Par

Guillaume Laurens

Publié le

27 oct. 2025 à 7h12

Ce sont un peu les couturiers du XXIᵉ siècle. Installés sur une table de jardin en pleine rue, et abrités sous un barnum en cette journée pluvieuse d’automne, quatre agents d’une filiale de SFR remettent de l’ordre dans une armoire de fibre optique, vendredi 24 octobre 2025, dans le secteur de Balma-Gramont, aux portes de Toulouse.
Avec la minutie d’un cartel d’horlogers, ils remettent les pendules à l’heure et démêlent patiemment une énorme pelote de fils… Un sacré travail d’orfèvre ! Mais qui peut bien mettre les armoires à fibre optique dans un tel état, partout, dans l’agglo de Toulouse ? Comment en est-on arrivé là, et comment y remédier ?

« C’était le bazar dans l’armoire », dit un technicien

« Ici, ce n’était pas du vandalisme », répond l’un des membres du quatuor, « mais avec les interventions régulières des uns et des autres, c’était le bazar dans l’armoire et cela entraîne des dysfonctionnements ».

Et de souffler : « L’armoire n’était pas fermée, tout le monde a les clés ». Tout comme d’autres entreprises de cette zone économique, le garage Peugeot, pourtant situé juste en face de l’armoire, était exposé à des coupures régulières d’Internet. Il faut dire que cela faisait plusieurs semaines que cette armoire est ouverte à tous les vents…

Début octobre, l'armoire à fibre optique réparée ce vendredi était déjà ouverte à tous les vents début octobre à Balma-Gramont...
Début octobre, l’armoire à fibre optique réparée ce vendredi était déjà ouverte à tous les vents à Balma-Gramont… (©G.L. / Actu Toulouse)2 500 armoires à fibre optique dans les rues de la Métropole

L’affaire n’est pas nouvelle, et pas propre à la Ville rose : l’enjeu de la « sécurisation des armoires de fibre optique » a même fait l’objet d’une question d’un député (RN) à l’Assemblée nationale au printemps dernier. À l’heure où une immense majorité de la population vit et travaille avec le numérique, est-ce là un nouveau mal du siècle ? S’il est constamment en maintenance, le dispositif déployé dans l’espace public est aussi immense…

Dans la métropole de Toulouse, il y a plus de 2 500 armoires à fibre optique rien que sur le domaine public. Orange en gère plus de 2 000, dont 1 500 sur la seule commune de Toulouse, où l’opérateur historique a le monopole. Sur les 36 autres communes, une zone AMII (Appel à manifestation d’intention d’investissement) avait été instaurée et deux opérateurs s’y partagent le gâteau, avec environ 500 armoires à charge chacun : Orange gère 14 communes de la partie ouest, et XP Fibre, filiale de SFR, opère sur toute la partie est.

À ces chiffres mirobolants s’ajoutent ceux des armoires installées directement dans les immeubles (dès qu’il y a plus de quatre logements) : on en compte un peu moins de 5 000.

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Enfin, en dehors de la Métropole, ce ne sont pas les opérateurs, mais Haute-Garonne Numérique, satellite du Conseil départemental et des intercommunalités, qui a été chargé de déployer la fibre optique et a mandaté à cet effet une autre société privée, Fibre 31, en délégation de service public.

« On branche mal, ou bien, on débranche l’un pour brancher l’autre… »

Alors, à qui la faute, quand la fibre est en panne ? « On distingue trois types de dégradations possibles », glisse Victor Denouvion, président de Haute-Garonne Numérique. « Les actes de vandalisme », par des petits malins qui ouvrent les armoires pour couper les câbles par exemple. C’est parfois aussi le fait de « dégradations climatiques, avec notamment des câbles aériens endommagés », mais c’est bien souvent l’œuvre des opérateurs et surtout de leurs sous-traitants : « On branche mal, ou bien, on débranche l’un pour brancher l’autre, ou bien encore, on laisse les armoires ouvertes… Des dégradations qui sont souvent à notre charge », déplore Victor Denouvion, qui s’efforce de positiver : « À l’échelle du réseau (hors Métropole donc, NDLR), on a moins de 200 dommages par mois. Mais dès qu’il y a un problème, cela fait forcément du bruit et on demande d’y répondre de manière réactive ».

