Et si, en 2025, la couleur de peau du suspect suffisait ? Et si le fait qu’Anthony Williams – on connaît désormais son nom – soit noir expliquait le tour politique qu’a pris ce fait divers particulièrement violent ?
Quinze minutes d’horreur à bord d’un train lancé à pleine vitesse. La panique, les cris, le sang sur les sièges et ce bilan, dix blessés, qui aurait pu être encore plus lourd sans l’intervention de l’une des victimes, un employé de la compagnie ferroviaire.

Cette attaque au couteau, terrible, a été commise par un citoyen britannique. Les forces de l’ordre l’ont rapidement précisé, car elles ont désormais pour consigne de communiquer la nationalité, l’origine ethnique ou la couleur de peau des suspects si cette information permet de couper court aux interprétations hâtives. A l’été 2024, le profil du meurtrier de trois fillettes, un Britannique d’origine rwandaise décrit à tort comme un demandeur d’asile, a provoqué un déferlement de fausses informations et des émeutes anti-immigration.

Fléau national en repli ?

Cette fois la police a joué la transparence, mais cela ne suffit pas. L’extrême-droite fait directement le lien entre cette attaque et l’immigration. « Nous devons sécuriser nos frontières » affirment les dirigeants de Reform UK, le parti de Nigel Farage. Les Conservateurs, eux, dénoncent la « violence grandissante dans nos rues » et mentionnent d’autres attaques au couteau comme celle perpétrée par un réfugié afghan lundi 28 octobre dans l’ouest de Londres. D’insinuation en amalgame, le lien entre immigration et criminalité est vendu comme avéré, alors qu’il est, dans l’attaque de samedi, inexistant.

Dans un pays où les armes à feu sont strictement contrôlées, les attaques au couteau ont fortement augmenté ces quinze dernières années, fléau qualifié de « crise nationale » par le premier ministre Keir Starmer qui a durci l’accès à certaines armes blanches.

Les derniers chiffres officiels suggèrent une certaine amélioration. En juin dernier, les agressions au couteau enregistrés par la police avaient diminué de 5 % par rapport à l’année précédente, et le nombre d’homicides de 18%. Mais ces variations passent largement inaperçues, occultées par des attaques meurtrières et spectaculaires comme celle perpétrée près d’une synagogue à Manchester le 2 octobre, mais aussi par leur instrumentalisation politique.

Reform UK doublé sur sa droite

L’extrême-droite profite des erreurs du gouvernement et les exploite méthodiquement, du nombre d’arrivées par bateau à travers la Manche qui augmente, aux ratés de la politique de renvoi de migrants en France mise en place début août, en passant par le coût pour la collectivité de l’accueil des demandeurs d’asile. Jusqu’à cette remise en liberté par erreur, mi-octobre, d’un demandeur d’asile éthiopien condamné pour agression sexuelle – une affaire à l’origine de manifestations dans tout le pays, qui ont rassemblé 150 000 personnes dans les rues de Londres mi-septembre. L’homme a été rapidement retrouvé puis expulsé vers l’Ethiopie. Mais le cafouillage a laissé des traces.

L’extrême-droite tutoie les sommets dans les sondages : 27 % d’intentions de vote pour Reform UK, dix  points au-dessus des Travaillistes de Keir Starmer qui battent des records d’impopularité. Et dans ce contexte abrasif, Reform se paie désormais le luxe d’avoir une aile droite, Advance UK, nouveau parti soutenu par l’ex-hooligan Tommy Robinson et par un sponsor de choix : Elon Musk. Ce dernier avatar de l’ultra-droite concurrence Reform et le ferait presque passer pour modéré. De quoi recentrer Nigel Farage, en quête de respectabilité, l’oeil rivé sur le 10 Downing Street et les élections générales de 2029.