Vladimir Poutine a repoussé in extremis la tenue du premier sommet russo-arabe, prévu le 15 octobre et auxquels étaient conviés tous les dirigeants des pays arabes ainsi que le secrétaire général de la Ligue des États arabes. « Il s’agit de mon initiative, étant donné que je ne veux pas interférer avec le processus [de cessez-le-feu à Gaza] » chaperonné par Donald Trump, a indiqué le président russe le 10 octobre en guise de justification au report d’un sommet préparé depuis plusieurs mois.

Problème de calendrier

La mise en place du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, ainsi que les déplacements du président américain au Proche-Orient, coïncidaient en effet avec la rencontre russo-arabe. Le sommet sur la paix à Gaza de 2025 de Charm el-Cheikh, auquel ont participé plusieurs pays arabes, s’est ainsi tenu le 13 octobre 2025, le jour où les délégations arabes devaient se rendre à Moscou.

Comme le souligne The Insider, le pouvoir russe a donc dû rétropédaler en urgence : la veille du report du sommet, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov affirmait que malgré la focalisation des pays du Proche-Orient sur la résolution du conflit à Gaza, « la vaste majorité des membres de la Ligue des États arabes participeraient [au sommet] ».

En réalité, selon Bloomberg, seule une minorité des vingt-deux dirigeants invités, dont le nouveau président syrien Ahmed al-Charaa, avait confirmé sa présence au sommet. Des poids lourds régionaux comme le prince héritier et Premier ministre saoudien Mohammed ben Salmane et le président des Émirats arabes unis Mohammed ben Zayed Al Nahyane, ne comptaient pas se rendre à Moscou, diminuant l’intérêt d’une telle rencontre diplomatique.

Tensions russo-américaines

Ces deux dirigeants étaient pourtant disponibles ; à l’inverse du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, ni Mohammed ben Salmane ni Mohammed ben Zayed Al Nahyane ne se sont rendus à Charm el-Cheikh. En cause, l’insatisfaction de Riyadh et Abou Dabi quant aux conditions du cessez-le-feu à Gaza, qui permettaient dans les faits au Hamas de se maintenir au pouvoir, même temporairement, selon des sources proches des pouvoirs saoudien et émirati interrogées par le Middle East Eye.

Mais la présence du prince héritier ainsi que du président à Moscou le jour de la tenue de la conférence à Charm el-Cheikh aurait été un faux pas diplomatique d’ampleur, alors que les tensions russo-américaines n’ont jamais été aussi élevées depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche.

Le président américain, qui a imposé des sanctions contre Moscou pour la première fois depuis le début de son second mandat, est actuellement satisfait de ses alliés arabes, souligne Bloomberg, ces derniers ayant joué un rôle décisif dans le fragile processus de paix entre Israël et le Hamas et ne souhaitant pas froisser le locataire de la Maison Blanche, notoirement imprévisible.

Pas question, donc, de se rendre en Russie pour discuter de la formation d’une alliance alternative à l’OTAN, qui faisait partie des objectifs du sommet russo-arabe selon The Insider ; de même, la question du règlement du conflit à Gaza, un autre but de la conférence, est désormais caduque, le Kremlin n’ayant pas pesé sur l’accord de paix actuel.

Damas et Moscou

En dépit de l’annulation du sommet, Vladimir Poutine peut revendiquer une victoire notable : le président syrien Ahmed al-Charaa a maintenu sa visite en Russie, marquant un tournant historique dans les relations entre Damas et le Kremlin.

La prise de pouvoir de l’actuel chef d’État syrien en décembre 2024 à Damas avait en effet été décrite à l’époque comme une catastrophe pour le pouvoir russe, qui perdait alors l’un de ses plus proches alliés, Bachar el-Assad, soutenu à bout de bras par la Russie pendant des années.

Les relations entre Damas et le Kremlin se sont pourtant maintenues, Ahmed al-Charaa affirmant son intention de maintenir des liens avec la Russie – une aubaine pour Moscou, qui désire conserver l’accès à la base navale de Tartous et la base aérienne Hmeimim, vitales pour la capacité de projection des forces russes en Méditerranée. Si aucun accord concernant l’avenir de ces infrastructures militaires n’a été dévoilé, la question du maintien de la présence militaire russe en Syrie pourrait permettre au nouveau pouvoir en place à Damas d’obtenir d’importantes concessions.

Le vice-président du gouvernement russe Alexandre Novak a ainsi indiqué en marge de la rencontre entre Vladimir Poutine et Ahmed al-Charaa que les entreprises russes étaient prêtes à aider à la reconstruction et au développement de la Syrie, soulignant notamment l’aide qui pourrait être fournie au secteur du pétrole syrien, rapporte l’Agence de presse arabe syrienne. De quoi ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre Damas et Moscou, qui doivent désormais traiter sur un pied d’égalité.