Par
Emma Derome
Publié le
31 oct. 2025 à 19h02
C’est l’heure de dire bye-bye à son buraliste. Le « Mois sans tabac » approche. Au 1er novembre, nombreux sont ceux qui vont jouer le jeu et tenter d’arrêter de fumer pendant 30 jours. Près de 134 000 personnes ont officiellement sauté le pas en 2024, sûrement plus dans les faits. La consommation de tabac est d’ailleurs en nette baisse en France, selon les derniers chiffres de Santé publique France.
Mais ces chiffres encourageants cachent une autre réalité : beaucoup ont remplacé la cigarette classique par la cigarette électronique. Des jeunes, y compris des adolescents, commencent d’ailleurs à fumer de la nicotine avec ces dispositifs. Une pratique qui est, certes, bien moins risquée, mais qui n’est pas sans danger, selon les études compilées par le Comité National Contre le Tabagisme (CNCT).
Problèmes pulmonaires ou cardiaques, impact sur la grossesse, dépendance à la nicotine chez les jeunes… Malgré le manque de recul sur les effets des e-liquides utilisés pour le vapotage, la science nous donne déjà quelques raisons de se demander : un mois sans vapote serait-il bénéfique pour notre santé ? Contacté par actu.fr, le professeur Yves Martinet nous explique pourquoi ce n’est pas une si mauvaise idée.
Des arômes douteux, qui ont un impact sur les poumons
Bien sûr, il convient de rappeler, que le principal danger pour la santé publique reste la cigarette, confirme le pneumologue. Un cancer sur trois est lié au tabagisme.
« Les chiffres ont baissé sur 10 ans en France, mais il ne faut pas encore hurler de joie. On n’est pas bons par rapport à d’autres pays européens (la France est à 18 % de fumeurs, contre moins de 15 % au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, ou dans les pays Scandinaves, NDLR.). La consommation de tabac est encore tellement importante en France, et ses conséquences sanitaires le sont tout autant. Ça reste une priorité », concède-t-il.
En effet, dans la vapoteuse, il n’y a ni goudron, ni monoxyde de carbone ou autres substances cancérigènes bien identifiées. Et des études indépendantes ont montré qu’elle pouvait aider, dans le cadre d’un suivi médical, à arrêter de fumer. Cependant, ce n’est pas pour autant qu’il faut ignorer les dangers pour la santé de la cigarette électronique.
« Les gens ont en tête que : dans une cigarette électronique, on met un liquide, et que ce liquide, il est vaporisé, et on l’inhale, en gros. Malheureusement, ce n’est pas si simple », indique le spécialiste.
Déjà, quand on conseille la cigarette électronique pour arrêter de fumer, il faut arrêter complètement de fumer. Parce qu’on s’aperçoit que la majorité des fumeurs qui s’intéressent au vapotage vont continuer à fumer quelques cigarettes par jour à côté. Avec l’idée qu’en réduisant le nombre de cigarettes et en vapotant, ils vont réduire les risques pour leur santé. En fait, c’est faux. Fumer quelques cigarettes et vapoter, c’est peut-être même encore plus dangereux que seulement fumer.
Yves Martinet
professeur émérite de pneumologie et président du CNCT
En effet, le liquide qui contient la nicotine, les solvants et les arômes, est chauffé à haute température.
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« On est au-delà de 200 °C. On n’a pas de combustion, ça c’est clair. Mais le chauffage du liquide amène des modifications au niveau moléculaire des produits présents dedans, qui se traduit par la création de nouvelles molécules, qui vont interagir aussi entre elles et créer de nouvelles molécules », selon le pneumologue, qui rappelle que les arômes présents dans les liquides, inoffensifs lorsqu’ils sont ingérés, ne sont pas testés pour être chauffés à haute température et inhalés.
Les émissions des cigarettes électroniques comportent des particules ultrafines, des carbonylés (formaldéhyde, acroléine), et des métaux libérés par les composants chauffants. Les autorités sanitaires rappellent que ces émissions sont nocives pour les utilisateurs et, à des niveaux moindres mais réels, pour les personnes exposées passivement.
