En 2025, la Russie a attribué plus de 5 000 bourses universitaires à des étudiants africains, après avoir reçu plus de 40 000 candidatures, soit deux fois plus qu’en 2024, selon l’agence de diplomatie culturelle Rossotroudnitchestvo.
Les candidatures les plus nombreuses proviennent du Soudan, de la Guinée, du Ghana et du Tchad. Les autorités russes signalent également un intérêt croissant pour les cours de langue russe.
Une stratégie d’influence héritée de l’époque soviétique
Pour les observateurs, il n’est pas surprenant que les étudiants africains se tournent vers les universités russes. Sous la présidence de Vladimir Poutine, le Kremlin cherche à raviver les liens hérités de l’ère soviétique et à forger de nouvelles alliances en Afrique pour renforcer son influence mondiale face à l’Occident.
Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, la Russie s’appuie davantage sur les pays du Sud global pour rompre son isolement diplomatique. L’éducation, l’énergie et la coopération militaire font désormais partie de ses principaux leviers d’influence.
« Offrir des bourses est le moyen le moins coûteux de se faire des alliés. Et la Russie en a besoin aujourd’hui », explique l’historienne Irina Filatova, professeure émérite à l’Université du KwaZulu-Natal en Afrique du Sud. « Moscou s’est construit une image d’acteur anti-colonial, et beaucoup d’Africains s’y reconnaissent », ajoute-t-elle.
Pour l’instant, le nombre d’Africains étudiant dans l’Union européenne ou aux États-Unis dépasse largement celui des étudiants inscrits en Russie — plus de 92 000 Africains étudieraient rien qu’en France actuellement.
Expansion culturelle et académique
La Russie prévoit d’étendre son réseau de centres culturels et éducatifs, appelés Maisons russes, à travers l’Afrique, pour renforcer sa présence académique et culturelle. Selon Evgueni Primakov, directeur de Rossotroudnitchestvo, de nouveaux centres ouvriront en Égypte, en Zambie, en Tanzanie, en Afrique du Sud et en Éthiopie.
« Les cours de russe sont désormais proposés dans de nombreux pays africains. Les suivre ouvre la porte à des bourses, à des universités, à des opportunités professionnelles et à un nouveau mode de vie », explique-t-il.
Cette montée en puissance des Maisons russes, combinée aux programmes linguistiques et aux bourses d’études, explique en partie la hausse des candidatures.
En République centrafricaine, la langue russe est devenue obligatoire dans les universités. Le pays accueille déjà des conseillers militaires russes et des contractuels privés, soutenant le président Faustin-Archange Touadéra.
Entre soft power et propagande
Mais ces initiatives suscitent des controverses. Des ONG accusent les Maisons russes de servir de relais de propagande diffusant la vision du Kremlin à l’étranger. Des violations des droits humains ont également été rapportées : certains étudiants étrangers auraient été forcés à s’enrôler dans l’armée russe pour obtenir une prolongation de visa ou un statut légal.
Des étudiants faits prisonniers en Ukraine affirment avoir été contraints de signer des contrats militaires sous la menace d’expulsion ou d’emprisonnement. D’autres auraient été recrutés pour travailler dans des usines d’armement.
« Cela nuit gravement à l’image de la Russie », estime Irina Filatova. L’historienne poursuit : « inviter des jeunes à étudier pour ensuite les impliquer dans la guerre est contre-productif : la Russie a besoin d’alliés, pas d’ennemis ».
Héritage soviétique et attrait économique
À l’époque soviétique, Moscou se présentait déjà comme un partenaire des pays nouvellement indépendants d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Des milliers d’étudiants du tiers-monde ont été formés en URSS, notamment à l’Université de l’amitié des peuples Patrice Lumumba, fondée en 1960, qui servait d’instrument de diplomatie éducative.
Aujourd’hui encore, le faible coût des études attire de nombreux Africains. « Les universités russes sont bien moins chères qu’en Europe ou même dans certains pays africains », témoigne Keith Baptist, un père de famille zimbabwéen dont trois enfants étudient en Russie. »Le logement et la nourriture y coûtent aussi beaucoup moins cher », précise-t-il.

De nombreux africains se tournent vers la Russie plutôt que vers les pays occidentaux.Fanny Facsar/DW
Les frais annuels de scolarité en Russie varient entre 2 000 et 10 000 dollars, contre 10 000 à 40 000 dollars en Europe ou aux États-Unis.
Pour Jefry Makumbe, diplômé en journalisme audiovisuel à Voronej, l’attrait réside aussi dans les bonnes relations politiques entre la Russie et les pays africains : « beaucoup de jeunes Africains préfèrent étudier en Russie, où les relations sont amicales et les études abordables ».
Irina Filatova souligne que la subvention directe des universités publiques par le Kremlin permet de maintenir des coûts faibles : « pour les étudiants africains qui n’ont pas les moyens de financer leurs études, c’est une véritable opportunité. Un enseignement totalement gratuit est rare, même en Afrique ».
L’Occident, moins accessible
Les politiques migratoires restrictives des pays occidentaux renforcent également cette tendance. En juin, les États-Unis ont suspendu la délivrance de visas étudiants dans plusieurs pays africains et annulé plus de 6 000 visas pour des raisons juridiques ou sécuritaires.
« Les pays occidentaux rendent de plus en plus difficile l’obtention d’un visa ou d’une bourse », déplore Keith Baptist. « L’Amérique était notre premier choix, mais les demandes ont été suspendues. »
Ainsi, entre coût attractif, facilité d’accès et discours anti-occidental, la Russie s’impose de plus en plus comme une destination alternative pour les étudiants africains, cherchant à la fois un avenir académique et un nouvel équilibre géopolitique.