Taxation et héritage –

La possible fuite des hauts patrimoines inquiète les autorités britanniques

Tristan de Bourbon- correspondant à Londres

Publié aujourd’hui à 09h10Des personnes traversent une rue dans le quartier financier de la City de Londres, avec des immeubles modernes en arrière-plan, le 21 octobre 2025.

Le quartier financier de la «City» de Londres, le 21 octobre 2025. Près de 140’000 millionnaires pourraient quitter le pays en réaction à de nouvelles taxations, s’inquiète une étude.

EPA/TOLGA AKMEN

En bref:

  • Près de 140’000 millionnaires pourraient quitter le Royaume-Uni suite aux nouvelles mesures fiscales annoncées.
  • Le statut de «non domicilié» exonérant les résidents étrangers d’impôts sera supprimé en avril 2025.
  • Les départs de riches résidents demeurent actuellement inférieurs aux prévisions des médias conservateurs.

Taxera ou taxera pas les très hauts patrimoines britanniques? Alors que la ministre travailliste de l’Économie et des Finances Rachel Reeves dévoilera le 26 novembre ses mesures pour combler le déficit budgétaire, son parti se déchire sur l’éventualité d’un impôt sur les ultrariches.

Ses opposants semblent l’avoir emporté après avoir ressorti un rapport dévastateur publié en juin. «Un nombre record de 142’000 millionnaires devraient déménager à l’étranger cette année, le Royaume-Uni devant connaître le plus important exode net de particuliers fortunés de tous les pays» depuis le début du suivi de ces mouvements il y a dix ans, avaient alors assuré dans un communiqué les consultants de Henley & Partners et les analystes de New World Wealth. 

Dans la foulée, les gros titres avaient fusé dans les médias britanniques, en particulier ceux idéologiquement classés à droite. «Les riches fuient le Royaume-Uni en nombre record après la réforme fiscale des non-résidents», s’était inquiété «The Times». Quelques jours plus tôt, «The Telegraph», considéré comme la bible des électeurs conservateurs, s’était réjoui que Rachel Reeves «envisage des changements concernant les impôts sur les non-domiciliés pour arrêter leur exode». Les noms d’un ancien banquier de Goldman Sachs, de l’un des héritiers de la famille indienne Mittal et d’un investisseur égyptien avaient été cités en guise d’exemples concrets de cette fuite des riches. 

Tradition de résidents étrangers exemptés

Historiquement, les autorités britanniques ont exempté les résidents étrangers de l’impôt sur leurs revenus étrangers dès l’introduction de l’impôt sur le revenu en 1799, à la condition que ces sommes ne soient pas rapatriées au Royaume-Uni. En 2008, suite à la crise financière, elles ont imposé une contribution de 31’600 à 63’200 francs à ces «non-domiciliés» (appelés «non-dom») en échange du maintien de cette exemption.

Mais en mars 2024, après des années de débat sur l’équité de ce statut, et notamment son utilisation par la richissime épouse indienne du premier ministre Rishi Sunak, le gouvernement conservateur a prévenu qu’il disparaîtrait en avril 2025, début de l’année fiscale 2025-2026. 

Le Premier ministre britannique Keir Starmer et son adjoint David Lammy quittent Downing Street pour les Questions au Premier ministre à Londres.

Le premier ministre britannique Keir Starmer et son adjoint David Lammy à Downing Street, à Londres, le 29 octobre 2025.

EPA/ANDY RAIN

Après leur élection en juillet 2024, les travaillistes ont dévoilé en catimini un autre changement en matière de taxation. Tout individu installé au Royaume-Uni pendant dix des vingt dernières années sera considéré à partir de la fin de l’année fiscale 2025-2026 comme «un résident à long terme». Il deviendra dès lors redevable de l’impôt sur la succession, dont le taux s’élève à 40% au-delà de 340’000 francs d’actifs ou 525’000 francs si elle intègre la résidence principale. 

Un ancien résident britannique parti s’installer cet été sur le continent européen nous explique que «ce qui a fait tiquer de nombreux étrangers dans ma position, c’est la durée pendant laquelle nous étions susceptibles d’être concernés par cet impôt: trois ans après notre départ du Royaume-Uni pour ceux qui y ont résidé entre dix et treize ans, et jusqu’à dix ans pour ceux ayant vécu pendant plus de vingt ans dans le pays!»

Le gouvernement estime que la fin des «non-doms» et les nouvelles modalités de l’impôt sur la succession lui permettront d’empocher 13,4 milliards de francs d’ici à 2029. 

Partiront ou partiront pas?

Pour «The Times» et «The Telegraph», opposés par principe à l’impôt sur la succession, ce fut la goutte de trop. S’appuyant sur un rapport du CEBR, un centre de réflexion proche du patronat, les deux quotidiens ont assuré que 25% des «non-doms» quitteront le pays d’ici à 2029 pour éviter les nouvelles mesures, ce qui «pourrait laisser un trou de 4 milliards de livres sterling (4,21 milliards de francs) dans les finances publiques». 

La réalité paraît pour le moment moins extrême. À la fin 2024, il y avait encore 73’700 «non-doms» installés dans le pays, soit 400 de moins par rapport à un an plus tôt, selon les statistiques officielles du gouvernement diffusées mi-juillet. Malgré ce recul de 0,5%, la contribution des «non-doms» en matière d’impôts et de taxes a légèrement augmenté à 9,5 milliards de francs. Par ailleurs, depuis le début de l’année 2025, les départs sont inférieurs aux prévisions du gouvernement, selon des informations du «Financial Times».

L’organisation Tax Justice UK, qui milite pour une taxe sur les plus hauts patrimoines, dénonce le flou de la méthode de calcul de l’étude initiale de Henley & Partners, à l’origine selon elle d’une «hystérie généralisée». «Elle nous paraît d’autant plus douteuse qu’elle va à l’encontre des enquêtes et analyses, quantitatives comme qualitatives, qui concluent que les très riches n’ont pas envie de déménager ou de tout abandonner dans le seul but d’échapper à l’impôt», nous explique Mark Bou Mansour, l’un de ses responsables. «Ils craignent même d’être stigmatisés en partant vivre dans un paradis fiscal.» 

Paul Donovan, chef économiste de la branche de gestion de richesse d’UBS, a récemment reconnu que «la population de riches nomades», capables de se déplacer rapidement d’un pays à l’autre, est «peut-être plus petite que supposé». Elle concernerait surtout les ultrariches dont l’activité économique est à la fois internationale et réalisable depuis n’importe où. Des critères qui font aussi d’eux les plus affectés par les deux nouvelles mesures fiscales britanniques. Voudraient-ils pour autant changer de cadre de vie alors que leurs moyens financiers sont considérables? Pas forcément. Quant aux employés du monde de la finance londonienne au sens large (banquiers, avocats, comptables, etc.), salariés au Royaume-Uni, ils sont faiblement affectés par ces changements de taxation. 

Pour Mark Bou Mansour, il ne fait aucun doute que «cette histoire d’exode des millionnaires vise à faire peur et à détourner l’attention d’une solution dont on commence à parler: une taxe sur les ultrariches». Même s’il paraît peu probable qu’elle verra le jour cette année au Royaume-Uni. 

Taxation des ultrariches

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