Notre rubrique en partenariat avec l’Ordre des avocats de Saint-Etienne – « Les Pages du Barreau » – se consacre, ce vendredi aux difficultés des entreprises.
Après avoir exposé en janvier les outils de prévention, ce nouvel article s’intéresse aux outils de traitement des difficultés des entreprises prévus par le Code de commerce. Ils occupent une place essentielle et efficace… à condition d’être mobilisés à temps !
Par Me Prisca Wuibout, avocate au Barreau de Saint-Étienne, spécialiste en droit commercial, des affaires et de la concurrence et spécialiste en droit des sociétés – mention droit des entreprises en difficulté.
Me Prisca Wuibout, avocate au Barreau de Saint-Étienne.
Le Livre VI du Code de commerce, qui encadre la prévention et le traitement des difficultés des entreprises, repose sur plusieurs principes centraux : favoriser le redressement de l’entreprise, préserver l’activité économique, maintenir l’emploi, assurer l’apurement du passif dans l’intérêt des créanciers. Le Code de commerce distingue deux grandes catégories de procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises : les procédures dites « amiables » et les « procédures collectives ».
Dans un environnement économique en constante évolution, toute entreprise peut rencontrer des difficultés financières. Face à ces situations, il est essentiel de ne pas attendre le dernier moment pour agir. Plusieurs dispositifs existent pour faire face à des difficultés qui ne peuvent pas relever d’une simple mesure de prévention confidentielle : la sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire. Ces diverses procédures permettent d’apporter des solutions adaptées à chaque situation.
La sauvegarde, pour restructurer sans subir
Plusieurs conditions doivent être remplies pour en bénéficier. L’entreprise doit bien évidemment rencontrer des difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter seule. Mais aussi et surtout, elle ne doit pas être encore en état de cessation des paiements.
Lors de l’ouverture de la sauvegarde s’ouvre une période dite d’observation, qui dure au maximum douze mois (deux périodes de six mois), et au cours de laquelle les dettes antérieures sont gelées. L’entreprise est ainsi protégée des poursuites de ses créanciers dont le fait générateur est antérieur au jugement d’ouverture.
Le tribunal va nommer un administrateur judiciaire (sous réserve que certains seuils soient atteints, ou sur demande expresse, il est en charge d’assister le dirigeant dans l’exploitation), un mandataire judiciaire (il représente les intérêts des créanciers et à la charge de la vérification du passif) ; et un juge-commissaire, juge du tribunal de commerce dont le rôle est de contrôler le bon déroulement de la procédure.
L’objectif de cette période d’observation est d’analyser la situation économique de l’entreprise et de vérifier qu’elle est capable de payer ses charges courantes puis de dégager une capacité d’autofinancement pour à terme rembourser ses dettes.
La procédure de sauvegarde permet de préserver l’activité en amont, de structurer une sortie de crise précoce, en maintenant la confiance des partenaires.
Cette procédure est ouverte uniquement à l’initiative du débiteur, valorisant ici le dirigeant proactif. Le dirigeant ne perd pas sa capacité à diriger son entreprise, qui n’est pas « à vendre », comme pourrait l’être une entreprise en redressement judiciaire.
Le dirigeant doit préparer un plan de sauvegarde qui sera soumis à la validation du tribunal, pour réorganiser l’entreprise et permettre le paiement des créanciers sur une durée maximum de dix années, voire de quinze années pour le secteur agricole. Si aucun plan de sauvegarde ne peut être présenté ou arrêté par le tribunal, il peut y avoir conversion en redressement judiciaire en vue de la recherche d’un repreneur.
La sauvegarde permet de préserver l’activité en amont, de structurer une sortie de crise précoce, en maintenant la confiance des partenaires.
Selon le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), en 2024, sur 65 683 défaillances, seulement 1 596 sauvegardes ont été ouvertes (https://www.cnajmj.fr/wp-content/uploads/2025/03/Bilan-annuel-2024-de-lObservatoire-du-CNAJMJ-V2-1.pdf).
Le redressement judiciaire, lorsque l’entreprise en cessation de paiements peut encore être redressée
Le Code de commerce institue une procédure de redressement judiciaire destinée à permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.
