr. 2025 à 10h50
Mardi 22 avril 2025, à 14 h, une des salles d’audience du tribunal de Lille (Nord) est pleine. L’ambiance est très tendue. La présidente l’annonce dès les premiers instants : « C’est une affaire délicate. » Face aux juges, un homme de 28 ans, écroué depuis janvier 2024. Il est jugé pour homicide involontaire, avec au moins deux circonstances aggravantes. Dans la nuit du 30 décembre 2023, il a, au volant d’une voiture, percuté un homme à Tourcoing. Le père de famille, qui venait passer les fêtes de fin d’année dans le Nord avec sa femme et leurs fils, est mort sur le coup. Le véhicule, lui, a été laissé sur la chaussée. Son conducteur, qui a pris la fuite, a nié son implication dans l’accident pendant des mois.
Sorti pour retrouver un ami
Le 30 décembre 2023, à 4 h 44, la vie d’une famille a basculé. Un homme d’une quarantaine d’années est venu pour les fêtes dans le Nord, avec sa compagne et leurs deux fils. C’est l’occasion de célébrer les 50 ans de son frère. Ce matin-là, il se lève aux aurores pour retrouver son ami boulanger. Il embrasse sa femme et lui indique qu’il n’en a pas pour longtemps. Il envoie un texto à son ami, il sera là dans 5 minutes. Dans la rue des Piats, il est renversé par un automobiliste. Il est mort sur le coup, d’un traumatisme crânien. La voiture qui l’a percuté, une Peugeot 407 grise, est abandonnée par son conducteur.
Une habitante du quartier est alertée par un bruit d’impact. De sa fenêtre, elle voit un véhicule à l’arrêt d’un côté de la chaussée. Sur le trottoir d’en face, une personne au sol. Elle perçoit dans la nuit un homme qui sort de la voiture et regarde autour, avant de partir à pied vers la rue du Caire. Elle sort de chez elle, alerte la police et recouvre le corps avec un drap blanc. Plus tard, elle reconnaît le conducteur, revenu sur place, et le confronte. Mais il nie toute implication et repart.
Excès et violence
Le soir du drame, Monsieur Z. est alcoolisé. Il a passé la soirée dans un club à Mouscron, avec sa compagne. Ils repartent de l’établissement vers 4 h 10 du matin. Elle est au volant de la 407, prêtée par un ami. Sur le chemin, elle percute un rétroviseur. Elle s’arrête et une violente dispute éclate.
L’homme repart avec la voiture, alors qu’il n’a pas le permis, qu’il n’a même jamais conduit. « Je pensais pouvoir la ramener, c’était à 5 minutes », dira-t-il plus tard. Mais au premier virage, il fait une « manœuvre extrêmement ratée », selon les termes de l’expert mandaté pour l’enquête. Le véhicule monte sur le trottoir sur lequel le piéton circule. Ce dernier tente de l’éviter mais n’y parvient pas et disparaît sous ses phares.
Il fuit, accuse sa compagne et avoue 8 mois après les faits
À la barre, Monsieur Z. ne sait toujours pas expliquer son geste. « Qu’est-ce qui vous a pris de prendre le volant ? », demande la présidente. « Pas de raison valable », répond-il. Concernant sa fuite, il évoque « la peur ». Il se justifie en déclarant lors d’une audition : « Dans ma tête c’est clair, j’entends le bruit. Je sais que c’est déjà fini. »
Avec sa compagne, ils décident qu’elle s’accusera à sa place. Pendant des mois, le couple ment. Ce sont les incohérences de leurs versions, les récits des témoins, les images de vidéosurveillance, ainsi que des éléments retrouvés sur son téléphone à elle qui vont les mettre au pied du mur. L’homme reconnaît les faits en août.
Pourquoi ont-ils monté ce scénario ? Parce que le casier judiciaire de Monsieur Z. compte 8 mentions. Depuis 2014, il a été condamné pour divers faits, dont plusieurs de violences. Sursis révoqué, récidive… Il ne respecte pas le cadre judiciaire. Il est aussi consommateur d’alcool et de drogue. Il a d’ailleurs, à son arrestation, été contrôlé positif au THC.