CNCT
« Ça explique qu’il y ait des complications qui soient un peu plus importantes que ce qu’on a peut-être pensé initialement. » C’est ainsi que, régulièrement, des études portant sur certains arômes révèlent leur impact sur les poumons. C’est le cas d’arômes de fruits rouges, ou du menthol, qui pourraient provoquer, pêle-mêle, irritation des voies respiratoires, risques d’infection respiratoire, ou une limitation de la capacité pulmonaire.
Les études cliniques montrent que les vapoteurs présentent plus souvent des symptômes tels que toux, sifflement ou essoufflement que les non-utilisateurs. […] Ils présentent également un risque accru de 39 % d’être diagnostiqués asthmatiques par rapport aux non-utilisateurs (…) Les effets aigus de la nicotine inhalée via les e-cigarettes sont également comparables à ceux produits par la nicotine inhalée à partir d’une cigarette, en l’occurrence : élévation transitoire de la fréquence cardiaque et augmentation de la pression artérielle. (…) Les personnes qui vapotent régulièrement ont des vaisseaux sanguins qui se dilatent moins bien que ceux des non-utilisateurs.
CNCT
Des informations à prendre au sérieux, puisque nombreux sont les fumeurs à passer à la « vapote ». En 2023, le vapotage concernait 8,3 % des 18-75 ans en France, et cela augmente d’année en année, selon les chiffres de Santé publique France.
La nicotine, particulièrement néfaste pour les jeunes, « reste une drogue dure »
L’engouement autour du vapotage est si important, notamment chez les jeunes, que les scientifiques peuvent désormais étudier l’impact du vapotage sur des populations qui n’avaient auparavant jamais fumé, mais qui s’y sont mises parce que c’est tendance, ou considéré comme moins dangereux que la cigarette.
Or, « la nicotine reste une drogue dure », dont il est difficile de se sevrer, rappelle le professeur Martinet. Le cerveau des jeunes ados et adultes, encore en développement, peut d’ailleurs être particulièrement perturbé par la nicotine, selon plusieurs études, qui démontrent que vapoter peut devenir en réalité une porte d’entrée vers la consommation de tabac.
Dans son dernier rapport, l’Organisation mondiale de la santé a dénoncé « le marketing agressif » des industriels du tabac, dont la plupart des grandes marques ont également des parts dans les secteurs de la cigarette électronique et du tabac à chauffer, à destination des jeunes. Même si les puffs, ces vapoteuses jetables aux différents goûts sucrés, ont été interdites en France, elles restent accessibles facilement, selon un reportage de l’AFP.
« Maintenant, dans les séries, y compris policières, dès que quelqu’un est stressé, on sort la cigarette électronique. Une mode qui a été créée artificiellement par l’industrie du tabac, qui paye des influenceurs sur les réseaux sociaux, qui propose des produits attrayants, etc. Mais il n’y a aucune raison de vendre une drogue dure à destination des adolescents », dénonce le Pr Martinet.
Malgré l’interdiction de vapoter dans l’espace public, et celle de diffuser des publicités liées à des produits de vapotage, ce dernier plaide notamment pour que les partenariats avec ces marques soient davantage contrôlés sur internet. Pour rappel, le gouvernement a proposé dans son projet de loi pour le budget 2026 une taxe sur les produits de vapotage.
Il serait souhaitable qu’il y ait, à la fois, des cigarettes électroniques qui seraient des dispositifs médicaux standardisés, prescrits par les médecins, infirmiers, sages-femmes, etc. et vendus en pharmacie, au même titre que les autres traitements anti-tabac, et de l’autre côté, des produits à base de nicotine qui seraient identifiés comme liés à l’industrie du tabac, avec les limitations que ça comprend.
Yves Martinet
À la lumière de tout cela, faudrait-il freiner le vapotage, et arrêter pendant un mois, pour sensibiliser ses usagers à la dépendance qui peut en découler, et aux effets sur la santé ? « À terme, je pense qu’il faudra passer à un mois sans nicotine. Sans nicotine thérapeutique, je veux dire. Comme le dry january est un mois sans alcool. Mais il est encore trop tôt. Il faut encore insister sur la lutte anti-tabac. »
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