Cette procédure doit obligatoirement être mise en place par le dirigeant de l’entreprise, dans les quarante-cinq jours de la révélation de l’état de cessation des paiements. L’état de cessation des paiements est caractérisé dès que l’entreprise n’est plus en mesure de faire face à son passif exigible (les dettes échues) avec son actif disponible (la trésorerie disponible, les réserves de crédit immédiatement mobilisables).
Le redressement judiciaire peut également être ouvert à l’initiative d’un créancier qui ne parvient pas à recouvrer ses créances et qui démontre un état de cessation des paiements, ou encore à l’initiative du procureur de la république.
Le tribunal ouvre une période d’observation dont les effets sont similaires à celle de la sauvegarde, mais pour une durée qui peut de façon exceptionnelle aller jusqu’à dix-huit mois : gel des dettes antérieures avec interdiction de procéder à leur paiement, possibilité de résilier des contrats en cours.
Les organes de la procédure sont nommés par le tribunal saisi, de façon quasiment identique à la sauvegarde, avec la précision que l’administrateur judiciaire peut avoir pour mission de remplacer totalement le dirigeant.
L’objectif est également de proposer un plan de redressement. Le redressement peut avoir lieu par homologation d’un plan de continuation, qui peut comprendre un étalement de la dette sur dix ans (et jusqu’à quinze ans pour les entreprises agricoles), des remises ou même des abandons de créances.
Si cette solution n’est pas possible, le redressement peut être opéré par la voie d’un plan de cession, l’entreprise étant alors cédée à un tiers, qui ne reprendra que tout ou partie des actifs et non le passif.
À défaut de plan de redressement, par continuation ou par cession, la liquidation judiciaire sera prononcée.
Le redressement judiciaire concerne environ 30 % des entreprises en difficulté (2024). Toutefois, seule une entreprise sur quatre réussit à mener à bien son plan de redressement, pour autant qu’il ait pu être homologué.
La liquidation judiciaire, lorsqu’aucun redressement n’est possible
Selon le Code de commerce, la procédure de liquidation judiciaire est ouverte à tout débiteur en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
La liquidation judiciaire peut être demandée dès l’ouverture de la procédure, mais elle peut être aussi subséquente à une période d’observation, soit sous le régime de la sauvegarde, soit sous le régime du redressement judiciaire.
La liquidation met fin à l’activité, conduit à la réalisation des actifs, entraîne le licenciement du personnel et permet de répartir le produit éventuel de cession des actifs entre les créanciers suivant l’ordre légalement défini.
En liquidation judiciaire, le dirigeant est totalement dessaisi, un liquidateur judiciaire étant désigné pour procéder à la vente des biens et à l’apurement du passif.
Il existe toutefois encore la possibilité d’un plan de cession pour sauvegarder tout ou partie de l’activité.
La liquidation judiciaire concerne près de 67 % des entreprises en difficulté (2024). Malheureusement, très peu d’entreprises en liquidation parviennent à éviter une clôture pour insuffisance d’actifs.
Anticiper pour mieux rebondir, pourquoi le tribunal de commerce est-il votre allié ?
Lors de l’ouverture d’une procédure collective à l’initiative du dirigeant, le tribunal de commerce n’est pas là pour sanctionner, mais pour mettre en place toute solution de protection de l’entreprise.
Les juges consulaires sont principalement des chefs d’entreprises, dont le rôle est d’accompagner, de comprendre, et d’aider à sauver ce qui peut l’être.
Les tribunaux sont proactifs et organisent des entretiens de prévention. Ils peuvent orienter le dirigeant vers des procédures adaptées en proposant des rendez-vous confidentiels en amont. « Agir tôt augmente considérablement les chances de survie. Trop d’entreprises attendent d’être en cessation de paiements avant de réagir, réduisant ainsi leurs options ».
Le tribunal de commerce n’est pas une menace, c’est un levier. Encore faut-il l’actionner avant qu’il ne soit trop tard. Anticiper, ne pas rester seul face aux difficultés, consulter ses conseils, reprendre la main, sont autant de réflexes qui doivent guider l’action du dirigeant.
La sauvegarde est une restructuration volontaire, le redressement est une deuxième chance, la liquidation peut être un nouveau départ.