Par

Margot Nicodème

Publié le

4 nov. 2025 à 18h20

L’affaire n’avait été évoquée qu’en surface le 15 septembre dernier, mais déjà elle avait semé le trouble chez l’auditoire. Elle a été jugée au tribunal de Lille (Nord) le 3 novembre, et les débats ont permis d’éclaircir les circonstances d’un spectaculaire affrontement entre cinq policiers et deux jeunes amants. C’était dans la nuit du 11 septembre, dans l’intimité d’un appartement à Villeneuve-d’Ascq. Une femme de 31 ans et un homme de 28 ans se sont jetés sur les fonctionnaires, brandissant des athamés, des couteaux utilisés dans les rituels de sorcellerie. Car tous deux sont amateurs d’occultisme et d’ésotérisme ; elle a expliqué avoir eu « une vision » maléfique avant l’arrivée des policiers, lui dit s’être plongé dans « un état second » pour calmer sa conjointe. Une version des faits qui n’a pas prêté à rire du côté des policiers, profondément choqués et qui se sont constitués parties civiles. Détails.

« On s’attend à retrouver une femme maintenue de force dans une pièce, ligotée »

Comment en est-on arrivé à un tel imbroglio ? Il faut remonter aux origines de ce fait divers, fin août 2025. Alexia*, 31 ans, est une mère de famille résidant à La Rochelle. Le 24 août, son conjoint signale sa disparition, qui prend rapidement une tournure « inquiétante ». Des réservations de billets de train permettent de retracer son itinéraire : la jeune femme a pris la direction de Lille, où elle est partie rejoindre son amant rencontré sur Internet, Ali*. « J’avais besoin de couper les ponts », souffle-t-elle dans le box du tribunal.

Elle et Ali se sont « rencontrés » 3 ans plus tôt, sur un groupe Facebook sur la thème « du vampirisme, de l’ésotérisme », relate Ali. En cette fin août 2025, il a ainsi accueilli sa maîtresse chez lui, dans son logement de Villeneuve-d’Ascq. Oui mais voilà, sa personnalité énigmatique pose question, et les proches d’Alexia se demandent si elle n’est pas tombée sous la coupe d’un manipulateur.

La jeune femme a beau envoyer quelques messages – très peu, et de façon très discrète, ça lui est reproché à l’audience – pour dire qu’elle va bien, un gros dispositif de police est déclenché pour la retrouver.

En résulte l’intervention « surprise » des cinq policiers dans l’appartement, la nuit du 11 septembre. « On s’attend à retrouver une femme maintenue de force dans une pièce, ligotée », témoigne un des policiers à la barre. Point de demoiselle en détresse à sauver, mais une femme qui devient à la place une assaillante, aussitôt que les fonctionnaires ont mis les pieds dans le logement. Armée d’un couteau, et nue, elle s’est avancée « avec détermination » vers les agents. Elle donne sa version.

Je venais de me réveiller, une heure avant. J’ai entendu qu’on commençait à ouvrir, derrière la porte. J’ai dit ‘Sortez d’ici !’, le temps que je me calme et de poser le couteau que je venais de prendre. J’ai toujours un couteau qui n’est pas très loin, c’est une sorte de protection. [Les policiers] n’ont pas écouté, donc j’ai avancé vers eux avec le couteau.

Alexia, prévenue.

La jeune femme affiche une fragilité évidente, doublée d’un fort bégaiement. Elle est reconnue travailleur handicapé.

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Un policier visé par un coup de couteau, lui et son collègue ouvrent le feu

Pour la neutraliser, les policiers ont recours cette nuit-là au pistolet à impulsion électrique, plus communément appelé taser. Mais ils ne sont pas au bout de leurs surprises : c’est Ali, le conjoint qui était jusqu’alors resté dans la chambre, qui fait irruption dans le couloir. « J’ai cru que ma compagne s’était fait tirer dessus, alors j’ai foncé sur eux », raconte-t-il.

Quelques secondes auparavant, il venait de saisir le fameux athamé, planqué sous son oreiller. Il se jette sur un des policiers, et lui porte un coup de couteau au niveau de l’épaule. Le gilet pare-balles du fonctionnaire le sauve heureusement d’une blessure bien plus grave, potentiellement mortelle. « Un centimètre plus haut, j’étais touché à la carotide », témoigne l’agent de police. Celui-ci fait alors usage de son arme de service.

J’ai vu la lame de 20 centimètres, j’ai fait feu pour le faire reculer. Il est quand même revenu en courant.

Le premier policier qui a ouvert le feu sur le prévenu.

La balle ne fait qu’effleurer le prévenu, qui s’en tire avec une blessure légère sur la zone pectorale. Il est ensuite visé – mais pas touché – par un second policier, qui tire deux balles pour venir en aide à son collègue. Le 3 novembre, Ali se doit de donner des explications sur cet état de folie furieuse.

Il dit qu’avant que les policiers n’interviennent, Alexia a eu une vision dans le lit, laissant penser que « quelqu’un allait nous faire du mal ». En réaction, lui se serait « plongé dans un état second, pour soulager ses visions ».

« On met du temps à se sortir [de cet état]. Si un événement survient, on perd le contrôle sur sa conscience et ça peut vite dégénérer. Je n’avais pas le contrôle sur mon corps à ce moment-là », se justifie-t-il devant les magistrats. Et d’ajouter : « Si j’avais été en pleine possession de mes moyens, ça ne se serait pas passé comme ça. » Ali précise que « c’est pour ça que je reste chez moi en temps normal, pour ne pas être dérangé et ne pas déranger les autres », lors de ses séances de « travail mental » intense.

« Elle est en mesure de comprendre que sa fuite va déclencher un arsenal »

Les deux amants ont présenté leurs excuses aux cinq policiers qui leur ont fait face dans la salle d’audience, et qui se sont constitués parties civiles. Pour les deux policiers « tireurs », l’épisode a été vécu comme un traumatisme. « J’ai pensé à mes enfants, à ma femme, à tout ce qu’on peut perdre », résume l’un d’eux. Et il y a aussi l’après, les familles à rassurer, les comptes à rendre parce qu’on a utilisé son arme de service. Autant de stress qui les a profondément marqués, encore aujourd’hui.

L’avocat des policiers, mettant en lumière les stigmates de l’agression chez ses clients, demande à ce que quatre d’entre deux soient indemnisés à hauteur de 4 000 € chacun (2 000 € de la part d’Ali, 2 000 € de la part d’Alexia), au titre du préjudice moral. Pour le 5e policier, visé par le coup de couteau, il demande 10 000 € : 5 000 € pour le préjudice moral et 5 000 € au titre du préjudice de mort imminente.

La procureure de la République est outrée par la légèreté d’Alexia face aux conséquences de sa fuite. « Elle est en mesure de comprendre que sa fuite va déclencher un arsenal. Elle n’a fait qu’écouter sa petite voix intérieure. » Elle requiert des peines lourdes : 6 ans de prison ferme contre Ali, 4 ans de prison ferme contre la trentenaire.

L’avocat d’Ali fait valoir que « les policiers n’ont rien à exiger de Madame », après son départ volontaire du domicile de La Rochelle, « tant qu’elle ne commet pas d’infraction ». L’intervention de police dans l’appartement, qui a abouti aux débordements que l’on connaît, est selon lui « injustifiée ». L’avocat d’Alexia, de son côté, soulève la personnalité « particulière » de sa cliente. « Cette dame, il faut l’aider, et l’élever. » Sans minimiser la gravité de l’attaque, les deux plaident pour un aménagement de peine à domicile.

*Les prénoms ont été changés.

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