Samedi, pour affronter les Sud-Africains au Stade de France, Anthony Jelonch sera titulaire en troisième ligne. Un rendez-vous forcément particulier pour celui qui a connu des moments durs depuis près de trois ans…

Il fallait voir le sourire d’Anthony Jelonch dans les heures qui ont suivi la dernière finale de Top 14. Ce rictus, presque viral, qui ne quittait jamais son visage. Parce que cette soirée a marqué un tournant dans l’histoire récente du troisième ligne international. Au Stade de France, auteur d’un essai et de plusieurs percussions d’anthologie jusque dans les prolongations, il a réalisé une prestation stratosphérique. « Cette finale m’a fait du bien à la tête, d’autant plus que le scénario était fou, dit-il aujourd’hui. Le sentiment, à la fin, était extraordinaire. J’avais déjà vécu une finale (en 2018 avec Castres, NDLR), mais celle-là… J’étais revenu de deux ans de blessures et, même si j’étais heureux pour le groupe, j’avais raté plusieurs titres. Là, j’avais enfin la chance de rejouer une finale. Il me tardait et je l’avais bien préparée. Quand tu as le privilège d’être sur le terrain, que tu te sens bien, que tu sais que c’est le dernier mach de la saison, tu as juste envie de tout donner. » Un exutoire après toutes les galères. Jelonch, ce garçon toujours optimiste qui a toutefois mangé son pain noir. Victime d’une grave blessure au genou gauche en février 2023, il a réussi sa folle course contre-la-montre pour disputer le Mondial en France moins de sept mois plus tard. Puis, en janvier 2024, c’est le genou droit qui a lâché cette fois. « J’ai traversé deux années compliquées », souffle-t-il sobrement.

Surtout, au-delà des rééducations, le Gersois a connu la difficulté à retrouver toutes ses sensations. Donc, la frustration que cela engendre. Ces longues semaines sur lesquelles il pose un regard lucide : « On me dit toujours : « Les croisés, tu reviens en huit mois. » Je l’ai vécu deux fois, et je sais que tu mets un an ou un an et demi à te sentir vraiment bien. À jouer sans aucune douleur. » Ces souffrances du quotidien qui polluent l’esprit. « Il y avait les petites douleurs, l’appréhension mais aussi la réactivité au sol, poursuit-il. Tu crois que tu es bien mais, en réalité, tu n’es pas encore au top. C’est dur à accepter. Quand tu ne joues plus depuis huit mois, l’envie de retrouver le terrain est immense. Mais, quand tu reviens, tous les chocs font mal et les après-matchs sont toujours compliqués. Alors que, quand tu enchaînes depuis un moment, ton corps a l’habitude de la répétition des coups et tu récupères mieux la semaine. Après mon retour, j’étais tout le temps cramé. Je jouais, j’étais fatigué. Je m’entraînais, j’étais encore plus fatigué. Je n’arrivais pas à encaisser toute la charge de travail. Je faisais tout à l’énergie et j’avais des coups de mou. Je me demandais parfois : « Qu’est-ce que je n’ai pas fait de bien ? » Rien, en fait. C’était normal. » Et d’avouer : « Maintenant que je rejoue régulièrement depuis longtemps, j’ai repris la mesure des coups sur le terrain et je récupère beaucoup mieux. Tout est plus fluide. »

« Le Tournoi m’avait remis en confiance »

Si l’ancien du CO avait fait son retour en septembre 2024, c’est en début d’année 2025 qu’il est réellement monté en puissance et qu’il est redevenu le vrai Jelonch. Une période qui a correspondu à son rappel chez les Bleus en cours de Tournoi des 6 Nations. Remplaçant lors des trois dernières journées de la compétition, il était une arme fatale du fameux « bomb squad » (le banc composé de sept avants et un trois-quarts, NDLR) à la française. « Ce Tournoi a été hyper important pour moi, reconnaît-il. Il m’a remis en confiance, m’a permis de retoucher au très haut niveau. » Parce que le maillot du XV de France, qu’il n’avait plus porté depuis le Mondial 2023, lui manquait. « Le niveau international, c’est juste dingue. » Il lui a donné des ailes. « Grâce à cette période, je me suis dit : « Voilà, tu en es encore capable, alors continue. » Et cela a eu un impact sur ma fin de saison en club. »

Jelonch, l’un des Tricolores plus en vue depuis l’entame de l’exercice 2025-2026, est resté sur sa lancée. « Quand tu n’as plus de blessures ou que tu n’as pas mal tous les lundis à l’entraînement, ça change tout, assure-t-il. C’est ce qui m’a le plus aidé. J’ai repris beaucoup d’automatismes sur le terrain et, mentalement, je suis très bien. Je prends du plaisir à chaque fois que je viens au stade. Il n’y a pas un moment où je n’ai pas envie d’y aller. Le lundi, je suis encore fatigué du match, mais je sais que ça va revenir le lendemain. Parce que, quand je suis blessé, ça me manque tellement… »

« Je garde mes cartouches »

Le joueur toulousain vit une sorte de plénitude physique, aussi parce qu’il a bénéficié d’une préparation complète l’été dernier. La question de partir en tournée en Nouvelle-Zélande s’était pourtant posée, mais la prudence l’a emporté. « Il y a eu une discussion avec le staff, raconte l’intéresse. Mais je n’avais pas coupé depuis trois ans, et il était assez judicieux d’avoir cette grosse pause de six semaines, puis de faire une vraie préparation, pour revenir vraiment prêt à attaquer une nouvelle saison. » Il en récolte aujourd’hui les fruits.

S’il demeure un guerrier hors normes, il a aussi agrandi sa palette. Parce qu’il a profité de ses déboires pour affirmer sa volonté d’épurer son jeu : « Il y a des contacts inutiles sur lesquels je mettais beaucoup de force. Sauf qu’à soixante-dix mètres de la ligne, ça ne servait à rien. Que tu plaques violemment ou pas, ce sera le même résultat à la fin. Maintenant, sur ce genre de situation, disons que je plaque raisonnablement et que je garde mes cartouches pour le contact qui se présente vraiment comme il faut, ou pour celui près des lignes. Je pense avoir trouvé une forme de maturité sur ce plan. » Même si, samedi, il faudra cogner. Plus que jamais. « Ce sont les meilleurs matchs à jouer. C’est super excitant. Il va y avoir une telle intensité. Tous les matins, tu te lèves et tu vas t’entraîner pour vivre ce genre de rendez-vous. Contre les Springboks, tu sais que ce sera forcément très dur mais que tu vas te régaler sur le terrain, surtout quand tu aimes le combat (sourire). » Et le destin offre parfois de sacrés clins d’oeil : il portera le numéro 7 au Stade de France et sa dernière titularisation en Bleu remonte… au quart de finale perdu au même endroit face aux mêmes adversaires. Il prévient : « Tout le monde l’aura dans un coin de la tête, même ceux qui n’étaient pas là. Les Boks nous ont fait tellement de mal il y a deux ans. Ce ne sera pas une revanche mais les affronter de nouveau est une chance. Les battre cette fois, ce serait incroyable. »