Les présidents chinois Xi Jinping et américain Donald Trump se retrouvent jeudi en Corée du Sud pour discuter de commerce, de terres rares ou encore de TikTok. Derrière ces dossiers, la rencontre illustre surtout combien Pékin et Washington restent étroitement liés, malgré leur rivalité économique, technologique et géopolitique.

Selon les annonces préliminaires de Washington, la Chine pourrait acheter davantage de soja américain, suspendre pour un an le contrôle accru de ses exportations de terres rares et vendre à un propriétaire américain les activités américaines de TikTok. En échange, les États-Unis renonceraient, pour l’instant, à de nouvelles taxes douanières.

François Godement, historien, conseiller pour l’Asie et les États-Unis à l’Institut Montaigne à Paris, y voit un compromis prudent. « Auparavant, la Chine ne lâchait rien ».

Les concessions de Pékin restent toutefois modestes. « Les demandes américaines sont relativement réduites par rapport à l’exigence initiale de rééquilibrage de la balance commerciale, surtout face aux menaces d’interdiction sur les semi-conducteurs », a-t-il expliqué mardi dans Tout un monde.

La menace des terres rares

Donald Trump pourrait, une fois encore, « appuyer sur le bouton pause » pour laisser du temps aux négociations, estime-t-il. Mais la Chine, de son côté, ne peut pas se permettre une confrontation prolongée. « Elle a besoin de continuer à exporter, non pas parce qu’elle adore avoir un excédent commercial, mais tout simplement parce qu’elle produit trop et que sa population ne consomme pas assez. »

La Chine raffine 90% des terres rares. La remplacer dans ce processus prendrait des années

François Godement, historien, conseiller pour l’Asie et les États-Unis à l’Institut Montaigne à Paris

Pour l’historien, la Chine reste dépendante de ses marchés occidentaux, mais possède également des armes économiques redoutables, notamment dans le domaine des terres rares, indispensables à l’industrie numérique et à la défense. « Elle en raffine 90% de toute la production mondiale. La remplacer, pas seulement sur l’extraction, mais surtout sur les processus de raffinage, prendrait des années. » Or, les terres rares sont indispensables pour les industries d’armement. « Par conséquent, c’est une arme de dissuasion massive pour les États-Unis et l’Europe. »

Le sujet sensible de Taïwan

Concernant Taïwan, la Chine souhaite que Washington clarifie sa position. « Ce que la Chine demande aux États-Unis, c’est de critiquer plus nettement et plus publiquement les positions du gouvernement de Taïwan, quand celui-ci semble avoir une prédilection pour l’indépendance », explique François Godement.

Mais il rappelle aussi que le président taïwanais actuel « ne parle pas d’indépendance » et que Pékin cherche avant tout à amener Taïwan à négocier sous pression. Quant à l’idée que Washington pourrait renoncer à intervenir en cas d’invasion, elle lui paraît encore prématurée: « On n’en est pas encore là. »

L’Amérique latine, un champ de bataille discret

La rivalité sino-américaine s’étend aussi à l’Amérique latine, où la Chine a dépassé les États-Unis comme principal partenaire commercial et source de financement. « Sur le plan commercial, je crois que les Chinois ont acquis une avance », observe François Godement.

A Pékin, on voit en Donald Trump un panorama général du déclin de la démocratie

François Godement, historien, conseiller pour l’Asie et les États-Unis à l’Institut Montaigne à Paris

Mais Pékin y a également pris « un pied politique et stratégique », notamment par la coopération militaire et les ventes d’armes. « C’est un aspect longtemps négligé, y compris par nous autres sinologues », relève-t-il. Selon lui, la réaction de Donald Trump à cette progression chinoise est « isolationniste » et liée à son discours sur l’immigration, mais elle vise aussi à contrer l’influence de Pékin dans la région.

Enfin, comment Donald Trump est-il perçu à Pékin? « Je crois qu’on le ridiculise », répond François Godement. « Mais en même temps, il ne faut pas s’y tromper: une bonne partie de ceux qui ont le pouvoir ou des réseaux d’influence en Chine voient en lui un panorama général du déclin de la démocratie. »

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/hkr