« J’étais atterré par le niveau intellectuel et économique de certains députés qui ne comprennent rien à l’économie, ne s’informent pas, ne lisent pas. »

Le récent Prix nobel d’économie Philippe Aghion ne postulera certainement pas à la médaille d’or de la diplomatie. Dans une saillie sur France Info, l’économiste s’en est pris vertement au niveau intellectuel de l’Assemblée nationale lorsqu’il s’agit d’évoquer le PIB, le déficit ou encore l’inflation. Certes, en tant que modeste journaliste économique, on admettra avoir déjà levé les yeux au ciel après deux ou trois approximations entendues au Palais Bourbon. Par exemple face à la mise en avant sans nuance du « miracle » espagnol – à fortement nuancer –. Ou une comparaison hasardeuse entre la dette d’un ménage et celle de l’Etat – deux choses n’ayant rien à voir. Ou bien encore la confusion entre les actions et les dividendes – non, vraiment, bossez un peu vos dossiers, chers élus de la Nation…

N’empêche, la critique lancée par Philippe Aghion est-elle vraiment justifiée ? « Je ne crois pas que les députés soient nuls en économie, balaie Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE. Simplement, l’économie – et surtout la croissance, le cœur des sujets de Philippe Aghion – ne sont pas toujours leurs priorités. » Ecologie, contrat social, services publics, renfort de l’armée (et on en passe selon le bord politique) peuvent passer devant. « Ce n’est pas nécessairement que les politiques ne comprennent pas l’économie, juste qu’ils ne raisonnent pas uniquement par ce prisme. Et ce n’est pas leur rôle », poursuit l’expert. Le macronisme qui insiste sur son Service nationale universel à plusieurs milliards tout en indiquant que « l’argent magique » va être coupé, voilà un exemple d’une idée politique qui l’emporte sur la considération économique.

Les intérêts plutôt que le niveau de connaissance

« Philippe Aghion a une vision de l’économie très « monde de l’entreprise ». Mais l’économie, ce n’est pas que ça, et la politique encore moins, poursuit Benjamin Coriat, membre des économistes atterrés. Il ne faut pas se demander si les politiques sont mauvais, mais quel est leur intérêt à défendre telle ou telle position. » Enfin, l’économie reste un domaine infiniment vaste et complexe, nécessitant un peu de clémence : « Il y a plusieurs écoles, des sous-disciplines… C’est une chose de dire que les députés ne sont pas très bons, on peut le comprendre. C’en est une autre de sous-entendre qu’ils sont médiocres », complète Henri Sterdyniak.

La critique de Philippe Aghion semble d’autant plus injuste que l’économie s’est aujourd’hui installée au cœur des débats. Dette qui explose, déficit en hausse, taux d’intérêt plus haut qu’en Espagne ou en Grèce, spectre de la récession… Tous les sujets ou presque depuis plus d’un an tournent autour du budget. Et c’est sur des questions économiques – comme la désindexation des retraites – que les deux derniers Premier ministres, Michel Barnier et François Bayrou, sont tombés.

Science du compromis absente

L’économiste Eric Heyer le note bien : il n’a jamais autant été sollicité par des députés, que ce soit au sein de commissions à l’Assemblée ou au sein même des partis. « Tous les députés comprennent qu’il y a trop de déficit, qu’il faut changer cela, et qu’il n’y a pas 36.000 moyens d’y arriver. Les partis se reposent également de plus en plus sur des experts, il y a une vraie humilité et une recherche de connaissances. »

Alors, pourquoi ce cri d’alerte d’Aghion ? « Je ne crois pas que les députés soient nuls en économie. Par contre, ils sont mauvais en compromis », ironise Eric Heyer. Aucun parti n’a de majorité pour faire passer un budget, mais tous « fixent des lignes rouges, ce qui rend le moindre consensus très complexe. »

C’est notamment sur ça que porte la diatribe du Prix Nobel, convaincu que l’Assemblée nationale calcule mal le bénéfice/risque d’un non-budget. « Mais l’absence de compromis est une critique que l’on peut faire à bien d’autres que les députés, souffle Benjamin Coriat. Lorsque le Medef refuse toutes concessions, même les plus minimes, dit-on qu’il est nul ? » Sans compter que cette critique sur les députés « arrive au pire moment, alors que les populistes montent et que l’Etat de droit est contesté ». Conclusion : si les politiques sont si nuls en économie, Philippe Aghion serait-il nul en politique ?