Un pas décisif en avant. Trois ans après l’invasion à grande échelle de son territoire, l’Ukraine n’a jamais été aussi proche de l’adhésion à l’Union Européenne, selon un rapport de la Commission Européenne.
« L’Ukraine reste fermement engagée dans la voie de l’adhésion à l’UE, après avoir mené à bien le processus de sélection et progressé dans la mise en œuvre de réformes clés », précise le document paru le 4 novembre : Kiev, aux côtés de l’Albanie, du Monténégro et de la Moldavie, fait figure de bon élève en 2025, ouvrant la possibilité d’une accession au club des 27 dans les prochaines années. Quels obstacles subsistent encore sur la voie de l’Ukraine ? Éléments de réponse avec Thorniké Gordadzé, chercheur associé à l’institut Jacques Delors, professeur à Sciences Po Paris, ex-ministre d’État géorgien à l’Intégration Européenne, derrière le texte « La Russie n’a pas un empire colonial, la Russie est l’empire colonial », paru dans la Revue XXI.
Quels sont les obstacles à court terme sur le chemin de l’adhésion ? Des pays réticents à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union Européenne tels que la Slovaquie et la Hongrie peuvent-ils mettre leur véto à la poursuite des négociations ?
Du côté de la Slovaquie, le premier ministre Robert Fico a annoncé en octobre que son pays soutenait l’adhésion à terme de l’Ukraine à l’Union Européenne. La Hongrie a, pour sa part, jusqu’à présent toujours menacé de mettre son veto, notamment sur la question des sanctions contre la Russie, avant de céder au dernier instant en négociant des concessions. Par ailleurs, les élections de printemps 2026 approchent : pour la première fois depuis 12 ans, le Fidesz, au pouvoir, est derrière dans les sondages, et l’opposition de Peter Magyar pourrait remporter les élections parlementaires.
D’autres obstacles subsistent au niveau des différents chapitres des négociations d’adhésion, notamment le dossier de l’agriculture, l’entrée de l’Ukraine pouvant poser un certain nombre de problèmes à terme pour certains pays de l’Union Européenne, comme la France ou la Pologne.
Mais ces décisions d’ouverture et de clôture des chapitres seront des décisions politiques et géopolitiques : il y a une volonté, depuis l’invasion russe de 2022, de ne pas laisser les pays des Balkans occidentaux ainsi que ceux directement confrontés aux pressions russes en dehors de l’Union Européenne.
Les négociations d’adhésion à l’Ukraine sont divisées en six groupes thématiques, regroupant chacun plusieurs chapitres : 1 – Fondamentaux 2 – Marché intérieur 3 – Compétitivité et croissance inclusive 4 – Programme environnemental et connectivité durable 5 – Ressources, agriculture et cohésion 6 – Relations extérieures. Le rapport de la Commission indique que l’Ukraine peut déjà ouvrir les groupes thématiques 1,2 et 6, et juge que ceux restants pourront être ouverts « d’ici la fin de l’année ».
La Commission européenne exhorte à continuer le combat contre la corruption. S’agit-il du principal obstacle pour Kiev en dehors de l’invasion russe ?
Il s’agit d’un problème très important, nécessaire à régler : la transparence de la vie politique comme la bonne santé économique dépendent de ce dernier. Mais on trouve d’autres défis, comme la compatibilité de certains domaines économiques avec l’Union Européenne, ainsi que des problèmes sociaux, de reconstruction, de santé, liés à la sortie du conflit.
La corruption reste cependant un problème endémique, qui n’a pas été engendré par la guerre : les difficultés dues aux conflits peuvent être comblées, mais la corruption date de l’indépendance, voire d’avant, lors de l’ère soviétique.
L’ambition affichée par le président ukrainien de rejoindre l’Union Européenne d’ici 2030 est-elle réaliste, en partant du principe que le conflit arrive à son terme avant cette date ?
Il est très difficile de lancer des réformes en même temps que l’on mène une guerre. Mais le gouvernement a montré une grande capacité d’adaptation, de réforme, et a appris de nombreuses choses au cours du conflit. La société ukrainienne, qui est passée par tant de souffrances et de sacrifices, sera quant à elle prête à effectuer un certain nombre de réformes nécessaires et douloureuses. J’estime donc que dans le cas de figure où la guerre arrête, le scénario est plausible du côté ukrainien, tant au niveau de la société civile que du gouvernement.
Au niveau de l’Union, il existe une volonté politique pour atteindre cet objectif, mais elle reste relative : la décision d’adhésion se décide à l’unanimité parmi les pays membres, et en fonction des agendas politiques internes de ces États. Or, il est difficile de prévoir quels seront les gouvernements et majorités au pouvoir dans les différents pays de l’Union d’ici quelques années.
Nous disposons d’une vision claire de l’équilibre des forces politiques en Allemagne jusqu’en 2029, mais ce n’est pas le cas pour la France ou plusieurs autres pays. La question des agendas internes reste par ailleurs très importante, et si la question de l’adhésion n’est pas préparée au sein de l’Union Européenne elle-même, le processus sera très difficile.
Ceci étant dit, les pays membres en faveur de l’adhésion, qui sont en majorité, ont la capacité de convaincre les indécis. Je ne pense pas, par exemple, que la Hongrie sera capable de bloquer à elle seule l’adhésion de Kiev, si toutes les conditions sont réunies du côté ukrainien et que la guerre est terminée.