Cet automne, le musée Guimet à Paris organisera une exposition inédite sur le manga. La mythique Vague de Hokusai trônera parmi les chefs-d’œuvre présentés. Ce 31 octobre, notre journaliste Agathe Hakoun a assisté à son accrochage aux côtés d’Estelle Bauer, conservatrice en chef des collections japonaises et commissaire de l’exposition.

Elle est aujourd’hui une des images les plus reproduites de l’histoire de l’art. La Vague, du titre original Sous la vague de Kanagawa (1830-1832), de Katsushika Hokusai (1760-1849) sera au cœur de « Manga, tout un art ! » au musée Guimet (Paris, XVIe arrondissement), du 19 novembre au 9 mars. À cette occasion, l’institution sort de ses réserves son précieux chef-d’œuvre avant de l’accrocher dans une salle qui lui est consacrée. Nous avons assisté à cette opération délicate pour avoir un aperçu de l’exposition événement qui sera déployée sur les trois étages du musée national d’arts asiatiques.

Deux Vagues en rotation

La Vague de Hokusai a été tirée entre 5000 et 8000 exemplaires. De nombreux musées occidentaux et japonais conservent des versions avec de légères variations entre les tirages. En France, deux sont conservées à la Bibliothèque nationale de France (BnF), une à Giverny et deux au musée Guimet. Ce dernier présentera ses feuilles dans « Manga, tout un art ! ». Il s’agit de deux tirages à partir du même bois en très bon état, un donné par le mécène et collectionneur français Isaac de Camondo (1851-1911) et l’autre par le collectionneur et joaillier Art Nouveau Henri Vever (1854-1942). L’estampe de Camondo présente des nuages roses et un dégradé plus marqué, tandis que celle de Vever, certainement plus exposée à la lumière, a perdu ses nuages, est plus contrastée et comporte une marque de pliure.

Les deux exemplaires de La Vague de Hokusai conservés par le musée Guimet. À gauche, celle donnée par Henri Vever et à droite celle donnée par Isaac de Camondo. Photo : © Connaissance des Arts / Agathe Hakoun

Les deux exemplaires de La Vague de Hokusai conservés par le musée Guimet. À gauche, celle donnée par Henri Vever et à droite celle donnée par Isaac de Camondo. Photo : © Connaissance des Arts / Agathe Hakoun

En raison de la fragilité de ces œuvres, le musée les exposera en rotation, en commençant par la Vague de Camondo pendant deux mois puis celle de Vever. « On ne l’expose pas fréquemment, mais on a beaucoup de visiteurs qui viennent et souhaitent la voir, nous explique Estelle Bauer, conservatrice en chef des collections japonaises et commissaire de l’exposition. Nous réfléchissons à un mode de présentation peut-être d’un mois par an comme au Japon, qui serait le mois de La Vague. »

Comment La Vague est-elle devenue une icône de l’histoire de l’art ?

La Vague fait partie de la série des Trente-six vues du Mont Fuji (1831–1833) du maître de l’estampe japonaise qui illustrent chacune différemment le sommet sacré cher aux Japonais. Ici, Hokusai l’associe à une monumentale vague à l’écume crochue, semblable à des griffes. « La série a connu un succès important au Japon, on peut le voir au nombre de tirages, commente la conservatrice. C’était un sujet assez neuf pour le Japon. La mer est très présente mais il y avait peu de paysages maritimes. De plus, l’utilisation du bleu de Prusse, créé en Allemagne au XVIIIe siècle et plus largement importé au Japon dans les années 1830, a apporté un autre aspect qui a dû plaire. Mais, jusqu’il y a peu de temps, ce n’était pas l’estampe de la série qui avait le plus de succès. Les Japonais préféraient celle du Fuji rouge. »

Accrochage de La Vague de Hokusai en amont de l'exposition « Manga, tout un art ! » au musée Guimet à Paris. Photo : © Connaissance des Arts / Agathe Hakoun

Accrochage de La Vague de Hokusai en amont de l’exposition « Manga, tout un art ! » au musée Guimet à Paris. Photo : © Connaissance des Arts / Agathe Hakoun

Comment est-elle devenue également une icône, aussi populaire que La Joconde de Léonard de Vinci aujourd’hui ? « C’est grâce aux Occidentaux, continue Estelle Bauer. Edmond de Goncourt est le premier à avoir écrit sur elle à la fin du XIXe siècle. En 1905, c’est Debussy qui l’a reprise pour orner la couverture de La Mer. De fil en aiguille, elle a exercé une fascination sur les Occidentaux. » Si les Japonais apprécient l’œuvre pour sa représentation du Mont Fuji, en Europe, c’est la forme de la vague qui nous séduit. « Nous sommes sensibles à la beauté de la forme de cette vague, ajoute la spécialiste, et d’une particularité qui nous frappe. Edmond de Goncourt en parle à son époque : les crêtes qui ressemblent à des griffes et cette composition très forte. »

Planche d'Alexis Dormal présentée dans la salle de La Vague de Hokusai dans l'exposition « Manga, tout un art ! » au musée Guimet à Paris.

Planche d’Alexis Dormal présentée dans la salle de La Vague de Hokusai dans l’exposition « Manga, tout un art ! » au musée Guimet à Paris. Photo : © Connaissance des Arts / Agathe Hakoun

La Vague dans la bande dessinée franco-belge

Dans « Manga, tout un art ! » La Vague sera présentée dans une salle bleu roi à part, entourée d’œuvres lui faisant écho. « Tout au long de l’exposition, nous allons créer un dialogue avec des œuvres patrimoniales du musée et les mangas, mais on reste dans un univers japonais, décrit Estelle Bauer. Des mangas comme One Piece citent très clairement La Vague mais on a voulu montrer qu’il y avait aussi un dialogue possible avec des œuvres patrimoniales et la bande dessinée franco-belge. » La salle de La Vague montre ainsi une robe de John Galliano pour Dior et des planches originales de Moebus, Coco et Alexis Dormal qui la reprennent également. Coco reprend le motif de la vague oppressante pour faire écho à son expérience pendant l’attentat terroriste chez Charlie où elle s’est sentie submergée. Au contraire, Moebus transforme ce motif de la griffe pour emmener le spectateur dans le domaine du rêve. Alexis Dormal installe quant à lui La Vague dans la Grande Galerie du Louvre pour faire référence aux grandes peintures de l’histoire de l’art occidentale, comme Le Radeau de la Méduse et La Naissance de Vénus. Un rassemblement de chefs-d’œuvre universels.

« Manga, Tout un art ! »
Musée Guimet
6 place d’Iéna, 75116 Paris
Du 19 novembre au 9 mars 2026

Hokusai’s ‘The Great Wave’ (and the differences between all 111 of them) | Woodblock Printing