Par

Julien Bouteiller

Publié le

26 oct. 2025 à 7h32

En inaugurant la piétonnisation de la rue Beauvoisine, durant le mois d’octobre 2025, Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen, n’a pas manqué de rappeler les débats suscités à l’époque par celle de la rue du Gros Horloge. Mais qui oserait aujourd’hui remettre en question l’aménagement de la première voie piétonne de France ? Plus grand monde… Et pourtant, dans les années 1970, ce n’était pas si évident. On replonge dans les archives.

Piétonniser la rue du Gros Horloge : l’hostilité des élus

Avant la piétonnisation, ce sont près de 15 000 véhicules qui empruntaient chaque jour la rue du Gros Horloge, alors aménagée de trottoirs et d’une chaussée. 

Mais en 1969, un homme, l’adjoint à l’urbanisme Bernard Canu, a une idée pour revitaliser le centre-ville. « À l’époque, on pensait que l’avenir était dans les périphéries. Rouen allait-elle devenir une ville morte ? Pour moi, l’héritage que constituait le centre historique valait tous les efforts. Il fallait aménager un plan de circulation, lutter sur tous les fronts », relate-t-il dans une interview au Monde en 1994.

Tous les ans nous faisions des voyages à l’étranger. En Allemagne, à Munich, nous sommes tombés un jour sur une voie piétonne. Au Gros Horloge, c’était cela qu’il fallait faire, c’était évident !

Bernard Canu
adjoint à l’urbanisme du maire de Rouen dans les années 1970

Ce qui était l’évidence pour lui l’était beaucoup moins pour d’autres. « Au retour, j’en parle à mes collègues. Mines grises des élus, Lecanuet en tête. » Mais aussi les commerçants, qui craignaient pour beaucoup une perte de clientèle. « Il y a eu des séances orageuses » avec eux, se remémorait l’élu à l’urbanisme.

« La première rue piétonne de France est née d’une erreur de chiffrage ! »

Alors il a fallu convaincre, petit à petit, en commençant par une piétonnisation ponctuelle, trois après-midis par semaine. 

Bernard Canu met deux ans à faire adhérer Jean Lecanuet à son idée. « Lecanuet prenait ses décisions en fonction de leur incidence électorale. L’homme était charmant, mais très influençable. Et les élections étaient proches. »

Votre région, votre actu !

Recevez chaque jour les infos qui comptent pour vous.

S’incrire

Un argument, le coût annoncé de 200 000 francs par le directeur de la voirie, finit par convaincre le conseil municipal. « Le surlendemain [du vote], le directeur de la voirie entre dans mon bureau, le visage défait : ‘M. Canu, je me suis trompé dans mes calculs, ce n’est pas 200 mais 400 000 mille francs’. La première rue piétonne de France est née d’une erreur de chiffrage ! »

L’aménagement a tout de même lieu. On supprime les trottoirs, on repave la rue, on ajoute des bacs à fleurs. « Les Rouennais ont accepté d’eux-mêmes », estime Bernard Canu, dans un reportage tourné quatre ans après la mise en place. Au point que les automobilistes se hasardant dans la rue se faisaient parfois injurier.

Toutefois, cette piétonnisation ne ravit pas tout le monde. Comme ce livreur qui témoigne : « À chaque fois, on a droit à un PV ». Et une commerçante de déplorer ne pas avoir reçu sa livraison. Un passant peste : « C’est moche. Quand on a des paquets à porter il faut faire 50 mètres ça vaut pas le coup ! ».

Mais il y a aussi de vrais soutiens. Comme cette jeune femme, heureuse de ne plus voir de voitures. « C’est vachement emmerdant la voiture, avec la pollution… » Et les commerçants ont fini par y trouver leur compte. D’après le président de l’association de commerçants, « c’est 100% bénéfique ». La mairie avance le chiffre d’une fréquentation piétonne « au minimum 40% supérieure à avant ».

Plus de 50 ans après, la piétonnisation de la rue du Gros Horloge est pleinement adoptée. Mais malgré cela, interdire la circulation aux voitures en centre-ville reste chaque fois l’objet de débats, avec des arguments  similaires à ceux avancés dans les années 1970.

Suivez l’actualité de Rouen sur notre chaîne WhatsApp et sur notre compte TikTok

Personnalisez votre actualité en ajoutant vos villes et médias en favori avec Mon Actu.