Son analyse psychologique révèle de nombreuses carences, des traits d’impulsivité et d’immaturité. Mais sa responsabilité pénale reste complète.
« C’est incompréhensible et inacceptable »
Plus que la décision de prendre le volant, c’est la réaction après l’accident qui a été pointée du doigt pendant l’audience. « Monsieur, ce qui est gênant, outre les mensonges, est que votre premier réflexe après avoir écrasé quelqu’un est de fuir, sans un seul regard pour la victime », a souligné la présidente.
« Comment on peut faire ça ? », a questionné la compagne de l’homme décédé, très émue à la barre. « Quand j’écrase un pigeon, je m’arrête. Il n’est même pas allé le voir, et il ne reconnaît pas les faits après. C’est incompréhensible et inacceptable ».
Quand on a un accident, qu’est-ce qu’on doit faire ? Se soucier des autres ! Et ça, vous ne l’avez fait à aucun moment.
La présidente de l’audience au tribunal de Lille.
« J’ai peur de la décision de justice »
Dans la salle, les bancs sont pleins ; les proches du défunt se sont déplacés. Ils sont venus soutenir la famille, assise à quelques mètres du prévenu. « C’est très pénible, une situation comme ça », a partagé sa conjointe. « Ce n’est pas qu’une personne qui est atteinte, c’est sa famille, ses proches. Le terme ‘homicide involontaire’, je ne le comprends pas. Aujourd’hui, j’ai surtout peur de la décision de justice. Ce n’est pas un cas isolé, ce n’est pas un enfant de chœur. Il faut éviter à une autre famille de vivre cette situation. »
« Ce n’est pas ce qu’il a voulu, mais c’est ce qu’il a fait »
L’avocate représentant la famille a insisté sur le fait que ce drame n’était pas un « accident, par définition. Ce n’est pas imprévisible, ce n’est pas la fatalité. Ce n’est pas ce qu’il a voulu, mais c’est ce qu’il a fait ».
Fuir, c’est oublier totalement l’humanité de cet être, si cher à cette famille unie, soudée. C’est oublier l’homme derrière la victime, ce papa travailleur, accompli, soucieux du bien-être de ses enfants, toujours prêt à rendre service.
L’avocate des parties civiles.
L’avocate de la défense a mis en exergue le parcours chaotique du prévenu, placé en foyer très jeune et qui a commencé à consommer dès ses 8 ans alcool et drogues. « Il n’a plus le soutien de sa famille, qui lui a tourné le dos. Il faut penser aux conséquences de la décision de justice. Aujourd’hui, on peut se tourner plus vers la réinsertion que vers la sanction. » Et d’ajouter que « la plus grande peine pour lui est qu’il va devoir vivre avec ça toute sa vie. » Elle évoque la peine prononcée à l’encontre de Pierre Palmade pour l’accident qu’il a causé, « cinq ans dont deux ferme. Je ne voudrais pas qu’on puisse penser qu’il y a deux justices. »
6 ans de prison requis par le procureur
« Dans cette affaire, il y a eu une succession de volontés délétères, même après l’accident, a souligné le procureur. Il va même laisser sa compagne s’accuser et tenir cette position jusqu’à ce qu’il soit coincé. » Le représentant de l’État a requis une peine de 6 ans d’emprisonnement, avec maintien en détention, une interdiction de passer l’examen du permis de conduire pendant 10 ans (le maximum) et un suivi sociojudiciaire de 3 ans.
Le tribunal a délibéré : l’homme, jugé coupable des faits qui lui sont reprochés, est condamné à 5 ans de prison, dont un an assorti d’un sursis probatoire pendant trois ans, avec obligations de suivi addictologique, de fixer résidence, de travail ou de formation, et de régler des indemnités à la famille. Il a pour interdiction de passer le permis de conduire pendant 5 ans, et doit rembourser 3 450 euros à la famille (frais d’avocats). Cette peine vise, selon les mots de la présidente, à « garantir la non-réitération de ce type de faits. »
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