« Jeff ! Jeff ! » ! La tempe en sang, un homme hagard hurle dans la nuit ce prénom en déambulant parmi les brancards chargés de blessés, les camions de pompiers et ambulances du Samu. Extrait de l’enfer, Seb cherche son copain au milieu du chaos, devant le Bataclan à Paris (XIe), ce 13 novembre 2015. Dans une cour transformée en poste médical avancé, Marie, elle, répète inlassablement : « Quelqu’un a un téléphone ? C’est pour appeler mon mari, parce qu’il est encore là-bas ».

Là-bas, c’est la salle de spectacles où la tuerie vient d’avoir lieu. Et, au premier étage, ce couloir étroit où 11 spectateurs du concert des Eagles of Death Metal ont été retenus deux heures vingt en otages par deux des terroristes, avant d’être sauvés lors de l’assaut de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention).

Se sauver les uns les autres

Sept de ces rescapés ― Marie, son époux Arnaud, Sébastien, Caroline, Gregory, David et Stéphane ― ont souhaité se retrouver, se surnommant « Les potages » (contraction de potes et otages). D’horizons différents, ces fans de rock ont continué à se voir dans un café pour exprimer leur ressenti, leurs failles, chanter, rire, se sauver les uns les autres.

C’est leur histoire que relate la nouvelle série « Des vivants », signée Jean-Xavier de Lestrade, dont les huit épisodes sont mis en ligne sur la plate-forme gratuite France.tv ce lundi 27 octobre avant leur diffusion à partir du 3 novembre en trois soirées sur France 2.

Avec délicatesse, le réalisateur rompu à l’adaptation de faits divers (« Sambre », « Laetitia ») place l’humain au-dessus de tout pour retracer le parcours de chacun des « potages » jusqu’au procès en septembre 2021.

PODCAST. 13 Novembre (Partie 9) : David, otage du Bataclan, raconte un procès « réparateur »

Comment se réparer après un tel traumatisme ? Se renfermer dans sa douleur et sa culpabilité d’être en vie là où 90 personnes sont mortes ou l’extérioriser ? Avancer ou sombrer puis rebondir ? S’isoler ou fraterniser, par exemple avec leurs sauveurs de la BRI ? Autant de questions posées par cette fiction sur un fil, entre noirceur et lumière, où la force du groupe est mise en exergue.

Chronique d’une survie tout en sensibilité

Outre les flash-back au Bataclan, qui plongent d’entrée dans l’indicible, les différents volets vous cueillent souvent là où vous vous y attendez le moins. C’est l’image de Stéphane marchant seul, avec sa couverture de survie, pour rentrer chez lui au petit matin du lendemain des attaques, ce sont ces paroles glaçantes d’un père reprochant à son fils de ressasser ( « Reprends toi mon vieux, tout ce déballage, c’est gênant »), les mots d’une fillette (« Vous parlez encore du Bataclan ? »), ceux plus crus balancés à des amis qui partent (« Ça s’arrête vite la compassion. C’est de la merde »), le déni de cette maman qui finit par s’écrouler dans la rue…

Les bas, avec les répercussions sur les proches et la vie amoureuse, les cicatrices d’éclats de fer gravées dans le dos (après l’explosion d’un terroriste). Les hauts aussi, au fil des retrouvailles avec les policiers, des séances chez la psy où tout se dit vraiment, des rapprochements heureux, des regards, des sourires et des chansons qui réchauffent…

Écrite à partir du récit des vrais « potages » et portée par des comédiens remarquables (Alix Poisson, Benjamin Lavernhe, Anne Steffens, Félix Moati, Antoine Reinartz, Cédric Eeckhout et Thomas Goldberg), cette chronique d’une survie tout en sensibilité passe sans cesse de l’intime au collectif. Sans verser dans le trash, elle bouscule, révèle, convoque les souvenirs pour ne pas oublier et partager. Parce qu’ensemble, il y a toujours de l’espoir.

La note de la rédaction :

« Des vivants », série française de Jean-Xavier de Lestrade (2025) avec Alix Poisson, Benjamin Lavernhe, Anne Steffens, Félix Moati, Antoine Reinartz, Cédric Eeckhout, Thomas Goldberg. Huit épisodes de 48 minutes à 1h10.