Par
Fabien Binacchi
Publié le
30 oct. 2025 à 9h08
Chez elle, de jour comme de nuit, Anne* n’arrive plus à penser à autre chose : « Je suis en train de péter les plombs ». Le bruit des réacteurs lui tape sur le système. Cette habitante de Gignac-la-Nerthe (Bouches-du-Rhône), qui vit à 3,5 km à vol d’oiseau des pistes de l’aéroport Marseille Provence, compte les avions qui minent son quotidien et son sommeil. Alors que neuf maires, dont celui de la cité phocéenne, s’unissent pour réclamer « un couvre-feu total » afin de stopper le trafic aérien de 23h à 6h, la riveraine témoigne auprès d’actu Marseille des lourds impacts sur santé physique et mentale.
« J’ai perdu ma joie de vivre »
Avant, elle ne les entendait pas. Elle ne les remarquait même pas. Puis, un jour, tout a changé. « Les trajectoires des avions ont été modifiées. Ça fait sans doute moins de bruit pour d’autres riverains et tant mieux pour eux. Mais, moi, je n’en peux plus. »
Anne, 56 ans, est à bout. « Quand je me regarde dans un miroir, en moins de deux ans, j’ai l’impression d’en avoir pris dix ans dans la vue, explique cette comptable. J’ai aussi pris 13 kg et j’ai surtout perdu ma joie de vivre. » L’habitante de Gignac-La-Nerthe, au Sud de l’aéroport Marseille Provence, voit et entend les avions passer à 2km de sa maison.
Ça m’obsède. Quand je suis chez moi, je vais constamment voir le programme des vols sur Internet pour savoir quand j’aurais un peu de répit. Je ne vis plus. Ça me tape sur le système. De jour, comme de nuit.
Anne
Elle évoque le manque de sommeil qui « l’épuise ». « Mon mari a grandi près de l’aéroport alors il a peut-être plus l’habitude et il en souffre moins. Mais, moi, le bruit d’un seul avion et je peux me réveiller. J’en arrive parfois à dormir moins de 3h par nuit, explique la quinquagénaire. Au lit, je suis obligée de mettre un casque qui passe des bruits blancs ou des conversations qui me permettent de focaliser mon attention sur autre chose. »
« Un problème majeur de santé publique »
Cette habitante n’est pas seule. Les maires de neuf communes (Marseille, Les Pennes-Mirabeau, Septèmes-les-Vallons, Le Rove, Berre-l’Étang, Saint-Victoret, Vitrolles, Cabriès et Marignane) viennent de monter au créneau pour leurs administrés.
Ils dénoncent, dans un courrier adressé au préfet des Bouches-du-Rhône, « les nuisances sonores générées par le trafic aérien nocturne » qui « constituent aujourd’hui un problème majeur de santé publique ». « Le sommeil interrompu, les troubles physiologiques et psychologiques liés au bruit, ainsi que la dégradation durable de la qualité de vie [des habitants], ne peuvent plus être tolérés », écrivent-ils.
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Ils réclament au représentant des services de l’État une mesure radicale : « un couvre-feu total entre 23 h et 6 h du matin, seule garantie d’une véritable protection des populations riveraines contre des atteintes à la santé désormais inacceptables ».
« Nous sommes très impactés par le bruit »
Une solution que défend également Christian Amiraty, le maire démissionnaire de Gignac-la-Nerthe, dans les colonnes de La Provence. Même s’il n’a pas signé la lettre, affirmant avoir été « oublié », l’édile est « totalement pour l’instauration de ce couvre-feu ». « Une étude de la Métropole montre bien que nous sommes très impactés par le bruit », dit-il.

Les mouvements d’avions à l’aéroport Marseille Provence en 24 heures, ici le 20 octobre 2025. (©Document remis à actu Marseille)
Anne est là, parmi d’autres, pour en témoigner. Son administrée, qui vit « à 10 mètres » d’une des six stations installés par l’aéroport pour mesurer l’impact sonore de ses avions, consulte tous les mois les rapports qui en découlent. « On n’a pas les nuisances les plus hautes, mais elles sont bien là. » Les données font état de pics à plus de 75dB en journée et d’un niveau de bruit « aéronautique » à près de 45dB la nuit.
« On n’invite plus personne »
« Le couvre-feu est la solution qui protégera l’ensemble des populations, des plus impactées à celles des communes oubliées car plus éloignées de l’aéroport, avance Anne. Mais il ne réglera pas tout. De jour aussi, ça reste un problème. Nous, on n’invite plus personne. Le jardin, c’était un lieu de vie mais, maintenant, je ne fais même plus venir mes filles. »
La quinquagénaire s’inquiète également pour la revente de sa maison, achetée en l’an 2000. « Avec mon mari, quand on doit faire des travaux, on regarde vraiment à la dépense car on ne sait pas combien on pourra obtenir d’un acheteur. »
Elle craint aussi une croissance du trafic.
« Échapper aux scénarios extrémistes »
Le nombre de passagers à l’aéroport Marseille Provence, 11 167 485 en 2024, a augmenté de 3,3 % en un an, mais avec moins de mouvements d’avions (88178 contre 96809). La plateforme, quatrième de France après celles de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly et Nice-Côte d’Azur, a assuré à France 3 avoir déjà réalisé des « efforts non négligeables » en réduisant « drastiquement les vols entre minuit et 6h ».
Pour elle, un couvre-feu total serait une très mauvaise nouvelle, certaines compagnies pouvant se détourner de la destination. « Nous espérons une solution équilibrée » et « échapper aux scénarios extrémistes », tranche un porte-parole. Les autorités, appelées à arbitrer, vont devoir jongler entre l’activité économique de l’aéroport et son impact sur les habitants. Anne, comme beaucoup d’autres, espère bien pouvoir être entendue.
*La personne interrogée n’a pas souhaité que son nom de famille soit publié.
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