« Tous les opérateurs ont les clés, et leurs sous-traitants aussi »

Quand le réseau saute, ce n’est donc pas forcément (et même rarement) la faute aux équipes d’Orange, XP Fibre, ou Fibre 31. Car si ces entités sont responsables de l’exploitation des armoires, « tous les opérateurs ont les clés », confirme Laurence Lang, directrice des relations avec les collectivités locales de Haute-Garonne chez Orange. Et sachant que « chacun des quatre opérateurs a un certain nombre de sous-traitants », les jeux de clés se sont vite démultipliés…

L’armoire ouverte à chaque changement d’opérateur

Là où ça se complique, c’est que l’armoire est forcément ouverte à chaque changement d’opérateur… « Et nous sommes à une ère consumériste, où les gens peuvent changer d’opérateur facilement », observe Laurence Lang. « Ce sont donc les diverses sociétés mandatées par chacun des opérateurs commerciaux qui raccordent les réseaux jusqu’au domicile des clients ».

Chacun des quatre opérateurs a un ou plusieurs tiroirs par armoire pour ses raccordements. À chaque fois qu’un usager change d’opérateur, ce dernier n’intervient pas forcément au domicile, mais il y a obligatoirement une opération à faire dans l’armoire à fibre optique, à la charge des opérateurs commerciaux.

Laurence Lang
Directrice des relations avec les collectivités locales de Haute-Garonne chez Orange

« On a 2000 armoires sur la métropole », rappelle Laurence Lang, « elles sont ouvertes plusieurs fois par jour au gré des raccordements de nouveaux clients et des changements d’opérateurs ».

« Des sous-traitants de sous-traitants qui font vite et mal »

Victor Denouvion va droit au but : « On est souvent confrontés aux sous-traitants de sous-traitants qui font vite et mal, parce qu’ils sont payés à la prise ».

Une chose est sûre : « Ces travaux non conformes de certaines entreprises qui interviennent sur les armoires viennent amoindrir la qualité de service », corrobore Laurence Lang, qui insiste sur l’ampleur du SAV réalisé par les différentes sociétés en charge de l’exploitation des armoires.

Quand les branchements ne sont pas bien faits, pour remettre l’armoire au propre, c’est deux jours de travail à temps plein pour deux techniciens…

Laurence Lang

Une armoire à fibre optique
Une armoire à fibre optique en partie « rangée » après une journée d’intervention de techniciens (©G.L. / Actu Toulouse) »Une armoire se trouvait sur le chemin d’une soirée arrosée… »

Les actes de sabotage ou vandalisme ne seraient que la portion congrue de ces interventions à répétition dans les armoires de fibre optique : « On a parfois des actes de vandalisme gratuits, notamment en centre-ville de Toulouse, parce qu’une armoire se trouvait sur le chemin d’une soirée arrosée par exemple », sourit Laurence Lang, mais selon elle, c’est loin d’être la majorité des interventions, pour beaucoup dues à la négligence de la sous-traitance.

Orange tente d’assurer la traçabilité des interventions

Comment remédier à ce casse-tête sans fin ? Les armoires à fibre optique sont-elles trop vulnérables ? Valait-il mieux les installer dans des endroits plus sécurisés plutôt qu’en pleine rue ? « Il fallait les laisser sur le domaine public, pour ne pas bunkériser le réseau et laisser l’accès à tous les opérateurs commerciaux », estime Laurence Lang.

Pour enrayer le problème, et diminuer les coûts, chaque opérateur tente de trouver des solutions. « Chez Orange », confie Laurence Lang, « on demande à nos sous-traitants de prendre des photos de l’armoire avant et après l’intervention. Ces images sont ensuite exploitées grâce à l’IA et un regard humain, pour vérifier le bon fonctionnement… C’est une manière de réguler les choses ».

Le problème existe et si tous les opérateurs commerciaux faisaient comme Orange, cela permettrait de sécuriser le système.

Laurence Lang

« Des capteurs » pour repérer les armoires laissées ouvertes ?

« De notre côté, on s’est posé la question de mettre des capteurs pour repérer des armoires laissées ouvertes », avance Victor Denouvion. Mais à part ça, « nos marges de manœuvre sont faibles », admet le président de Haute-Garonne Numérique, qui déplore que l’État n’ait pas pris « davantage de mesures de régulation. C’est un combat que l’on porte à l’échelle nationale », ajoute l’élu, par ailleurs maire (PS) de Saint-Jory.

Il n’y a malheureusement plus de service universel du très haut débit, comme à l’époque des télécoms, ce qui résoudrait des choses.

Victor Denouvion
Président de Haute-Garonne Numérique

« Sur la partie située en dehors de la Métropole, il aurait peut-être été plus opportun que Haute-Garonne Numérique fasse le déploiement du début à la fin », souligne aujourd’hui Victor Denouvion, alors que 99,5 % des foyers peuvent ici migrer sur la fibre optique. « Là, c’est l’opérateur final qui fait le raccordement de l’armoire au domicile du particulier, mais dès que c’est le sous-traitant du sous-traitant, la qualité n’est plus au rendez-vous… ».

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